par Pierre-Eric Deseigne |
Lorsque Fred (Badier) m’a téléphoné pour me proposer de l’accompagner dans une plongée à la source du Castor, dans les gorges de l’Ardèche, je lui ai dis oui, sans même consulter les hautes instances familiales quant aux disponibilités printanières, faisant confiance à leur légendaire tolérance… Tout d’abord programmée début mai, la visite a été reportée à la Pentecôte. La pluie gonflait le cours des rivières et les plongeurs par la même occasion. Remplis d’optimisme et d’ambition, nous rêvions déjà de sortir le siphon, d’escalader la salle, de trouver une galerie vierge, de découvrir les fabuleuses peintures rupestres. Entre deux songes, nous préparions nos mélanges. Enfin, le jour du départ est venu. Après avoir rempli la Kangoo avec les blocs, le compresseur, les propulseurs et tout le reste, je quitte l’agitation francilienne. A peu près au même moment, Yann Chevolot délaisse le temps de ce week end, les alpages helvétiques, pour nous donner un coup de main pour la mise en place de toutes les bouteilles dans la source. Le lendemain, nous voilà tous réunis au bord des gorges. Nous entassons avec soulagement les charges sur le téléphérique du camping des Templiers ! Nous évitons ainsi un portage "monstrueux ". Tout le matériel est descendu en 5 ou 6 navettes. Enfin nous pouvons charger les canoës pour acheminer en deux voyages l’ensemble des blocs à l’entrée de la source. Cette remontée de l’Ardèche, à contre courant pour atteindre l’entrée présente deux risques majeurs. Le premier, se retourner avec tout le matos et le voir s’enfoncer des les eaux dorées de la rivière. Ensuite, essayez de prendre l’autoroute à contre sens, un jour de départ en vacances… ! Les hordes de kayak nous fonçaient dessus sans aucun égard pour notre chargement et pour notre aspect pachydermique. Ensuite, nous partons tous les trois déposer l’ensemble des blocs de déco, de sécurité et les relais dans la galerie. Soit une douzaine de bouteilles environ. Fred partait un peu plus léger que moi, car équipé de son double recycleur, il parvient à réduire la taille et le nombre des bouteilles. Magique… ! Et moi pauvre spéléo de l’âge de pierre, je me traîne avec mon fardeau… Enfin le dimanche matin, après une bonne nuit, nous sommes prêts à parcourir les 600 mètres qui nous séparent de notre quête. C’est parti, la course contre la montre commence. Nous nous sommes fixé 40 minutes maxi pour atteindre le point bas vers –68. Tractés par les propulseurs, nous palmons pour accroître notre vitesse. Nous redécouvrons cette grotte magnifique. La galerie explose de beauté, grande, large, blanche, sublime ! Les images reviennent. La roche claire se détache de la pénombre. L’eau limpide laisse nos éclairages puissants se diffuser au loin. Notre progression est rythmée par les arrêts incontournables. Fred change d’embout et avec un recycleur cela prend un certain temps. (Il faut bien des inconvénients quand même… !). J’en profite pour prendre le large, car avec mon Apollo, je ne tiens pas la distance contre le Zep. Nous sautons de relais en relais. A chaque fois, j’en profite pour admirer cette merveille de la nature. Fred me double plein pot et je le rejoins quelques instants plus tard. Nous entamons le parcours bas, dans la zone des – 50. La progression se ralentit car en plus du bi 20 dorsal, j’emmène deux blocs pour la décompression de l’autre côté. Le mélange ternaire remplit son rôle, c’est " l’effet Dive Cool " ! Nous abandonnons les propulseurs, suspendus au fil comme du linge à sécher sur la corde. Nous sommes en avance de 5 minutes sur nos prévisions, ça baigne ! Nous entamons la remontée. Nous frôlons le plafond, nous effleurons l’arrête rocheuse. La galerie resplendit de beauté et moi j’éclate de bonheur. Un peu plus loin nous passons au-dessus d’une lame de calcaire, ajourée. La galerie se divise en deux, nous passons dans la partie haute, et nous apercevons le sol en dessous de nous, à travers la " lucarne ". Les dimensions du conduit doublent, triplent peut être… Mes yeux émerveillés tournent en tous sens, afin de saisir cette merveille. L’eau toujours aussi limpide nous permet de profiter totalement de ce trésor. Je ressens le même émerveillement du gamin devant une vitrine de Noël. La mâchoire pendouille, le souffle coupé, j’engloutis cette vision féerique. Punaise que c’est beau. Immense, une beauté démesurée, une overdose. Le grand shoot ! Bon il faut redescendre du petit nuage et attaquer les paliers. Nous remontons la pente d’argile et nous rentrons dans un autre nuage, moins poétique, celui de la touille. Ceci dit, avec Cul Froid, je ne crains plus rien de ce côté là. Après l’attente momentanée, nous sortons. Du moins, nous essayons de trouver la sortie. Je butte sur un plafond, très vaste, aux proportions de la galerie. Après un tâtonnement momentané, nous émergeons enfin dans la salle. Ca y est , comme nos glorieux prédécesseurs, nous venons de sortir le Castor. D’autres l’ont fait avant nous, peut importe. Le plaisir reste le même. Nous inspectons la salle, à la recherche de la suite tant attendue. Nous inspectons aussi les abords inondés immédiats. Mais à priori rien ne se révèle à nous. Il s’agit d’une faille aux parois glaiseuses et abruptes. Après 20 minutes à farfouiller de ci de là et devant l’absence de suite (adieu galeries vierges, peintures rupestres et sculptures pariétales….) nous décidons de quitter les lieux rendus inhospitaliers par la présence de gaz carbonique. La visibilité jusqu’au point bas a sérieusement diminué. Nos barbotages sur la pente d’argile auraient affecté celle ci ? Ensuite, nous retrouvons l’eau claire, nos propulseurs et nos relais… Je profite des derniers moments de plongée pour voler encore des images fabuleuses. Je dérobe ces impressions furtives, d’eau limpide, de bleu profond. La longue litanie des paliers se déroule lentement et sans surprise. Nous nous posons enfin à 6 mètres et nous attendons sagement la permission de sortir de Monsieur Déco. (Celui qui décompresse plus blanc..) Ici la grotte ne ressemble en rien à la partie plus éloignée de l’entrée. Les dépôts et les sédiments recouvrent la roche et le sol. Une ambiance sombre et grise règne dans le coin. Un nuage sale nous enveloppe. Nous croisons Yann, il vient aux nouvelles et il va vider la source de toutes les bouteilles que nous lui avons laissées. Le moins possible, bien évidemment. On n’est pas des salops ! Nous ressortons tous, chargé comme des mules, mais si heureux de cette belle ballade souterraine. Nous entassons l’ensemble sur les bords de la source. Et là nous respirons à plein poumons l’air chaud et parfumé de cette soirée de printemps. Le soleil brille encore, le ciel bleu couvre le haut des gorges Des canoës retardataires terminent la descente. Et encore une fois, je déborde de joie et de bonheur devant tant de beauté et de plaisir. Le rêve du Castor se termine mais il en reste encore tellement d’autre…Nous ne sommes pas prêts de tous les assouvir et de les réaliser et c’est tant mieux.
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