Depuis 5 ans, Planagrèze restait pour nous un défi, et il fallait qu'il soit relevé, d'où notre expédition et notre aventure durant le week-end de la Toussaint 1978.
L'évolution des méthodes d'exploration permet une nouvelle logistique, lorsque la verticale est le principal obstacle. En 1973, pour la précédente expédition plongée, on avait pu compter jusqu'à 42 voitures stationnées. Cette année, la démonstration de deux spéléos a tranché radicalement le problème.
Journal d'expédition
Dimanche 29 octobre
Aujourd'hui, il n'y a que deux hommes, affairés au bord du gouffre, avec une dizaine de bouteilles et 6 ou 7 sacs à descendre à –113. Il y a beaucoup de monde sur le Braunhie car c'est une période de vacances scolaires, et notre horaire est plutôt perturbé. Le gouffre était occupé à notre arrivée, et il faut attendre son tour.
Enfin, la place est débarrassée, et la première charge de matériel file dans le noir, où Daniel va guider dans le second puits.
Grâce à un descendeur monté en frein de charge, la moitié du matériel arrive à –72 en quelques minutes au prix d'un frottement acceptable de la corde. Daniel descend le second équipement, tandis que je quitte la surface à mon tour avec deux sacs en longe. La suite nous a demandé plus d'astuce car le puits suivant est loin d'être vertical, et nécessite deux fractionnements que nous avons spités, les anciens spits étant mal placés.
D'abord un pendule fonctionnant par poulie en plafond permet de déjouer la première difficulté. Dessous, Daniel pend les bouteilles et les sacs à des spits de service, puis descend plus bas équiper le second fractionnement.
Ces manœuvres demandent de l'attention, mais nos répétitions ont porté leurs fruits. La suppression du tuyau de poële par le G.Q.Corrèze est une chose fort appréciable.
Aujourd'hui, nous avons mis quatre heures pour atteindre –113, équipement compris, et c'est encore une heure de trop. Je rejoins Daniel.
- Je pense qu'il est trop tard pour plonger ce soir…
- J'ai minuit, le mieux est de remonter, on a encore du matériel à préparer pour la topo, et les 3 m3 à gonfler.
- OK. On range un peu et on remonte s'en jeter un !
Mardi 31 octobre
Nouvelle descente sans histoire. Arrivés en bas, nous nous équipons et plongeons avec chacun un bimono-bouteille, plus une 3M3 à la main, sur laquelle nous respirons. Le fil d'Ariane n'a pas trop souffert et reste utilisable. L'eau est claire, le sol sableux, je suis trop lesté et je passe le siphon en 11 min. Aussitôt émergé, le bruit d'une petite cascade remplit les oreilles après le silence de la plonge. Daniel est sorti avant moi et se débarrasse de son scaphandre.
Au programme, topo de la galerie, pose d'une corde, amarrée sur spit, pour faciliter la sortie de la « piscine », et transport de matériel au siphon II.
Nous avons dù supprimer la topo du S.1, faute de temps. D'ailleurs ce travail avait déjà été réalisé par M.Verlhac et J.-L. Camus en 73, et a toutes ses chances d'être correct.
La galerie a un profil en trou de serrure, dans sa partie inférieure les parois sont très cupulées, et le lit de la rivière est coupé d'une marmite, à peu près tous les deux mètres.
Daniel qui ne connaît pas les lieux, découvre, tandis que je revois le décor que j'avais découvert avec Michel Verlhac pour notre première plongée en vrai siphon, en 72.
Au bout de 110m, le siphon II s'amorce sans préavis, derrière une petite cascade. Une jolie vaque au sol sableux marque le départ de 140m de galerie submergée. La topo est effectuée, nous rentrons en examinant chaque détail de la galerie.
Il fait nuit noire quand nous émergeons dehors, mais le temps est doux.
-Quelle heure est-il ? demande Daniel.
-Onze heures, j'espère qu'il y aura encore de la braise dans la cheminée.
La voiture démarre, une petite bière à la main, nous plaisantons, heureux. Un lapin ébloui par les phares plonge dans un fourré.
Jeudi 2 novembre
La vie à Lascombe s'est organisée, nous nous sommes liés à trois tourangeaux, qui faute de véhicule, ne craignent pas d'aller à pied, descendre les trous les plus intéressants du coin.
Aujourd'hui, nous avons à faire la topo du siphon II et de sa suite exondée.
Nous avons discuté de la possibilité de tenter le siphon III déjà reconnu sur 180 à 200m, et que je connais sur 150m, mais la topo reste l'objectif le plus positif à long terme.
L'air ne manque pas, mais nous ignorons le nombre de visées à faire…
Il est quatorze heures lorsque nous nous enfonçons de nouveau dans l'abîme. Le premier siphon est passé en 8min, toujours sur la 3m3, mais avec une seule mono, 1,6m3 capelée.
Au siphon II nous réaccouplons, chacun un bimono normal grâce à des sangles à grenouilles, solution idéale, qui permet les assemblages les plus hétéroclites.
Depuis 73, il subsiste un fil téléphonique en guise de fil d'Ariane. Il est en excellent état, l'eau est très claire, la profondeur n'excède guère –3m, un vrai régal. Tant et si bien que les 140m sont « avalés » en 5 min seulement, sans forcer.
Nos prévisions assez pessimistes nous laissent largement le temps de faire la topo du SII.
En attendant, nous explorons la galerie de la cheminée, qui quitte la rivière en rive droite. Il s'agit d'un couloir bas, ancienne conduite forcée sans doute, dont la longueur nous surprend. Le sol devient calcité, et au bout d'une cinquantaine de mètres, on débouche à la base de deux cheminées jumelles, d'environ 20-25 mètres de haut.
Nous topographions en regagnant la rivière, qui coule silencieusement en long plan d'eau. La galerie n'est pas haute, mais assez large. Le sol est propre, rocheux, pas de marmites. Un coude se présente, l'eau devient profonde, une ficelle attachée à la paroi plonge obliquement sous la surface, c'est le S.III. Au bout de 200m, se trouve le terminus Camus-Thomas, ça continue…
La topo du S.II nous attend, nous nous équipons et Daniel part avec le décamètre. Plouf ! Il a découvert l'unique marmite de la rivière plane !
Je note seulement l'azimut, Daniel note la profondeur et la longueur. Sa silhouette de martien en apesanteur se détache dans la halo verdâtre de son éclairage. JE sens deux tractions sur le décamètre, la station est relevée, je le rejoins. Il enroule et ça repart. Une demi-heure plus tard, nous émergeons, notre consommation n'est que de 1 M3.
Lorsque nous regagnons les voitures, il est 1 heure du matin.
Vendredi 3 novembre
Déséquipement. TPST : 7 heures, nous avons déséquipé jusqu'à –70 et laissé une partie du matériel.
Samedi 4 novembre
Déséquipement final. TPST : 2 heures 30.
L'aventure est finie, le prochain épisode sera automatiquement la plongée du S.III, encore un défi, posé par l'inconnu cette fois. |