L'AVENTURE PEYREJAL CONTINUE

Peyrejal

 

par Denis Lorain

Le passage du 2 ème siphon nous amène près d'un 3 ème siphon. Toutes les galeries ont été topographiées. La mise à jour sur papier, nous faisons des recoupements avec les topos de Sauvas et de la Cocalière. Rien n'est simple, mais nous arrivons à comprendre notre progression et les liens qui tissent tous ces réseaux entre eux !

Le 3 ème siphon de Peyrejal est franchi. Nouvelles topographies des galeries et nous nous retrouvons devant un 4 ème siphon. Pas mal, on est très loin de tout dans Peyrejal !!

A Lyon, nous mettons à jour, encore une fois, nos topos. Tout est sur papier et nous observons l'évolution de notre avancée :

- Bien, on a un 4 ème siphon à franchir, disait Marcel,

- Tout est près, les gars !

- On part pour les deux premières semaines d'août !

- On va avoir le temps d'étudier tout cela !

Nous sommes partis. Installation de notre camp de vacances et de travail, à la Font-Vive.

VENDREDI 3 AOUT 1973

Le GRPS se réveille à 7 heures du matin. Comme d'habitude, certains sont réveillés par les autres. Ça fait la gueule et ça ronchonne un peu partout. J'oserais dire que des coups de gueules sont poussés ici et là !

Les copines ont préparé un petit déjeuner copieux et cela met tout le monde d'accord ! Vers 10 heures du matin, tout le monde est en place, l'équipe de soutien extérieur est là, prête pour une surveillance météo. Les spéléologues du SC des Vans sont déjà entrés par l'issue artificielle. Peyrejal est déjà équipé et nous entrons, toute l'équipe. On sait que l'on va passer plusieurs jours et nuits ici. Nos sacs de matériels sont pleins, tout est là et nous emmenons notre 2 ème dérouleur. Il nous servira pour plonger le 4 ème siphon.

Passage du 1 er siphon, puis du 2 ème , le 3 ème , je passe sur les détails, c'était difficile. Nos lignes téléphoniques sont tirées et nous laissons des EE8 et une personne en attente, tout le long de ce réseau. Il faut rendre hommage aux copains qui sont restés en poste, en attente pendant des heures, voir même des jours ! Leur seule distraction, « bouffer » des aliments énergétique, cela passe le temps et utiliser le téléphone pour faire un brin de causette avec les autres ! Recharger en pierres de carbure le réservoir du casque est aussi un bon passe temps !

Nous sommes entrés dans Peyrejal : Henri P., Henri B., Bob, Guy, Marcel, Yves, notre Pépé chéri ! Daniel B., Serge et moi.

Neuf personnes ! Au final, il n'y aura plus qu'Henri P., Pépé, Bob, Marcel, Daniel B. et moi.

Dernier relais, tous les autres sont restés à l'arrière, seul Guy est là, avec nous, devant le départ du 4 ème siphon.

•  Bon on va y aller !

•  On a la boite topofil, allons-y, il faut tout topographier !

Il faut dire que nous avions perdu la notion du temps. On avait quelques nouvelles de l'extérieur, la sonnerie des EE8 tintant parfois. Guy allait rester ici, au dérouleur. C'était notre dernière chance de réussite. Si nous ne trouvons rien de nouveau, il faudrait revenir, en se donnant d'autres moyens ! En attendant, on ce préparait pour plonger ce 4 ème siphon :

«  On va partir, Henri, Bob et moi, disait Marcel,

•  Ok, dans 3 minutes on vous rejoint, Denis et moi ! répondait Pépé

•  Ca marche, on y va, on verra bien !!

Les copains disparaissaient dans ce siphon :

•  On va attendre un peu, me dit Pépé.

•  Oui, j'espère que ça continue plus loin !

•  On a nos sacs « texair » avec nous, on verra bien !

En fait, on était perdus dans nos pensées !

•  Siphon franchi les gars ! nous dit Serge.

•  Ok !

•  Ils confirment et demandent une liaison téléphone !

Serge basculait en liaison vocale, abandonnant, momentanément, le visuel.

•  Allo ?

•  Ok, je te passe Pépé !

•  Oui, comment va ? demandait Pépé

Conversation, je ne savais pas ce qu'ils se disaient.

•  On vous rejoint Denis et moi, à tout de suite !

•  On y va ?

•  Ouais, ça continue derrière !

•  Et bien on va y aller !

•  Allez les gars, nous dit Serge, bon courage ! »

On s'est engagés, Pépé devant moi. Nous étions sur mousquetons coulissants, sur le fil d'Ariane. La profondeur n'est pas importante, une moyenne de 18 mètres. C'est la longueur du siphon qui impressionne ! 200 mètres à franchir, dans des conditions relativement peu difficiles. Nous avons débouché et retrouvé nos 3 copains.

«  Bon, salut les gars !

•  Bien, on y est, on a topographié le siphon, maintenant on va continuer !

•  Pas mal cette galerie !

•  Oui, on a à faire !

•  Ok, on continue et on topographie ! »

C'est parti, la galerie est de bonnes dimensions. Notre problème, c'est de franchir des lacs et rivières. De l'eau jusqu'au cou ! A part ça, tout va bien et nous progressons assez vite. Nous n'avons plus de communication possible avec les équipes restées à l'arrière. Nous topographions 500 mètres de galerie. Et on se retrouve devant ce qui semble être un 5 ème siphon.

«  Bon, on va plonger là-dedans les gars !

•  Oui, on va y aller !

•  On n'arrête pas !

•  Rien ne nous arrêtera ! »

On plaisantait un peu. Cela faisait des heures que nous étions engagés dans ce réseau inconnu. Quel jour on était, quelle heure dehors ? Bonne question, on n'en savait rien ! On se fichait éperdument de cela, on allait aller voir, passer ce nouveau siphon !

Présentement, on se trouvait devant ce qui semblait être un 5 ème siphon.

«  Va falloir s'organiser ! disait Pépé

•  Oui, on ne va pas tous partir à la fois…

•  Ok, le problème, c'est qu'on n'a plus de fil d'Ariane…

•  Tant pis, on va se servir du fil topo !

•  Ok, qui va voir ce qu'il y a de l'autre coté ? »

Nous étions tous volontaires, bien évidemment ! Daniel B. s'engage. Il disparaît dans l'eau, entraînant le fil topo avec lui. J'étais prêt à partir aussi, Bob derrière moi. Difficile de décrire ce qui se passe dans ces moments-là ! Je m'engageais à mon tour. Ce siphon est très court et j'arrivais vers Daniel. Nous étions dans l'eau, presque jusqu'au cou !

« Comment ça va, ça se présente bien ?

•  Pas mal Denis.

•  On peut continuer on dirait ?

•  Oui, j'envoie un signal aux autres, à coup de secousses sur le fil.

•  Ok

•  Ca va mal, on n'a presque plus rien pour continuer, plus de fil d'Ariane !

•  Dis leur de venir, on verra bien !!

Henri, Pépé, Bob et Marcel, nous ont rejoint. Dans la flotte jusqu'à la poitrine, on regardait plus avant.

•  Ca continue ici !

•  Oui, j'y vais dit Daniel

•  Ok, je te suis, fais-moi un signe dès que tu peux. »

Je lui répondais et me préparais à passer ce nouveau siphon. On avait déposé nos scaphandres principaux, on ne plongeait qu'avec notre ventral de secours pour ces petites reconnaissances ! Mon scaphandre était déposé quelque part à l'arrière…

C'est tout bête, tous ces efforts pour en arriver là ! J'ai bien cru que nous ne pourrions aller plus loin. Je tenais le fil d'Ariane et je m'engageais dans l'eau. Le fil tendu a mort, je sentais bien Daniel à l'autre bout !! Dans la flotte jusqu'au menton, j'apercevais la lumière du phare de Daniel, entre l'eau et la voûte rocheuse. En réalité, on avait affaire à une voûte mouillante :

« Le câble ! gueulait Daniel

Je parvenais à l'entendre et à voir la lumière de son phare :

•  Je tiens le fil Daniel !

•  Oui, mais il est trop court, donnez moi du mou !

•  On va voir ça Daniel !

•  Y'a quoi Denis ? me demandait Bob

•  Pas assez de fil, il n'arrive pas à sortir complètement de l'autre coté…

•  Tu le rejoins ?

•  Oui, mais il nous faut une solution, pour rallonger notre fil d'Ariane !

•  On ne va pas se faire chier !! a déclaré solennellement Pépé ;

Les sangles de nos sacs « texair » sont mises bout à bout. J'avançais dans l'eau et j'entendais Daniel gueuler :

•  Ca ne suffit pas, rajoutez quelque chose !

•  C'est le bordel !

•  Oui ben ça va, je vais bientôt me noyer si ça continue !

Il est vrai que je devais prendre mon détendeur pour respirer, j'avais la tête presque sous l'eau, ce fil d'Ariane était tendu, tiré de part et d'autre.

•  Putain, fais chier ! grognait Pépé

•  Ben faites quelque chose, je dois rejoindre Daniel, mais ça ne va pas là !

•  Bouge pas Denis, je vais te donner du mou, tu vas voir ! »

Je ne risquais pas de bouger, coincé comme je l'étais, à deux doigts de me noyer ! Je plaisante, mais j'étais vraiment « emmerdé ». Je regardais Pépé défaire les lacets des ses « pataugas ». On ne dirait pas, mais un lacet de 80cm de long, plus un lacet de 80cm, cela fait 1,60mètre !

« Voilà, Denis, démerde-toi avec ça !

•  Merci Pépé ! »

Ça pouvait aller, entre les sangles des sacs, plus les lacets des chaussures de Pépé, je partais à la rencontre de Daniel. Il est vrai que ce n'était pas un siphon, mais simplement une voûte mouillante. Malgré tout, je respirais sur mon détendeur, l'espace entre l'eau et le plafond rocheux n'étant que d'une dizaine de centimètres !

«  Ca va Daniel, on a mis des rallonges sur le fil !

•  Tout va bien, Denis, regarde ça, ça continue !

•  On fait venir les autres et on continue !

•  Ok »

Nous avons lancé un signal codé, sur le fil d'Ariane. Henri P., Pépé, Bob et Marcel, nous on rejoint. Nous étions de nouveau tous réunis. Nos ventraux de secours sur la poitrine, nous sommes partis dans cette nouvelle galerie. On topographiait tout !

Notre parcours a duré presque 2 heures. 2 heures pour faire entre 500 et 600 mètres ! Comme d'habitude, dans toute expédition, Peyrejal nous a donné une solution finale. Mais attention, ce n'était pas beau à voir ! Nous sommes arrivés près d'un chaos démentiel, composé d'énormes roches accrochées dans tous les sens ! On osait tout juste se parler. On chuchotait :

« T'as vu ce merdier ? disait Bob

•  Faut qu'on fasse gaffe !

•  Je vais voir par là… »

On se parlait très doucement, on n'osait pas élever la voix ! Rien n'était rassurant. Il me semblait qu'il fallait aller voir. Je ne suis pas plus courageux qu'un autre, mais je partais voir, appréhendant, à tout instant, la chute d'un rocher… La trouille au ventre, je me faufilais de quelques mètres, à travers ces blocs de roche.

J'ai du ramper un moment, essayant de me convaincre que mon corps est très léger et qu'il ne dérangeait en rien ces énormes choses, bloquées autour de moi. A quelques mètres, j'ai pu apercevoir une étroiture remplie d'eau. Etait-ce une voûte mouillante, ou un nouveau siphon ? Daniel et Bob me demandaient, en chuchotant, ce que je voyais. J'avais tellement la trouille que je n'osais pas leur répondre. En faisant le moins de bruit possible, de peur d'être écrabouillé, par ces blocs qui pesaient sûrement plusieurs tonnes, je m'allongeais dans l'eau. Au milieu de cet enchevêtrement dangereux, j'avançais prudemment. J'ai vite reconnu, là, le terminus définitif. Trop étroit, pas de possibilité d'aller plus loin. Comme d'habitude, je me tapais une marche arrière, avec les pieds palmés !! Pas terrible, je ressortais de là. Les copains me demandaient ce que j'avais vu. Mort de trouille, je n'osais pas leur répondre, les roches semblaient nous regarder. Ces rochers avaient vraiment l'air de nous surveiller et il semblait qu'au moindre tressaillement, ils étaient prêts à choir sur nous !

Nous sommes partis de cet endroit de folie, en sécurité dans la galerie, j'ai pu répondre à leurs questions :

« Dommage les gars, mais on ne pourra pas aller plus loin !

•  Tout est topographié !

•  Bien Denis, on se tire d'ici, ils nous attendent tous, sur le parcours

et dehors !

•  C'est tout bien !

•  Oui, nous la tenons notre liaison Sauvas-Peyrejal

•  Exact, on met nos topos à jour et c'est fini, on saura tout !

•  Allez les gars, on se casse d'ici et on ramasse tout au retour.

•  Oui, allez, on part, on ne reviendra pas ici, regardez bien tout !

•  Ok, sauvons nous ! »

L'aventure de cette jonction Goule de Sauvas - grotte de Peyrejal se terminait à ce moment là. 7 années d'explorations en tout et pour tout. Des moyens et des forces humaines mises en oeuvre que l'on ne peut soupçonner. Nous mêmes avions de la peine à prendre conscience, réellement, de ce que nous avions entrepris, pendant toutes ces années. Seules les topographies et quelques articles apparus dans les journaux, nous montraient l'étendue de nos travaux dans toutes ces grottes !

Bien joué !