Les Hydrobiidae souterrains :
une fiévreuse soif d’en savoir plus
par Vincent Prié.
Imaginez : vous avez de la fièvre. Dans votre cerveau englué
se télescopent des sensations bizarres issues du théâtre
des contraires, c'est l'écoeurement des extrêmes. Immensité
absurde au travers de l'infiniment petit ou de l'infiniment grand. De l'infiniment
dense à l'infiniment fragile. Pot de pierre contre pot de verre, la lourdeur
opaque de l'ensemble des causses contre une microscopique coquille frêle
et translucide.
C'est un peu ce qui se passe quand on cherche des Hydrobiidae souterrains.
Hydrobiidae sp. nov. |
Une espèce nouvelle a été découvert en 2002,
et les premiers individus vivants n'ont été récoltés
que très récemment dans une cavité des gorges de la
Vis. Son attribution générique (c'est à dire son nom
de genre, le premier des deux en italique) reste incertaine, des études
sont en cours. Il est nettement plus dodu et (oserai-je le dire ?) massif
qu'un Moitessieria. Neohoratia moquiniana est plus étalée,
difficile à trouver et toute petite, sans doute plutôt méridionale.
Les différentes espèces ne sont pas clairement définies.
Arganiella exilis, le méditerranéen, est plutôt plat,
mais guère plus grand. On connaît peu de chose des Hydrobiidae souterrains. Toujours aquatiques, ils se nourrissent probablement de débris végétaux drainés par les eaux d'infiltration, voir directement d'argile. Ces bestioles se côtoient dans des interstices rocheux où il est parfois difficile de se croiser. Du moins on le pense : rien ne permet de connaître leurs moeurs au coeur de l'énormité calcaire qui les héberge. Jamais un homme ne saura vraiment ce que perçoivent les Hydrobiidae troglobies du monde qui les entoure, la carte des réseaux hypogés et des aquifères souterrains qu'ils pourraient nous dresser, leur monde immense au milieu des fossiles de mollusques préhistoriques. Eux qui habitent le grand cimetière sédimentaire des céphalopodes marins, que pensent-il de ces ammonites pétrifiées et concrétionnées qui jadis nageaient librement dans l'immensité des océans bleus du Jurassique? |
Existe-t-il des salles immergées où s'organisent des écosystème
clos, comme on en découvrit en Roumanie, et que l'homme ne peut pas voir
sans les détruire, tel un Orphée aux enfers ? Quelle forme de
vie connaissent les Hydrobiidae souterrains ? Quel goût, quelle odeur
a l'eau qu'ils reçoivent des pluies de Novembre ou des stations d'épurations
? Comment échappent-ils aux variations de niveau des nappes souterraines
? Qu'est-ce qui effraie Moitessieria rolandiana au milieu de sa roche au point
qu'il se rétracte brusquement jusqu'au quatrième tour quand on
le touche ? Pourquoi Arganiella exilis ne monte-t-il pas plus au Nord et se
cantonne aux climats méditerranéens (sûrement pas pour le
soleil)?
Et pourquoi suis-je fasciné par les Hydrobiidae souterrains ?