Puits des Bans / Saint Disdier – Hautes-Alpes
Du nouveau dans le puits des Bans
Par Philippe BERTOCHIO |
Un peu d'Histoire La première plongée dans le puits des Bans date de 1946. Jean Marty réalise un exploit pour l'époque, au sortir de la guerre, trouver un scaphandre "Georges Comheines" modifié et le monter sur le Dévoluy. Il parcourra une centaine de mètres dans la suite exondée. Mais il s'agissait alors du siphon à 20 m de l'entrée. Après un difficile pompage et quelques travaux pour faire descendre le seuil aval, réalisés par J. Marty et A. Bourgin en 1948, le siphon Marty laissera définitivement place à une voûte mouillante. Ils atteindront alors la cote -155 m, arrêtés par un niveau d'eau relativement haut. En 1960, le GSPSIF, en collaboration avec le SC de Gap, reprend les explorations mais se confronte à un siphon à la cote -207 m. Souhaitant la participation de toute l'équipe à l'exploration, le groupe choisira de pomper le siphon plutôt que de le plonger. Le franchissement du siphon 1 sera réalisé en 1964, après trois jours de pompage continu. La suite, une galerie chaotique et exondée sur 311 m, permet l'accès au siphon 2 à la cote d'étiage de – 217 m. En 1966, la même équipe tente, en vain, de pomper le siphon 2 qui ne montrera aucune modification de niveau. En 1970, avec la même équipe, deux plongeurs varois : M. Lopez et A. Matéoli, sont invités à reconnaître le siphon 2. Ils atteindront la profondeur de 12 m avec visibilité jusqu'à 15-20m. Le siphon se poursuit sans espoir d'éviter ce verrou liquide. Il faudra attendre 1981 pour que le siphon 2 soit replongé. C'est F. Poggia qui mouillera les palmes jusqu'à 55 m (cote topo).
Une nouvelle campagne d'explorations pour le Spéléo-Club de GapLes projets sont nombreux : enregistrement des remontées d'eau sur une année par la pose d'un luirographe, traçage chimique avec prélèvements sur plusieurs mois, plongées du siphon 2. Nous ignorions alors que l'aventure serait si longue. En juillet 2000, je pose, avec l'aide de Christian Kupiec, un luirographe conçu par Laurent Morel au départ du siphon 2. Pour la récupération du capteur nous sommes les mêmes plongeurs un an après. En même temps, je prépare une plongée de reconnaissance dans le siphon 2 jusqu'à une profondeur de 40 m. Heureusement que nous avions prévu cette plongée car en juillet 2001 le niveau d'eau est un peu plus haut que d'habitude. Je retrouve le luirographe sous sept mètres d'eau. La plongée reste malgré tout concluante et nous autorise la préparation de plongées plus profondes. Août 2002, les premiers mètres de première. Le problème majeur se révèle rapidement être l'acheminement du matériel d'abord à – 207 m avec une équipe conséquente, puis jusqu'au siphon 2 seulement à deux plongeurs. Le moment le plus critique est la partie post siphon, 300 m de galerie chaotique entre les deux siphons où, nous devons porter tout le matériel à deux. Et le matériel est important car nous avons voulu, dès le début de l'aventure, ne pas transiger sur la sécurité. La plongée est prévue au trimix avec une décompression au nitrox 50 et à oxygène. Mais cela représente cinq bouteilles de plongées à descendre plus tout ce qui va autour. Pour diminuer le temps post siphon, je suis parti avec un bi de 2 x 10 l sur le dos et quelques menus colis dans les mains. Mais enfermé dans la combinaison étanche, le plongeur que je suis prend vite une grosse suée et un début d'essoufflement qui me coûteront cher pour la plongée suivante. Christian, le plongeur de soutien, se chargera du portage des bouteilles de décompression, de l'équipement des ressauts glissants et de l'assistance bien agréable du plongeur « de pointe ». Avant de m'engager dans le siphon 2, je prends le temps de souffler et d'attendre que mon rythme cardiaque revienne à un niveau compatible avec la suite des événements. Vingt minutes plus tard, je m'immerge dans un siphon où le niveau d'eau est au plus bas connu, celui de la topo. A neuf mètres, je pose la bouteille d'oxygène. Elle ne servira qu'à partir de six mètres mais la zone est verticale, rien ne permet de la fixer. Je suis le fil d'Ariane posé l'année précédente. Celui de Fredo Poggia est encore en place sur quelques tronçons. Il a vingt ans ! Je laisse les deux bouteilles nitrox 50 à 18 m sur une banquette de calcite. Tiens ! Des stalactites à presque 20 m sous l'eau... Il faudra que je m'en souvienne. La suite se fait avec le trimix. Ce mélange est très confortable à respirer dans un premier temps car il est plus léger que l'air. Mais sournoisement, à chaque inspiration, il m'arrache des calories. Le froid s'installe insidieusement et ne fera que s'accentuer au fur et à mesure de la plongée. A 40 m, je raboute un nouveau fil sur mon terminus 2001. La galerie est très pentue mais jamais verticale, une succession de grands escaliers inclinés. De l'autre côté de la galerie, je vois toujours le fil de Fredo. Rapidement, - 55 m : le terminus de Fredo, le fil ceinture plusieurs fois un gros rognon de silex. La suite est donc de la première mais les efforts du portage m'ont fait consommer beaucoup plus que d'habitude. Il faut faire vite. Je déroule toujours le fil et j'aperçois de loin un gros bloc sur une marmite de gravier qui semble barrer la galerie. A son niveau, l'ordinateur affiche 62 m de profondeur. Je m'étais donné 70 m maximum, j'ai de la marge. Mais j'arrive maintenant sur mes limites en autonomie de gaz. Le temps de faire le tour du bloc et d'amarrer mon fil, je constate que la suite n'est pas barrée mais se poursuit en laminoir incliné. Je tente un passage pour vérifier la hauteur mais les blocs percutent le plafond. C'est trop étroit. Je fais demi tour et remonte le nez sur mes instruments pour contrôler ma décompression. Les premiers paliers sont tout de suite là et très courts au début. 45 minutes pour revoir la surface, ce n'est pas une décompression très longue. Pourtant, avec l'attente répétée tous les trois mètres, le froid s'est bel et bien installé. Mon corps lutte en tremblant de plus en plus fort pour dégager quelques calories que le Trimix absorbe vite. A 18 m, je retrouve avec plaisir le nitrox, un mélange bien moins froid. Mais les paliers sont de plus en plus longs. A 9 et 6 m, je cherche surtout à ne pas regarder la montre pour espérer voir le temps passer plus vite. Même ma mâchoire s'est mise à jouer des castagnettes. Je redoute celui de 3 m où je dois passer un quart d'heure. Pourtant, celui-là m'apparaîtra presque court. Au bout de deux minutes de tremblements incontrôlables, je vois un petit objet blanc s'agiter devant mon masque. Il semble s'approcher. J'ai d'abord du mal à discerner, puis un peu septique je crois reconnaître un très petit niphargus. Dans le Lot, j'ai souvent eu l'occasion de plonger en compagnie d'une faune très riche. Mais dans le Dévoluy, c'est la première fois que je peux observer, dans son milieu, un troglobie. En plus il paraît très curieux pour ne pas dire familier. Christian m'attend avec un bon café bien chaud. Ça c'est du soutien pour un plongeur « désappointé » et frigorifié. Je mets plus de café par terre que dans le gosier tant je tremble encore de froid. Le coeur est réchauffé, c'est l'essentiel. Le reste se réchauffera vite avec le retour. La suite ressemble fort à l'aller : le démontage, l'emballage du matériel et le portage des charges jusqu'à la sortie du siphon 1. Toute l'équipe nous attend avec impatience pour savoir si – ça continue ? Je raconte avec plaisir une seconde fois mes sensations lors de la plongée ainsi que ma rencontre du troisième type. La plongée est une réussite puisqu'il y a du nouveau. Tous ces efforts n'auront pas été vain. Et c'est avec le sourire que les « sherpas » reprennent leur lourd kit sur le dos pour remonter. Il faudra un jour ériger une statue à tous ces spéléo-sherpas qui ont tant traîné de bouteilles... Août 2004, le retour Deux ans, c'est le temps nécessaire pour préparer une nouvelle pointe et tenter de franchir le laminoir à -62 m. Pourquoi deux ans ? D'abord pour des raisons météos, la période de basse eau dans le puits des Bans ne dure pas très longtemps. Ensuite et surtout parce qu'une plongée profonde réclame beaucoup de temps et d'argent pour son organisation. Il a fallu trouver des bouteilles de grosse capacité (20l) pour assurer l'autonomie, une bouée conséquente pour faire flotter le porte container (c'est moi !) et une combinaison neuve plus confortable que la précédente qui ne me laissait plus respirer. L'achat des gaz n'est pas une petite affaire et là un grand merci à la société Hydrokarst qui m'a fourni un Héliox (Hélium + Oxygène) pour réaliser le Trimix nécessaire. Après, pas mal de bricolage et d'essais pour faire tenir deux bouteilles de 20 litres sur les côtés pour diminuer l'épaisseur de mon équipement et espérer passer le laminoir. Encore quelques plongées profondes en lac pour fignoler les procédures de décompression et je suis prêt. Mais il faut encore une équipe motivée pour une grosse journée de portage. Pour économiser tout le monde, à trois nous descendrons trois bouteilles à -207 m quelques jours avant. La météo est hésitante, moi aussi et c'est seulement deux jours avant que la décision est prise pour la pointe. A quatre, nous descendons le reste du matériel. Les deux plongeurs passent le siphon 1 chargés comme des mulets. Les deux sherpas, Jean-Yves et Serge, remontent en attendant le reste de l'équipe qui descendra pour le retour en fin d'après-midi. Avec Christophe, le plongeur de soutien, nous nous sommes donnés quatre heures post siphon. Il n'y a pas de temps à perdre : les aller-retour pour acheminer les bouteilles, l'équipement et je me retrouve dans l'eau du siphon 2. Là, deux mauvaises nouvelles : la turbidité est importante et limite la visibilité à un mètre ; le fil d'Ariane traîne part petits bouts un peu partout dans la galerie. Je repose donc d'entrée un fil nouveau jusqu'à – 20 m où je peux rabouter sur un fil en place. A – 30 m, je pose les deux bouteilles de Nitrox 40. A – 55 m, le fil est à nouveau cassé. Les crues ont dû être plus violentes que d'habitude. Je retrouve mon terminus de 2002. Le rocher est là, le laminoir aussi. Je m'engage. Ça cogne de tous les côtés mais j'avance de deux mètres. Mais là, je suis coincé. Je me laisse glisser sur la droite puisque cela descend. C'est un peu plus large. Le fond est encombré de gros galets plus ou moins arrondis et la pente reste forte. Les dimensions réduites de la zone m'obligent à avancer lentement pour faire passer mes bouteilles en hauteur et en largeur. Le temps passe vite, les gaz s'échappent encore plus vite. Il est temps de faire demi-tour. L'ordinateur affiche - 78 m. J'espérais mieux mais dans ces conditions c'est déjà 16 m de mieux qu'en 2002. Le retour se fait au rythme des paliers et des claquements de dents. Je me dis qu'on ne m'y reprendra plus... jusqu'à la prochaine fois ! Le retour est lent. Ressortir les bouteilles de 20 litres (25 kg) de – 217 m calme les plus nerveux avec en prime une séance chez l'ostéopathe. La suite Passé le temps du « plus jamais », on se dit qu'il y a encore pas mal de chose à faire. Nous devrons reprendre complètement l'équipement du fil d'Ariane dans les deux siphons et retirer les vieux fils qui flottent un peu partout. Le siphon 2 n'est pas de direction régulière de 0 à – 30 m et une topo serait la bienvenue. Pas grand chose si on fait ça en terrestre mais sous l'eau c'est au moins quatre plongées et autant de portages à organiser. De toutes façons, dans deux jours je reprends le boulot. Ce sera donc pour l'année prochaine...
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l'entrée à sec le 12-01/2003
l'entrée en crue le16-11-2002
préparation au départ du siphon 1 (photo J.Y. Bigot /2004)
départ plongée dans le siphon terminal le 18-08-2002 (photo C. Kupiec) |