Grotte de Thaïs par Pascal BERNABE
Article paru dans la revue Spéléo n°27, p.20-21.
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Les belles parois blanches et déchiquetées défilent rapidement, éclairées par mes puissants phares. Je chevauche un gros propulseur orange, couché dessus dans u souci constant d’hydrodynamisme. Harnaché de quatre grosses bouteilles de 20 litres de Trimix, je pars pour une balade de près d’une heure à -90 mètres. Tout a commencé la veille, lorsque l’équipe s’est retrouvée sur le parking de la grotte de Thais à Saint Nazaire en Royans, dans la Drôme. Nous étions seulement cinq pour porter la quinzaine de charges dans la zone de décompression, au siphon 6.
Samedi : départ avec Steph, qui m’aide à m’équiper derrière le seuil rocheux, si pénible à franchir derrière le siphon 3, et m’accompagne pendant les cinq premiers siphons de la zone noyée, faisant suite à la partie exondée de la grotte.
Enfin, la vasque du sixième siphon ; nous sommes loin de la fontaine de Vaucluse, confortable et facile d’accès. Mais ici aussi les parois sont éclatantes et l’eau limpide ! Ultimes vérifications et je m’enfonce dans la magnifique faille qui plonge directement. Je dépasse rapidement les bouteilles le long de la corde.
Moins 25m : je dois me coller au sable pour franchir un passage bas. Derrière, ça s’agrandit. Oubliés les doutes et les appréhensions du départ, une fois dans l’action, cela va mieux. Moins trente, je quitte mon dernier relais Nitrox contre un relais Trimix, j’enfourche enfin le propulseur Aquazepp, sélectionne la vitesse la plus rapide, et c’est parti !
Moins 54, déjà le haut du puits. Descente rapide, le Zepp à la main, jusqu’à une courte galerie où hier, Ludo a déposé deux relais Trimix sur un tas de galets noirs.
Je me les clippe après avoir abandonné mon premier relais, en sécurité. Dernier échange donc et je me retrouve avec mon bon vieux quadri 20 litres. Je tire le Zepp sur quelques mètres jusqu’à la lèvre d’un puits qui m’amène à -78. Encore un passage bas dans l’argile.
Moins 80m, je remonte sur le propulseur ; quelques virages au début sont pris à la corde, enfin " au fil ".
Cela descend encore à -86, en pente douce. A présent, le conduit est droit, de taille moyenne, parsemé de belles dunes, que l’on retrouve dans toute la caverne.
Après cent mètres, le paysage change brusquement d’aspect. C’est à présent dans une faille fortement inclinée, haute de 6 mètres, large d’un mètre cinquante, que je palme avec le sentiment un peu bizarre d’évoluer dans un univers de travers. 70 mètres plus loin, les parois sont maintenant marron clair. Elles se pincent pour en mesurer plus qu’une soixantaine de centimètres à l’endroit le plus large. Il est temps d’abandonner mon propulseur à un relais. Je les accroche à un mousqueton au milieu de la faille.
La suite est moins drôle : 15 mètres d’étroiture sévère que mon illustre prédécesseur, Bertrand LEGER, avait mis dix minutes à franchir en 1984, en bi 20 litres.
Je suis en tri 20 l et le courant n’arrange pas les choses. Je joue des coudes, ce qui, lors d’une pointe précédente, avait presque percé mon volume, avec 6 heures de paliers dans une eau à 10° à la clé. Puis cela s’élargit un peu, un mètre, mais je dois éviter les morceaux de vieux fils arrachés par de violentes crues.
Redescente par une série de ressauts étroits jusqu’à -87m. Là, je débouche dans une vaste salle après les 50 derniers mètres si sinueux et étriqués, où l’on perds un temps (et du gaz précieux).
Au milieu, une imposante dune de sable blanc, insolite en de tels lieux. Je la contourne par une légère pente qui m’amène à -91m ; mon terminus de 1994. La robinetterie racle dans un bruit sinsitre. Je suis déjà sur ma troisième bouteille et il me reste peu de temps. Amarrage rapide du fil d’Ariane et je commence enfin ma vraie exploration. Toujours cet étrange mélange d’excitation et de tension, de calme et de concentration, où l’on engrange le maximum d’informations sur la grotte, tout en gérant les nombreux paramètres de la plongée. (temps, gaz, fil).
Cela fait plus d’une centaine de mètres que je palme dans les -90, lorsque la galerie, toujours aussi large, devient de moins en moins haute, pour plafonner enfin à moins d’un mètre. De plus, il faut chercher le passage le plus évident en evitant de les rognons de calcaire où les protections de robinetteries raclent dans un bruit sinistre et peu rassurant. Je m’approche de mes limites d’autonomie en gaz et en temps.
Moins 88 : au-delà, le laminoir semble devenir encore plus bas et remonter sensiblement. Le passage semble encore possible, peut-être avec des bouteilles à l’anglaise (sur les côtés, fixés aux jambes). Est-ce la fin ?
Je suis à 535m de l’entrée du Siphon 6 et à 820m du début de la zone noyée. Il me reste à nouveau à parcourir 330 mètres entre -80 et -90, dont la partie étroite. La possibilité d’une panne de propulseur, comme en 1995 ou un tout autre incident m’inquiète.
J’essaie de sortir de la zone terminale où la visibilité se dégrade
rapidement. Le sol est souvent argileux.
Soudain, au sol, une étrange vision : un ver mi-translucide, mi-rougeatre,
d’une dizaine de centimètres qui se tortille sur le sable, seule présence
animale, si loin, si profond...
Demi-tour à tâtons et petites sueurs pour retrouver le chemin.
Sortie du laminoir, ça va plutôt vite avec le courant dans le dos.
Dans la partie étroite, cela cogne toujours autant et j’y vois de plus
en plus mal. Enfin, voici mon relais et le Zepp.
Séquence " guerre des étoiles " avec les particules qui défilent à toute vitesse. 43 min après mon départ dans le S.6, je suis de nouveau à la base des puits.
Moins 70 : je récupère ma troisième bouteille et je remonte lentement, mon propulsuer à la main.
Moins 54 : je débute la décompression, ponctuée comme d’habitude par la visite des copains qui ramènent les bouteilles vides, l’alimentation et la lecture. Je sors après 6 h 30 de plongée dans le siphon 6 dont 5 h 30 de paliers. |
Retour rapide jusqu’au lac des touristes avec Ludo, Steph, Philippe, Paul et
Christian qui sortent les dernières bouteilles.
Se hisser hors de l’eau, au seuil, avec plus de soixante kilos de scaphandre
n’est pas une sinécure.
Sortir enfin de la zone noyée après plus de huit heures d’exploration
aquatique.
Fatigué, mais heureux de ma découverte et réfléchissant déjà aux détails de ma future plongée.
Ma prochaine incursion dans la zone profonde me permettra-t-elle de franchir la nouvelle partie et d’éclaircir un peu plus le mystère de la grotte de Thaïs ? Continue-t-elle longtemps à -90m ? Plonge-t-elle plus profondément ou remonte-t-elle vers une surface ?
Cependant, la combinaison des difficultés telles que l’éloignement du départ, la longueur des zones étroites, profondes, le courant et l’eau froide, rendra toujours cette plongée difficile, tant physiquement que psychologiquement. Mais l’envie d’explorer toujours plus loinb le siphon restera la plus forte.