La Suisse compte quelques unes des cavités les plus vastes du monde comme le Hölloch, le réseau Siebenhengste-Hohgant ou encore le Bärensacht, pas ou prou de grottes ornées et seule une poignée de grottes aménagées pour le tourisme; parmi celles-ci la Kristallhöhle de Köbelwald mérite une mention toute particulière.
Comme son nom l'indique l'attrait de la Kristallhöhle réside dans la présence que d'importantes quantités de cristaux de calcite. Cette véritable masse de rhomboèdres et scalénoèdres qui plaît tant aux visiteurs fût depuis plusieurs siècles ( les premières mentions de la grotte datent de la fin du XVIIème siècle) l'objet de visites de la part de chasseurs de minéraux; après une période d'exploitation commerciale pour ar l'industrie des détergents c'est au milieu des années trente du XXème siècle que commença l'aménagement touristique de la grotte. Aujourd'hui les visites se terminent à l'endroit où les dimensions de la galerie principale se retrécissent et où la voûte s'abaisse juste avant le passage de la rivière; suit une partie dite "spéléo" qui se développe alors dans des conduits de dimensions parfois confidentielles, parfois plus comfortables et vient buter en son terminus actuel sur un siphon. Le conduit objet de nos expéditions, de la partie suit le cours de l'actif en adoptant la plupart du temps un profil en trou de serrure aux dimensions parfois confidentielles qui rendent la progression peu aisée lors des portages; la difficulté principale étant résidant dans le passage de "l'Engstelle" (étroiture) rétrécissement d'environ 2,5 mètres de largeur et d'autant de longueur, avec un pincement en son milieu de 28cm de hauteur. Passé la "Engstelle" on s'avance alors dans un couloir aux dimensions plus agréables où seuls une suite de gours et une chute d'eau de 5 mètres de hauteur ralentissent la progression . .
Plusieurs clubs spéléos se sont succédé dans l'exploration de la cavité et le siphon terminal , lequel ne fût par ailleurs atteint que gr âce à quelques coups d'explosif bien ciblés, a fait l'objet de plusieurs tentatives de plongée dans les années en 1968, 1978 et 1989. C'est au cours de cette dernière tentative qu'un premier croquis sommaire d'exploration put être réalisé par le plongeur Z'Graggen , croquis représentant le court premier siphon, le lac qui le suit et l'amorce du second siphon; cette plongée échoua nt toutefois comme les précédentes à cause de la turbidité extrême de l'eau, turbidité qui annule non pas quasi, mais bel et bien totalement la visibilité , au point tel que l'on ne distingue plus les mains touchant le masque durant la progression.
Notre club spéléo l'AGS-Regensdorf ayant repris peu de temps auparavant l'exploration systématique et scientifique de la cavité en vue de la publication d'un livre, , c'est en février 2001 que nous entreprîmes une nouvelle tentative de plongée du siphon terminal. Cette tentative devait elle aussi échouer suite à un cumul de problèmes laissant présager de l'apparition prochaine de "Murphy" en personne : disfonctionnement des détendeurs, emmêlement avec le fil tiré et visibilité nulle à l'aller. Cette plongée permit toutefois de découvrir une salle latérale dans le lac du premier siphon et de constater qu'aucun fil ou débris n'était présent dans le départ du S2. Ce fût aussi l'occasion de reformuler une stratégie de progression pour le futur, et ainsi que de se pencher sur les problèmes techniques du transport de matériel , la nécessité d'améliorer le système de configuration à l'anglaise, le passage au retour du col de cygne du S1 exigeant une souplesse dorsale extrême, le type de dévidoir à utiliser ainsi que de développer un marquage de fil particulier non sujet à dégradation et ne laissant aucune équivoque dans la progression à l'aveugle.
Dans les semaines qui suivirent d'autres expéditions consacrées au dépôt de matériel et à l'équipement du premier siphon avec une corde de 11mm furent entreprises en petit comité et un plan d'exploration préparé pour l'été. Mais tous les plans qui avaient été montés pour les plongées de l'été se trouvèrent réduits à néant par trois évènements qui venaient de se succéder à quelques semaines de distance: l'accident mortel dans le siphon de la Beatushöhle en Suisse, l'accident de la grotte de Goumois dans le Doubs et l'accident de la grotte des Fontanilles dans l'Hérault. Vu l'impact médiatique de ces faits divers, le comité directeur de la Kristallhöhle avait décidé de remette "sine dia" les autorisations d'accès pour l'exploration .
Bien qu'une convention d'accès ait été signée entre notre club et le comité directeur quelques mois plus tard et que les plongeurs aient dû montrer patte blanche et signer des décharges multiples, les années 2002 et 2003 nous virent occupés, si l'on ose dire, sous d'autre cieux et le siphon terminal de la Kristallhöhle resta sans autre visite que celle des spéléologues venant relever épisodiquement les données de leurs instruments de mesure. Ajoutons pour la bonne compréhension de ces délais que longtemps l'accès de la grotte nous était dénié durant la période d'ouverture de la grotte au public, notre progression troublant dans l'eau de la rivière en amont et rendant ainsi la rivière moins attractive pour les visiteurs payants.
C'est trois ans plus tard en février 2004 que nous entreprîmes une nouvelle plongée dans le premier siphon afin de vérifier le matériel et les blocs en place depuis presque trois ans et de documenter par quelques photographies la salle principale et le lac point de départ de la galerie subaquatique du S2. En juin de cette même année une fenêtre météo favorable se présentant nous décidâmes de tenter une plongée pour tenter de passer ce diable de siphon. Margrit se sentant très motivée par sa première incursion de février décida que ce serait elle qui tenterait la pointe. Restait à négocier l'autorisation de la direction de la grotte pour une visite d'exploration nocturne qui ne dérangera it pas le déroulement des visites diurnes ; autorisation qui nous fût accordée.
Ayant réussi à négocier avec la direction de la grotte , l'autorisation de mener notre exploration durant la nuit et une grande partie du matériel étant déjà devant le premier sifon, c'est en petit comité que nous nous dirigeâmes à travers la galerie de la grotte aménagée.
Cédons la parole à Margrit …
L'exploration de juin 2004
"" ……… Après que nous ayons retrouvé les participants à l'expédition sur le parking des visiteurs de la grotte, Maxime fait un court briefing et répartit le matériel à transporter entre les sherpas . Puis commence la courte marche d'approche vers l'entrée où nous allons nous changer et mettre nos vêtements spéléo. Là une suprise de taille m'attend, alors que j'ai prêté une grande attention à la préparation de mon matériel de plongée je m'aperçois que j'ai totalement oublié d'empaqueter mes nouvelles bottes! Les anciennes je les avais laissé dans le bourbier de la grotte de Môtiers quinze jours auparavant , ce qui m'avait obligé de faire le retour en chaussons avec comme pièce de bravoure la désescalade pieds nus de la coulée de calcite et à passer une commande urgente de nouvelles bottes en vue de l'exploration de la semaine suivante . Celles-ci étaient bien arrivées dans les délais mais , j'avais négligé de les ranger dans notre local à matériel d'où mon oubli lors de la préparation des kits. Par chance je trouve au fond de la voiture une paire de chaussures de randonnée et ne suis ainsi pas obligée de renvoyer à ses pénates tout ce petit monde qui attend anxieux d'avoir fait plus de 100km pour rien !
Nous traversons d'abord la galerie des visiteurs et nous attardons pour admirer une fois de plus les magnifiques cristaux qu'un nouvel éclairage "anti-mousse" met particulièrement en valeur, puis nous commençons la progression dans la partie spéléo. Le transport du matériel avec cinq sherpas tirant puis poussant les kits et les blocs à travers les étroitures prend un peu plus d'une heure et c'est vers 19h00 que nous arrivons devant le siphon … …. ""
"…… Maxime jette encore un dernier coup d'oeil à mon équipement et me donne le "go" pour le début l'exploration. Je prends l'azimut et m'immerge; déjà après quelques mètres j'émerge dans une salle d'environ 8 mètres de long. Le tamponnoir qu'il a laissé lors des plongées d'équipement du S1 est toujours bien visible dans la paroi de droite au-dessus de l'eau. Devant moi se présente un monticule de glaise dont je dois escalader le versant abrupt afin de poursuivre l'exploration. Le sommet de ce monticule se trouve en ce moment sous l'eau, dont dont le niveau est 10 à 20 centimètres plus bas que lors de ma première visite de février . Je me hisse en m'aidant de la corde de 11mm fort opportunément installée à cette fin par Maxime lors de sa dernière plongée puis je m'avance avec des mouvements de reptation sur le sommet du monticule, le franchis et m'immerge immédiatement à nouveau. J'aperçois dans le faisceau de mes lampes à l'autre extrémité du lac la galerie qui continue droit devant moi. L'eau contrairement à mes attentes craintes est d'une clarté cristalline ce qui nourrit mes espérances me laisse espérer de pouvoir enfin trouver la suite.
C'est dans un conduit aux dimensions confortables d'environ 3 mètres de largeur pour 1,5 mètres de hauteur que j'avance maintenant, il s'incurve à une profondeur de 4 mètres et suit une pente marquée. Je m'aventure dans une galerie au sol jonché de-ci de-là de plaques de gravier mais recouvert la plupart du temps recouvert par une boue fine. Chemin faisant je dépose un premier plomb et y fixe le fil puis continue ma progression; après vingt nouveaux mètres la galerie plonge abruptement jusqu'à 10,5 mètres tout en faisant une nouvelle courbe prononcée, c'est là que je dépose le second plomb et y fixe à nouveau le fil. S'ensuit une remontée relativement rapide qui me laisse espérer de percer le siphon et d'émerger ainsi dans la suite de la galerie sèche après 55 mètres de progression en plongée. Mais la nature, architecte aux desseins imprévisibles, en a décidé autrement; le couloir ici d'une modeste profondeur de 2,5 mètres fait un coude à gauche ensuite un puits me mène à - 6,5 mètres, c'est là que je dépose mon 3 ème plomb et y ancre à nouveau la ligne de vie, s'ensuit un nouveau coude à gauche et le conduit continue en conservant sa forme de tunnel aux parois lisses et au plafond galbé . Quelques mètres encore et la nouvelle section de la galerie dans laquelle je progresse devient de dimensions plus intimes : un pincement dont la hauteur n'excède pas 0,5 mètres pour une largeur de 1,5 mètres.
En larguant le 3 ème plomb j'ai soulevé des sédiments et j'ai continué la progression malgré le fait que la visibilité s'en soit ressentie. Mais m'engageant sous la voûte basse le conduit maintenant commence vraiment à devenir étroit, en progressant je soulève en rampant encore plus de sédiments et la visibilité s'annule peu à peu. Vu l'absence totale de courant attendre que les sédiments se déposent serait une longue attente, je le sais car nous avions en son temps mesuré la vitesse de sédimentation. Par ailleurs je sais aussi pour avoir contrôlé mes instruments peu de temps auparavant que je n'ai pas encore atteint mes ¼ de consommation , et en conclus donc que lors d'une prochaine plongée durant laquelle je n'aurai qu'à suivre le fil installé et pourrai faire attention à ne pas soulever trop de sédiments, le passage de ce pincement sera certainement possible. Pour l'heure je décide alors de m'arrêter et de rebrousse chemin. Je dépose le dévidoir et m'en retourne. J'aurai déroulé et posé 70 mètres de nouveau fil.
Au retour la visibilité s'est réduite à environ vingt centimètres et souvent beaucoup moins, je saisis alors légèrement le fil entre mes doigts et le suis, c'est le cas de le dire, à l'aveugle ; je me félicite de porter un casque car fréquemment lors des changements de niveau qu'impose le parcours tourmenté , je heurte la tête contre le plafond et les "boums" succèdent aux "boums". Arrivée à nouveau dans le lac de départ du S2 je considère avec attention le plafond et les parois et aperçois à droite de la sortie vers le S1, l'entrée d'une salle mise à jour par l'étiage prononcé. Vite , je mets la tête sous l'eau et fais tout de suite surface, , tout en restant immergée jusqu'au thorax, dans une cloche d'air de 2x2x1,5 mètres, , je scrute là aussi les parois et le plafond à l'aide des lampes fixées sur mon casque mais ne trouve aucune continuation évidente. Après cette escapade, je rejoins le lac et plonge dans le S1. Là aussi la corde de 11mm permet de se haler lorsque l'on sent la roche frotter sur les reins et d'atteindre la sortie sans encombre.
……Je fais mon rapport de plongée aux spéléos impatients qui se pressent et attendent de transcrire sur leurs tablettes les divers azimuts que j'ai relevé et vite il apparaît que lors de sa première plongée d'exploration Maxime avait suivi un conduit partant à droite du lac et non pas à gauche comme moi ! il y Il y aurait-il donc deux couloirs ? Chez nos collègues de sherpas, les spéculations vont fort et les théories sur la genèse de cette grotte fusent. Mais moi je n'ai vu qu'un couloir que j'ai suivi et celui-ci partait à gauche du lac !
Avec célérité je me re-équipe et munie d'un dévidoir auxiliaire je m'aventure à nouveau dans l'eau brunâtre du S1 et le passe le siphon et à la recherche de la seconde galerie. Dans le lac je me laisse glisser sous l'eau en longeant la paroi de droite et rejoins ainsi automatiquement à son extrémité la paroi de gauche où j'entrevois malgré la mauvaise visibilité qui y règne maintenant désormais le départ de la galerie que j'ai exploré. Mystère résolu! Comme lors de sa plongée Maxime avait progressé avec une visibilité presque nulle à l'aller, il avait astucieusement suivi la paroi de droite , la plus proche tombant rejoignant ainsi naturellement dans la galerie de gauche; l'absence de visibilité lui donnant le sentiment que puisqu'il avait suivi la paroi de droite il avait plongé à droite. CQFD !
Le temps de replonger pour atteindre la sortie et je trouve mon équipe occupée, pour tromper l'attente, à ranger le matériel et les bouteilles de 12L apportées 3 ans auparavant et que nous avons réservé pour de futures plongées que nous allons encore laisser en dépôt , Hans Jta lui fait des travaux de terrassement et nous prépare un endroit où nous les plongeurs puissions pourrons nous changer "au sec" sans avoir constamment nos combinaisons étanches qui traînent dans le ruisseau qui s'écoule du siphon. C'est avec un plaisir mitigé que après avoir changé de vêtements , j'enfile à nouveau mes chaussures de randonnée : elles ressemblent plus à des éponges qu'à des souliers ! Le trajet du retour s'effectue sans encombre et c'est peu après 22h.00 que nous atteignons la sortie où je régale mes sherpas affamés avec un cake fait maison.
Certes l'exploration du siphon terminal de la Kristallhöhle se poursuivra et les prochaines expéditions seront consacrées à relever une topographie précise et au passage de l'étroiture. . Cela mettra notre patience et notre persévérance à épreuve car il nous faudra toujours nécogier négocier notre visite et attendre un créneau météo favorable particulier et trop rare , mais cette intéressante cavité en vaut bien la peine
Encore un grand merci à tous mes sherpas ! ""
Margrit Hohl
Participants à l'expédition de juin 2004 :
Arnfried Becker , Maxime de Gianpietro, Margrit Hohl, Hans Jta, Erich Plattner, Hans Stünzi
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Pour en savoir plus sur la Kristallhöhle :
Die Kristallhöhle Kobelwald
125 pages avec plans et illustrations en couleurs
Peter Kursteiner, Hans Stünzi , Marco Filipponi, 2004
ISBN 3-9521425-0-6
AGS-Info 01/2001
AGS-Info 01/2004
http://www.grotte.ch/situF.htm
http://www.agsr.ch