Les prévisions étaient pourtant optimistes. Il aurait du faire beau ce matin, avec juste une couverture nuageuse l'après-midi.
Mais de toutes les destinations, les témoignages sont les mêmes. Brouillard et pluie. Catherine et Jean-Pierre ont passé la nuit sur place, il pleut depuis la veille au soir. Toute l'équipe est là à l'heure, mais le froid et la pluie ont altéré la motivation. C'est une bande de velléitaires frileux qui s'organise au débouché du thalweg, dans la vallée de Veyrières.
Déjà, lors de notre dernière exploration dans cette source, en février 1993, nous avions opté pour la période des frimas. Aujourd'hui, le 24 janvier 2004, nous restons fidèles à l'hiver, afin de bénéficier d'un débit minimum pour nettoyer les siphons que nos ébats auront troublés.
les premières équipes se motivent
par cyril marchal |
Les véhicules sont rapprochés, une bâche, tendue par-dessus, constitue un abri appréciable, du crachin tenace, des rafales de vent. Le compresseur ajuste quelques bouteilles à la pression d'utilisation.
Vu de l'extérieur, nous nous apparentons à un piètre « after » de rave-party bucolique.
Guillaume, grippé toute la semaine, ne sera pas de l'équipe de pointe. Idem pour kino qui est enrhumé et qui ne courra pas le risque de se retrouver coincé dans un point haut du quatrième siphon.
Cette réduction d'effectif nous conduit à réviser les objectifs. Finalement, nous reportons la topo de la branche exondée post-S.4 à une sortie ultérieure pour nous concentrer sur la plongée / topo du S.5 et la reconnaissance des escalades terminales de l'autre branche exondée.
Finalement, Kino et Cyril, puis Romuald et Mickaël s'engagent sous le rabat métallique protégeant l'entrée de la cavité, pour acheminer quatre charges jusqu'au S.3. Cyril emporte un appareil numérique pour pixelliser quelques paysages souterrains.
Reste « the ultimate team » qui finit par se motiver, en dépit d'un climat plus propice à une castagnade au coin du feu.
Nous finissons par quitter le plafond de nuages pour celui des strates fines et friables de l'Hettangien. Il serait presque l'heure de l'apéro. Qu'importe, la couleur des siphons où nous allons plonger rappelle suffisamment une boisson anisée chère aux bons vivants méridionaux. Séquence immersion plutôt que déglutition.
cyril dans la cascade
par kino passevant |
Lorsque nous émergeons du S.2, tout le matériel est déjà devant le S.3. Les copains n'ont pas chômé. Ce tronçon de galerie est réellement sublime. Seulement 80m, mais tout y est : la rivière, les concrétions immaculées, la conduite forcée et, cerise sur le gâteau, la cascade. Aujourd'hui, le débit est conséquent. Il faut crier pour communiquer, couvrir le fracas de la chute pour devenir intelligible.
Nous nous vautrons dans le S.3. Six charges pour quatre plongeurs. Il faudra charger un peu les « bêtes ». Les copains nous aident à accrocher le tout. Cyril fixe quelques instants sur la pellicule.
Les deux siphons suivants sont les plus longs et les plus profonds de la première partie de la source. En quatrième position, l'univers est un peu glauque, excepté quelques poches d'eau encore claire. Devant, Damien se propulse de son mieux avec une bouteille et un kit de batteries pour alimenter son perforateur.
Pendant ce temps, Kino, Mickaël, Romuald et Cyril sortent de la cavité. Ils tiendront compagnie à Catherine et Marilyn, feront un aller-retour « toilette-douchette » au gîte pour revenir, présentables, nous attendre dans la vallée.
concrétions dans la cloche du S.3
par cyril marchal |
La grande cloche, dans le S.3, une alcôve ornée d'un concrétionnement exceptionnel. Si l'ambiance n'est pas à la flânerie contemplative, nous affleurons quand même la tête au passage pour s'en mettre plein les mirettes.
Passé le S.4, Mehdi, Damien et Jean-Pierre se déséquipent. Ici, la cavité se divise en deux branches, parcourues de ruisseaux souterrains qui confluent dans la vasque de sortie du S.4. Vers le nord-ouest, 240m de galeries accidentées nous attendent. Il faut d'abord remonter un étroit méandre, puis escalader 4m pour rejoindre le vaste conduit fossile sus-jacent.
Onze années se sont écoulées depuis notre pointe précédente dans cette source. La mémoire sélectionne-t-elle les meilleurs souvenirs ou bien crapahute-t-on mieux à 24 ans qu'à 35 ?
Le fait est que la progression est plus accidentée et sportive que ce à quoi nous nous attendions, y compris les derniers mètres dans la rivière.
Devant le S.5, nous révisons les plans. Damien et Mehdi partiront en reconnaissance dans l'autre branche exondée qui se développe vers le sud. Jean-Pierre m'attendra pour que nous ressortions ensemble les bouteilles.
Un dernier salut aux copains, et j'entame la partie solitaire de l'exploration, chargé de deux bouteilles de 7 litres harnachées latéralement et de deux relais -12l de nitrox.
Passée la voûte mouillante, il faut consentir une courte, mais intense, séquence « fakir », à quatre pattes sur la roche acérée, lesté de 40 kg de ferraille pressurisée.
Enfin, le départ du siphon. J'entame là les relevés topographiques pour couvrir cette partie de la cavité, encore inédite.
Ce siphon est moins vaste, plus argileux. Son profil est accidenté et le trajet ponctué de nombreux rétrécissements. A mi-parcours, le fil disparaît sous un effondrement rocheux. Le plafond s'est ici récemment détaché en cubes rocailleux. Il faut sortir un dévidoir et équiper un « shunt » par-dessus ce nouvel obstacle, long de 5m.
J'arrive dans les temps, toujours en jonglant du compas, de l'ardoise et du profondimètre, au terminus de Patrick Penez de 1979. J'y retrouve le fil que j'avais amarré il y a 11ans, avec une certaine émotion jubilatoire ; Le premier relais de 12l restera là. Les 175m suivants sont allègrement parcourus, jusqu'à l'étroiture de –30, sur laquelle je m'étais arrêté en 1993.
Premier essai, ça coince violemment. Les épaules ne passent même pas, les bulles décrochent des volutes d'eau argileuse. Je bas en retraite de quelques mètres, me déleste du second relais et reviens à la charge.
Le fil passe dans une section piège. Moyennant une petite tension, le voilà recalé dans la partie la moins étroite de la section. En faisant l'état des lieux, il apparaît que des rocs ont chuté du plafond pour s'encastrer dans l'étroiture, la colmatant partiellement.
Une rapide désobstruction pour les attirer de mon côté rend le méat praticable.
Deuxième tentative. Mon appendice nasal frôle un talus d'argile. Relevons la tête pour voir comment se présente la suite ? Du noir.
Le changement d'univers est radical. Dans toutes les directions, les faisceaux des phares se perdent, rien n'accroche, hormis le talus d'argile promptement ascendant. L'ordinateur décompte vite les quelques paliers affichés. Voilà un canyon, les deux parois se resserrent. A l'aplomb : le miroir. Un palier de principe, malgré le froid qui commence à saisir et enfin l'air libre.
Derrière, le lac s'évase en un puissant plan d'eau. Devant, sous des blocs, le ruisseau gicle sous pression. Un redan de 2m rejoint un puissante trémie concrétionnée, sur laquelle l'eau, issue des voûtes de la salle, cascade d'un bief à l'autre.
Le plafond est ici distant de 20 m. Le changement d'environnement est radical, brutal, violent. La largeur de la salle évolue en remontant. Stimulé par l'ampleur du conduit, le bruit de rivière et aussi le froid, je grimpe « allégro » jusqu'au sommet de la salle.
Au point haut du chaos, je domine la vasque de plus de 30m. Malgré la distance elle demeure impressionnante. Le temps de faire quelques mesures, prendre le temps d'évaluer les distances, les hauteurs… Calé contre la paroi de gauche, sous le plafond finement stratifié jusqu'à la dalle principale qui forme le « toit », on est dominé d'une vingtaine de mètres.
Le sol s'incurve en montant vers la paroi opposée. Les débris rocheux tombés du plafond n'y sont pas encore concrétionnés, plutôt instables. Des ruisseaux issus d'une cheminée et d'une vire convergent pour ruisseler jusqu'au S.5.
Vers le nord, il faut passer en vire, descendre de deux mètres sur un talus argileux, pour dominer la rivière d'encore 5m. On contourne l'à-pic en vire par la rive droite. Une coulée d'argile rend les derniers redans un tantinet glissants. On rejoint le lit du ruisseau par une désescalade en aval d'un pont rocheux. En aval, tout le ruisseau disparaît sous le chaos. Le bruit d'une cascade encourage à progresser vers l'amont. Effectivement, un bassin bouillonne sous une chute d'eau (1m) étalée sur plus de deux mètres. Si la galerie a ici pris des dimensions plus humaines, elle n'a rien perdu de son cachet. L'eau caracole dans un lit tourmenté, dentelé de lames d'érosion et de banquettes.
Au-dessus de la cascade, une voûte mouillante, tout juste amorcée en cette période de hautes eaux, débouche dans une jolie galerie richement concrétionnée. Les parois se resserrent progressivement, et lorsque l'abondant concrétionnement s'y cumule, on est contraint, à deux reprises à s'élever de quelques mètres vers les voûtes. Unique possibilité pour trouver un passage pénétrable pour un cavernicole tout de néoprène vêtu et d'acier bardé.
En descendant de la seconde escalade, une petite salle richement ornée semble se terminer sur un plan d'eau modeste et argileux. En rive gauche, une puissante coulée stalagmitique est surmontée d'une haute cheminée d'où provient un filet d'eau.
Ce S.6 a l'air d'un « cabinet » et pourtant tout le débit de la rivière en provient. En rive gauche, une galerie basse, au sol constitué d'argile fluide sensiblement recouverte d'eau se prolonge après un virage.
Je m'y engage, tout équipé. Au premier appui, les deux bras s'enfoncent presque jusqu'au coude. Il faut batailler en douceur pour s'extraire de ce piège onctueux, le visage au ras de l'élément plus tout à fait liquide, mais pas vraiment solide.
Une seconde tentative, tout aussi lamentable que la précédente, sera la dernière dans cette voie. Reste à chercher une amorce de conduit dans la vasque, à présent teintée « chocolat ». La tâche est finalement plus aisée, car les passages pénétrables n'y sont pas légion.
En longeant la rive droite, je m'immerge dans une eau opaque, ridée toutefois par le courant.
Il s'agit d'un laminoir très argileux qui débouche subitement dans un modeste élargissement sableux où l'eau s'éclaircit. Un talus de sable grossier vient jouxter la voûte en amont, rédhibitoirement impénétrable. Une bonne partie du débit de la rivière qui parcourt cette branche de la cavité provient pourtant de là. A 15m de la vasque, par une profondeur de –9, j'amarre le fil d'Ariane, en guise de conclusion prématurée. Dommage.
Peut-être faudrait-il rechercher vers les voûtes, via les cheminées arrosées.
Le retour s'effectue sans encombres, en flânant jusqu'au S.5, afin de profiter, de m'imprégner de ces paysage que je ne traverserai plus. Une petite pause casse-croûte au point haut de la grande salle, avec vue sur le S.5, puis retour à la case départ. A l'entrée du S.5, Jean-Pierre attend. Il a inspecté en détail une galerie latérale et franchi une voûte mouillante jusqu'à un siphon à désobstruer.
Nous rapportons les deux bouteilles de 12 litres jusqu'au S.4, nous sustentons, puis regagnons la sortie après 7 h 30 passées sous terre.
Damien et Mehdi nous rejoindrons bien plus tard au gîte, avec d'excellentes nouvelles qui conditionneront une future plongée dans l'autre branche post-S.4, aujourd'hui en cours de préparation. |
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site de l'event de veyrières
par cyril marchal
ambiance morose, il pleut, il caille par cyril marchal
reduction d'effectif Topo ou pas topo
par cyril marchal
the ultimate team par catherine baudu
départ dans le S.3
par cyril marchal
retour dans le S.1 par cyril marchal
the ultimate
par cyril marchal
niphargus par cyril marchal
sortie du S.1 dans la touille
par cyril marchal
voute cloche S.3
par cyril marchal
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