Plongées du 16 et 17 avril 1994
par Frank Vasseur Article publié dans Calaven 9, bul. du S.C.A.L., p.120-123. |
Juillet 1987, par une ennuyeuse séance de photographie dans la "grande diaclase". Entre deux crépitements de flashes, l'esprit s'évade vers d'autres activités plus trépidantes. Face à la vasque bleutée du siphon BOURNIER, le regard s'enfonce au-delà de la surface, happé par la galerie noyée. Fascination de l'instant pour ce conduit immergé inaccessible, à la couleur indéterminable progressivement rabattue vers le noir profond. C'est l'instant où les noms des pionniers reviennent en mémoire, celui d'Alex BOURNIER qui tenta puis réussit le franchissement de l'obstacle en septembre 1949. Oui, décidément, si l'aventure est osée il faudra vraiment que j'essaye la plongée en siphon... Le 17 avril 1994, en ce même lieu, nous sommes trois à enfiler nos combinaisons Néoprène pour certaines rapiécées. Rituel devenu familier pour Bruno et votre serviteur, demeurant exceptionnel pour Christian dont ce sera la première plongée en siphon. L'objectif: trouver la continuation du conduit dans le siphon nord. Hier Michel ENJALBERT, avec qui j'ai déjà partagé de bons moments en exploration souterraine, avec le soutien de Patricia et Roger a poussé l'exploration d'une quarantaine de mètres au-delà du précédent terminus portant la longueur du siphon à 215m (-36). Il s'est arrêté en surface, dans une cloche d'air sans continuation et pense que l'origine de l'eau est à rechercher dans la partie profonde du siphon. Après avoir tous passé le siphon Bournier en apnée, nous parcourons rapidement les 240m de conduits aquatiques et sportifs qui nous séparent du plan d'eau terminal. L'équipement est rapide du fait de la présence de Bruno qui sangle le bi-bouteilles dorsal pendant que je m'habille. Une panne d'éclairage est promptement réparée avec les moyens du bord, puis je peux enfin m'engager dans le siphon, dans un concert de glougloutements caractéristique et sous les coups de flash de Christian. Je dispose d'un bi 12l à 250 bars et d'une 12l en relais à 150 bars que Michel m'a laissé la veille. Le conduit plonge rapidement au point bas (-36) par grands redans verticaux où la perspective donnerait presque le vertige. A partir du point 120m, le fil remonte dans la diaclase, étroite dans la partie profonde (1m de large). L'ayant suivi jusqu'à -30, je décide de redescendre afin d'inspecter le fond du conduit, pour chercher un hypothétique départ en profondeur. La base de la fracture (-36,4m) est complètement bouchée jusqu'à un pincement qui contraint à une remontée. Par une lucarne à travers des blocs, j'aperçois le fil de Michel, sur lequel je suis revenu. Retour au point d'ancrage de mon fil, afin d'éviter le tissage d'une redoutable toile d'araignée, puis le fil de Michel me conduit jusqu'à un coude, à -20. Là, je pars vers le nord par un passage chaotique et remonte à nouveau vers le fil de Michel, que je retrouve dans la cloche la plus éloignée des deux qu'il a explorées. En effet, rien de prometteur au plafond. Par contre, 2m sous la surface, une superbe galerie (4x2m) s'engage vers le nord. Après un tronçon à -18, j'émerge dans un long lac où le cheminement sinue parfois sous des lames d'érosion. Après un dernier passage siphonnant (-5) une vasque longue de 20m est divisée par un rocher érigé en proue. Le siphon prend ici fin au terme de 500m de progression. Sur la droite, 15m de nage rampée sur fond de sable, conduisent à un prolongement de la fracture peu engageant en tenue Néoprène (40cm de large sur au moins 4m).
Dans la première partie du siphon, jusqu'à 215m, la fracture sur laquelle se développe le siphon est bien nette, affectée d'un pendage semblable à celui constaté dans la branche nord de la cavité. La roche est d'un noir d'encre, veinée de blanc et stratifiée en petits bancs. Les parois sont très corrodées et hérissées de lames d'érosion. Il n'y a aucune trace d'alluvionnement dans cette partie du siphon. Passé le terminus de Michel, la fracture n'est plus visible qu'en rive gauche. Dans les cloches traversées ensuite, l'argile compactée sur les parois atteste d'importantes mises en charge, puis les parois se pincent à nouveau avant que le conduit s'immerge à nouveau. Sous l'eau, le conduit a été surcreusé et ne demeure visible que sur une paroi. Au sol, d'importantes dunes de sable fin sont ridées de ripple-marks attestant d'une moindre circulation d'eau. L'écoulement principal doit circuler dans la partie profonde du siphon et n'emprunter les 285 derniers mètres qu'en période de crue. La couleur de la roche, la clarté irréelle de l'eau du Cabrier et le contrepoint apporté par la chaude couleur ocrée du sable font de ce siphon un joyau des cavernes noyées. Dans un long tremblement j'émerge après quelques frigorifiques paliers de décompression. Bruno et Christian sont là, ils ont fait quelques photographies de cette galerie que peu ont eu le privilège de parcourir. Je mets au propre les derniers relevés topographiques effectués lors du retour et nous empruntons le chemin du retour, lourdement chargés mais dynamisés par la bonne nouvelle à apporter aux copains. Que faudrait-il ajouter de plus pour conclure convenablement cette note ? Que la remontée de l'équipe et du matériel fut effectuée sans problèmes grâce à l'organisation sans failles et coutumière du S.C.A.L., que le report en surface augure de sérieuses perspectives d'explorations qui toutefois vaudront leur comptant de sueur et d'acharnement, que j'ai peut-être loupé quelque chose dans ce siphon, que l'aventure est belle... |
par Christian Berger
|