L'émergence de la Doux de Coly
Bilan des explorations de 1981 à 1984 Article paru dans « Spéléo-Dordogne » bul. du Spéléo-Club de Périgueux n°92
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La doux de Coly est incontestablement l'une des plus belles sources de France. La visibilité qui peut y dépasser 25 à 30m lors de sécheresses persistantes permet d'apprécier l'ampleur de ses vastes galeries dont la beauté ne laisse jamais insensible même les plongeurs les plus blasés.
Situation géographique La source de Coly, ou Doux de Coly, s'ouvre au bord d'une vallée encaissée, à) 2 km du bourg de Coly, sur le territoire de la commune de La Cassagne, en Dordogne. Ses coordonnées Lambert sont : X=517,8 Y=397,9 Z=116m Exploration Quelques incursions dans les années 60 permirent de progresser d'une cinquantaine de mètres dans le vaste conduit peu profond qui caractérise le début du siphon. En 1971, P.-J. Debras, lors d'une plongée remarquable, progressa jusqu'à près de 365m de distance, atteignant ainsi la profondeur de 52 m. En 1981, grâce à la bienveillance du propriétaire de la source (qui s'ouvre sur son terrain) nous pûmes, en cinq jours d'expédition, porter le point extrême à 1760m de l'entrée (-54). En 1983, nous y consacrâmes douze jours qui ne permirent qu'une seule progression jusqu'à 2100m (-53). Un débit continu sur un détendeur diminuant l'autonomie du plongeur de pointe. Au cours de cette plongée, un film vidéo de 26 minutes fut tourné : « La pointe ». Cet intéressant court métrage qui passa à deux reprises sur Antenne 2 nous laissa un certain « goût d'amertume » . Le journaliste qui dirigeait les opérations de tournage s'attribua en effet rapidement la paternité de cette uvre qui fut couronnée au Festival de la Chapelle en Vercors. Un minimum de « fair-play » de sa part aurait été de faire figurer au générique de « son film » le nom des plongeurs de notre expédition qui ont tourné l'intégralité des prises de vues sous-marines. De nombreux incidents techniques sur nos propulseurs marquèrent la fin de notre séjour qui fut, globalement, un échec. 1984 : forts de nos malheureuses expériences, en utilisant du mélange ternaire (1) et avec des propulseurs enfin efficaces et fiables, nos atteignîmes successivement 2630m (-48), puis 3100m (-32) en deux pointes de huit heures et dix heures quarante, et ceci malgré des conditions de visibilité très moyennes pour le siphon (huit à dix mètres au maximum). Une troisième tentative ne put finalement être envisagée, à cause de la fatigue. Il aurait fallu en effet porter un scaphandre ventral à 1900m et nous n'étions que trois plongeurs à nous relayer journellement, pour déposer et reprendre la quasi totalité des relais (à l'exception de ceux de 270 et 700m). De surcroît, l'autonomie de nos propulseurs touchait à ses limites (signes de fatigue en fin de plongée pour le scooter le plus utilisé).
Bilan et perspectives futures
A la suite des explorations de cette année, la Doux de Coly devient ainsi le plus long siphon mondial actuellement connu , aucune poche d'air, ou surface, n'apparaissant sur les 3100m de son trajet souterrain (2). Il ne s'agit pourtant pas d'un « record du monde » de distance en plongée. Parler de record de longueur, ce serait mettre en exergue une performance en faisant abstraction des différences souvent considérables (profondeur moyenne, turbidité etc.) existant entre les siphons au niveau de la difficulté à y pénétrer. L'exploration de la suite de ce « supersiphon » mérite d'être entreprise, ne serait-ce qu'à cause de la profondeur atteinte, au point extrême de notre pénétration, qui laisse un espoir de sortie à l'air libre. Une progression importante au-delà du terminus actuel exigera un matériel plus performant, ce qui risque de poser de douloureux problèmes financiers à notre équipe d'amateurs, qui n'est soutenue par aucun sponsor. Ceci dit, nous espérons, tout de même, pouvoir envisager une nouvelle incursion dans ce fabuleux conduit. Description du siphon La vasque d'entrée est imposante (20 x 25m). Le siphon débute à 7m. La hauteur de la galerie, triangulaire en ce point, n'est que de 1,7m pour 4 de large. Le plancher est recouvert par un important dépôt, sous forme d'un éboulis de galets calcaires de petit diamètre, qui se prolonge jusqu'à 9. Là, le conduit principal, en joint de stratification, ainsi que la collatérale en rive gauche, part à l'horizontale. Jusqu'à 273m (début du puits), il se maintient constamment aux alentours de 8m de profondeur (maximum 10m à 105m de l'entrée, minimum 5m au bord du puits). La galerie est toujours vaste, soit en moyenne 5 à 6m de large pour 3 de haut (à 190m, la largeur passe même à 10m). Le puits vertical de 6 à 8m de diamètre, qui suit cette galerie, descend d'un seul jet à 35m où un court tronçon en pente, à fond sablonneux, aboutit à un palier à 45m (325m de distance). A 405m, après une nouvelle descente, le point bas du siphon est atteint, soit 57m, lu au profondimètre. Au-delà, après une légère remontée, le conduit d'une largeur de 5 à 7m et haut de 2 à 3m se prolonge très régulièrement, autant par ses dimensions que par sa profondeur (-54m). Entre 800 et 1200m, celle-ci diminue encore et passe sur un court tronçon à 49m, avant de reprendre ses valeurs « standard » (53/54m). Sur le secteur 1800 2150m, l'aspect de la galerie change quelque peu : elle est plus sinueuse, le sol est fréquemment jonché de gros blocs, contrastant avec le plancher en général sablonneux qui précédait. Plus loin, le conduit reprend une allure moins tourmentée. A 2250m environ, un ressaut d'une dizaine de mètres permet d'atteindre le côte 42m où la galerie repart à l'horizontale sur une petite cinquantaine de mètres. Un nouveau ressaut ramène alors une fois de plus le conduit à sa profondeur initiale, avec toutefois une très légère tendance à remonter qui se traduit par une valeur de 48m à 2630m de distance. Environ 150m plus loin, apparaît enfin un changement sous forme d'un vaste puits remontant à plus de 45°, de dimensions imposantes (près de 10m de diamètre par endroit). La galerie horizontale qui lui fait suite au niveau du plafond, soit à 32 est de dimensions plus modestes (5m x 3m). Vers 2900m, sa forme devient très pure, le conduit ressemblant de plus en plus ç un tunnel de métro de 5m de large et 4m de haut, au plancher recouvert presque uniformément de sable. Il se poursuit ainsi jusqu'à 3100m (-32) en de longs tronçons rectilignes espacés de virages peu parqués. (3) Topographie (par P. Schneider) Topographier 3100m de siphon à l'aide des instruments habituels est inimaginable. C'est pourquoi nous nous sommes limités à la zone intéressante de la source (du point de vue topo), soit les 450 premiers mètres, qui permettent de déboucher dans la galerie profonde à l'évolution peu marqué par la suite, tout au moins dans le plan vertical. La topographie se faisait à deux plongeurs, le premier visant au compas de relèvement l'éclairage du second, placé sur le fil d'Ariane préalablement mesuré (marqué tous les dix mètres. Du point de vue de la précision, celle-ci est très acceptable jusqu'au puits : degré BCRA 3 B. En profondeur, les visées furent moins longues (paliers obligent !), les dimensions du conduit ne furent pas mesurées systématiquement au décamètre, comme plus haut. Lors du transport des relais, des visées à la boussole de poignet ont été réalisées, notamment à 1000 et 1500m (long passage rectiligne). Le cap de 115 120° nous a confirmé la direction générale du conduit qui s'oriente en un axe E-SE grossièrement parallèle à la vallée sèche dite du Tizier (voir schéma géologique).
Géologie, hydrologie
Nous ne nous attarderons que sur les rares observations réalisées au cours de l'exploration, une étude détaillée ayant déjà paru à ce sujet dans Spéléo-Dordogne ( n°86 spécial Coly, 1983). La source, dont le débit varie de 100 l à près de 11m3/seconde (module environ 1m3/s) s'ouvre dans les calcaires jurassiques du bathonien inférieur. Sur l'ensemble du secteur à faible profondeur, les parois et le plancher du conduit sont très corrodés (présence de « dentelures »). Le plancher est fréquemment surcreusé de belles marmites d'érosion (parfois près de deux mètres de diamètre). A 270m, la margelle du puits est encombrée de blocs souvent instables sur lesquels des fossiles furent observés (ammonites ?). Plusieurs vires argileuses s'étagent dans le tiers supérieur de celui-ci, contrastent avec la verticalité des parois, à partir de quinze mètres de profondeur. Morphologiquement parlant, le puits d'abord sub-circulaire se complique rapidement en se dédoublant par un conduit secondaire aboutissant également à 35m de profondeur. Bien qu'aucun échantillon n'ait été prélevé tout au long des parois de celui-ci, il semble plausible de penser que le puits constitue un passage du bathonien inférieur aux calcaires massifs du bajocien. Hypothèse peut-être confirmée par l'aspect des galeries de la portion profonde du siphon qui ne présentent pas les particularités morphologiques vues plus haut. Quant au puits ascendant, situé à 2800m, sa remontée n'est pas suffisante pour rejoindre à nouveau le Bathonien. Ce dernier puits correspond-il tectoniquement parlant à la faille d'orientation presque NS qui se dessine au nord de la Cassagne (voir schéma géologique) ? Hypothèse gratuite justifiée uniquement par la distance parcourue et l'orientation générale du conduit. La progression importante réalisée dans la source du Coly ne résout pourtant pas les énigmes posées par ce gros collecteur souterrain dont les dimensions contrastent singulièrement avec celles des cavités de son bassin d'alimentaiton. Le S.C.Périgueux a, depuis 20 ans, exploré systématiquement les laminoirs souvent infâmes qui les caractérisent, sans aboutir au collecteur. Parmi les cavités intéressantes, on retiendra surtout l'évent de la Bouygue très proche (moins de 500m de la source) qui constitue le trop-plein aval du réseau et qui par son orientation générale, devrait aboutir tôt ou tard au collecteur principal (SD n°80 p.13 à 17). Egalement remarquables sont les pertes de Jayac (5, 430 km à vol d'oiseau) et de la Beylie (11 km) qui, bien qu'impénétrables, ont été reliées à la source par des colorations. L'exploration future de la rivière du Coly s'annonce donc difficile car si aucune découverte « aérienne » importante n'est réalisée, progresser au-delà du siphon, en admettant qu'il soit franchissable, ne sera pas de tout repos. Données techniques Méthodes de progression et équipement du siphon. Le plongeur de pointe partait équipé d'un dorsal 4 ou 5 x 20l. Il respirait de l'oxygène pur jusqu'au haut du puits (4) profondeur moyenne 8m en ce premier secteur, puis il passait sur air comprimé (ventral 2 x 10). A 450m, il enfourchait ses deux coursiers couplés (Aquazepp 714 modifiés). A 700m, 1100 et 1500m, étaient disposés des ventraux 2 x 12l, le relais de 1500 mètres contenant déjà un mélange ternaire (10% he).Au-delà de 1900m, le plongeur passait enfin sur son scaphandre dorsal. Au point extrême atteint par la pointe précédente, il procédait au découplage des propulseurs, et le fil d'Ariane était déroulé tout en chevauchant un seul Aquazepp, opération délicate obligeant à une grande concentration. Par cette méthode, le fil prenant systématiquement la corde à chaque virage et le nombre des points d'amarrageétant fort limité, nous pouvons assurer que les distances annoncées ne sont en tout cas pas exagérées. Au niveau de la sécurité, en plus du mélange ternaire (voir plus loin), nous disposions de trois relais secours à 550, 900 et 1300m. Chaque plongée était calculée en fonction d'un retour entièrement à la palme à partir du point extrême. A titre indicatif, les « réserves respiratoires » du plongeur s'élevaient à environ 50m3, abstraction faite des relais secours. Aux paliers qui se faisaient presque intégralement dans le puits, le plongeur disposait de toute une série de bouteilles de surox de 35 à 70% (5) fixées aux échelons d'une échelle de spéléo, méthode qui nous a donné entière satisfaction. A 12m, il respirait en alternance du surox 70% et de l'oxygène pur dont l'usage devenait exclusif dès 9m, un plongeur de soutien fonctionnant en surveillance. De plus, plusieurs outres déformables permettaient de boire toutes les heures une solution hyperglucidique. A 6m, le plongeur revenait tranquillement jusqu'à la vasque d'entrée, où il terminait sa décompression. Pour un séjour de 145 min en profondeur, le temps consacré aux paliers peut paraître excessif. Il aurait pu être certainement écourté d'une heure sans trop de problèmes. Nous avons préféré nous entourer du maximum de précautions du fait qu'un incident au niveau du puits aurait pu poser de très délicats problèmes. D'autre part, les efforts non négligeables fournis en profondeur alliés à la fatigue initiale due à de nombreuses plongées préalables bien au-delà de 800m nous ont fait préférer une attente un peu prolongée sous les flots à un séjour en caisson dont nous ne possédions aucun exemplaire à proximité du siphon. B) Mise au point et adaptation du matériel. 1) Propulseurs Le gros problème et la « source » de tous nos ennuis en 1983. Sans qu'il y ait eu de manque de préparation, nous avons pu constater à nos dépens que si les Aquazepp sont des scooters présentant et de loin le meilleur rapport prix / performance, au niveau de la fiabilité par contre, pratiquement tout est à reprendre ou à modifier. Ce qui fut fait, non sans mal. Nous ne nous attarderons pas sur toutes les transformations opérées, qui font que nos engins ne ressemblent plus beaucoup aux originaux ! En outre (sécurité et vitesse obligent), le couplage de deux engins était impératif pour progresser valablement. La- mise au point de ce « coupleur » ne fut pas non plus une mince affaire et exigea de nombreuses séances d'essai en lac. 2) Scaphandres et combinaisons Nous n'avions pas de bouteilles en fibre composite car, à notre connaissance, aucun modèle n'est livrable en Europe avec une contenance acceptable rendant leur haute pression de gonflage (qui nécessite en outre un compresseur et des détendeurs idoines !) concurrentielle avec les bouteilles standard. Nous avions prévu de diminuer la traînée des 20 l en remplaçant les culs de bouteille existants par des culs hydrodynamiques. Aucun essai préalable n'ayant eu lieu en siphon, nous n'osâmes pas en faire usage, ce qui fut certainement une erreur. Pourtant, seuls des essais comparatifs pourront démontrer s'il s'agit d'une amélioration aux importants problèmes de traînée nuisant à une bonne pénétration hydrodynamique. Du point de vue des combinaisons nous disposions, en plus de celui propre à chaque volume variable, de deux systèmes indépendants d'équilibration. Concernant le mélange gazeux respiré, nous inaugurions un ternaire à faible teneur en hélium. Vu la profondeur située en général à53/54m, cela peut surprendre. En réalité, si à l'air comprimé, une plongée d'incursion, même jusqu'à 80m, présente peu de problèmes de narcose, de longs séjours (au-delà de 90 min) à 50m éprouvent grandement l'intellect du plongeur dont la faculté de concentration diminue très sensiblement. Le pilotage simultané de deux engins se déplaçant à 3 km/h étant difficile et exigeant une attention soutenue, il aurait été délicat voire dangereux d'envisager des temps d'immersion en profondeur supérieurs à 100 ou 120 minutes. Le mélange ternaire nous a sur ce point entièrement conquis, le plongeur étant dans un état de fraîcheur absolument remarquable durant et après chaque pointe. En outre, le refroidissement dû à l'hélium n'a pas été sensible de par sa faible teneur dans le mélange. Plongeurs ayant participé aux expéditions Equipe de base : F.F.S. F.F.E.S.S.M. : G. Bugel, X. Goyet, C. Locatelli G.L.P.S. : J.J. Bolanz, O. Isler, C. Magnin, P.Schneider. Ont également participé, tous groupes confondus : J.L. Camus, J. Locatelli, R. Le Pennec, P.Perraccini, R.Pisu, J. Romestan, J.L. Thévenin, C. Touloumdjian. Plongeurs ayant participé au film « La pointe » Cameramen : C. Magnin et P. Perraccini Eclairage : J.L. Thévenin Remerciements A Monsieur Jean Vaux et à son épouse pour leur accueil chaleureux et l'intérêt qu'ils ont manifesté pour nos recherches. A Monsieur Christian Locatelli (Lulu), directeur de la commission plongée de la Fédération Française de Spéléologie (F.F.S.). A Monsieur Claude Touloumdjian, Directeur de commission plongée souterraine de la Fédération Française d'Etudes et de Sports Sous-Marins (F.F.E.S.S.M.). A la famille Poarel de Chacoly. A toutes les personnes qui, par leur bonne volonté, ont permis ces explorations. Notes Soit de l'azote, soit de l'oxygène et de l'hélium en faible teneur (15 à 20% maximum). En plongée souterraine, on parle de poche d'air s'il ne s'agit que d'une cloche au plafond ; et de « surface » si le siphon « sort ». La progression a été stoppée en ce point par suite des limites d'autonomie des propulseurs et du plongeur. Au-delà, on arriverait dans une zone très dangereuse en cas d'incident grave. Sur les 270 premiers mètres du siphon, la profondeur évolue entre 6 et 9 mètres. L'emploi de l'oxygène pur s'impose donc, car il n'y a pas de risque d'hyperoxie (intoxication par l'oxygène sous pression). D'autre part, comme de la sorte le plongeur ne se sature pas en azote (cause d'accidents de décompression), le temps de parcours « à la palme » jusqu'en haut du puits, est en quelque sorte neutralisé. La « plongée réelle » commence donc au départ du puits.
(5) Mélange suroxygéné. L'air normal contient environ 21% d'oxygène et 79% d'azote. |
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