La Bythinelle de Navacelles Une forme souterraine endémique aux causses méridionaux
par Vincent Prié - 2004 |
La Bythinelle de Navacelles Bilan des prospections des 11, 12 & 13 juillet 2004 dans les gorges de la Vis Résumé : Introduction : Les MOITESSIERIDAE sont très diversifiés dans le Sud de la France où de nombreuses espèces endémiques restreintes sont connues. Citons Paladilhia pleurotoma, bassins du Lez et de l'Hérault (quelques occurrences ailleurs), Heraultiella exilis, endémique d'une partie du département de l'Hérault, Moitessieria rolandiana, commun dans tout le sud-ouest, Henrigirardia wienneni, endémique du réseau des Fontenilles, Bythiospeum bourguignati, relativement commun dans le Sud Est du Languedoc-Roussillon… Les HYDROBIIDAE sont une famille de mollusques aquatiques comprenant plus de 1000 espèces répartis dans une centaine de genres actuels. Ils sont connus depuis le Carbonifère et occupent aujourd'hui des milieux variés allant des eaux saumâtres aux eaux souterraines. Les sexes sont séparés, les femelles sont ovipares et le développement est direct. Les animaux sont petits (1.5 à 6 mm). Au sein de la famille des Hydrobiidae, les Bythinelles (c.a.d. les espèces du genre Bythinella) sont un groupe d'espèces européennes principalement crénicoles (Crénicole = qui vit dans les sources). Leur répartition est fragmentée, les sources ou les bassins versants peuvent être considérés comme des milieux isolés les uns des autres et les espèces actuelles ont pu diverger par isolement géographique. Deux espèces sont identifiables localement : Bythinella cebennensis et Bythinella eurystoma, auxquelles s'ajoute une forme souterraine, la Bythinelle de Navacelles. Quelques occurrences de Bythinelles souterraines sont connues. La Bythinelle de Padirac, Bythinella padiraci, endémique au gouffre du même nom et aux réseaux qui y sont liés, est l'espèce la mieux connue (BICHAIN et al. 2003) La Bythinelle de Navacelles Les premières coquilles de la Bythinelle de Navacelles ont été récoltées en février 2002 dans des alluvions de la Vis. Au vu des récoltes qui ont suivi, il est apparu que cette Bythinelle était probablement souterraine (pas moyen de trouver des individus vivants dans les sources). Les premières récoltes en milieu hypogé ont été effectuées par Frank Vasseur à Gourneyras en juillet 2002. Mais il a fallu attendre août 2003 pour que les premiers individus vivants soient découverts en place à la grotte de la Folatière. L'expédition de Juillet 2004 avait pour but de retrouver des individus vivants pour poursuivre leur étude. La coquille de la Bythinelle de Navacelles mesure en moyenne entre deux et trois millimètres de haut. Elle est assez variable, mais se caractérise par un ombilic assez profond caractéristique. L'animal est complètement dépigmenté et a partiellement perdu ses yeux, visibles sous la forme de simples tâches oculaires. Matériel et méthodes : Le choix des stations de récolte pour ces trois jours a été largement déterminé par les récoltes préalables. Les résurgences les plus riches en coquilles au niveau des sources ont été celles de la Tuilède, de la Folatière et de Rodel aval. Méthodes d'échantillonnage :Précédemment, la méthode d'échantillonnage a généralement été le ramassage de sable au niveau des exsurgences. Ce sable peut être ramassé sec (à l'extérieur après de grosses crues) ou dans l'eau à l'aide d'un filet aux mailles de 500 micromètres. C'est la méthode qui a donné les meilleurs résultats à Rodel aval. Le pompage à l'aide de la pompe à Gasoil permet d'aspirer les éléments fins par un tuyau qu'on peut enfoncer entre les gros blocs. Peut donner de bons résultats mais a été globalement infructueux pour les prospections de juillet 2004. La pompe Bou-Rouch est une pompe à main qu'on peut enfoncer à plus d'un mètre dans le sédiment du lit des cours d'eaux. Conçue pour explorer la vie dans le sous-écoulement des rivières, où elle donne de très bons résultats, elle est peu utilisée en milieu souterrain en raison de son encombrement. Elle a été utilisée à Rodel aval mais n'a pas donné de résultats.
L'utilisation de la pompe Bou-Rouch à Rodel n'a pas donné de bons résultats. Mais, « Il vaut mieux pomper même s'il ne se passe rien que risquer qu'il se passe quelque chose de pire en ne pompant pas » ! Photos : Richard Villeméjeanne, Gilles Hanula et Jacques Rouxel
Le piégeage donne de très bons résultats en milieu troglobie où l'appât attire les espèces qui s'en nourrissent, lesquelles attirent ensuite leurs prédateurs... Ce n'est pas une méthode habituellement utilisée pour mollusques souterrains. Un piège a été déposé à Rodel aval, appâté avec de la viande de cheval (qui semble donner de bons résultats, voir notamment le manuel du projet PASCALIS, cf. biblio). Seuls des Niphargus (Niphargus cf. virei) ont été récoltés. Les prélèvements en plongée ont été effectués à la Folatière et à la Tuiède par la fine fleur de la plongée souterraine parmi les membres de la FFESS. Bien que très aléatoires, ces prélèvements sont intéressant dans la mesure où on ne possède aucune donnée sur la bathymétrie pour ces animaux. A quelles profondeurs peuvent-ils survivre ? La profondeur est-elle un obstacle à la dispersion des populations ? Où dans les rivières souterraines sont-ils les plus abondant ? Traitement des échantillons : Les échantillons prélevés en milieu aquatique sont d'abord immergés quelques jours dans l'espoir de voir remonter des individus vivants. Les individus peuvent être suivis à la trace dans le sédiment Le sable est ensuite bien séché et plongé à nouveau dans de l'eau. Le surnageant est alors versé dans un filet à mailles fines (500 microns). Les coquilles qui flottent sont ainsi collectées dans un petit volume de sédiment. Conservation des échantillons : Toutes les coquilles sont conservées en collection. Des individus récoltés vivants ont été conservés en alcool pour des études anatomiques et ou génétiques. D'autres ont été mis en aquariums dans l'espoir de les maintenir vivants et d'observer des éléments d'écologie et de biologie (comportements, ou événements comme la reproduction).
Discussion Systématique et taxonomie La systématique et la taxonomie des Bythinelles du Sud de la France sont extrêmement confuses. De nombreuses espèces ont été décrites par différents auteurs (Paladilhe, Bourguignat, Moquin – Tandon, Boubée, Locard…), certaines furent mises en synonymie, d'autre jamais retrouvées sur leur station type ou jamais récoltées vivantes (Bythinella eutrepha)… Il règne en conséquence une grande confusion dans l'appréciation des formes rencontrées sur le terrain et des noms correspondants. Néanmoins, trois « formes » de Bythinelles semblent reconnaissables sur le haut bassin versant de l'Hérault. La Bythinelle cévenole, Bythinella cebennensis (DUPUYI, 1851). Nous appliquons ce nom à un animal crénicole noir à coquille très allongée et conique. Son aire de répartition englobe la marge sud-ouest du massif central (bassins du Tarn, de l'Aveyron et de l'Hérault, FALKNER et al ., 2002) La localité type donnée par Dupuyi est très vague : « …environs de Ganges, dans l'Hérault. ». Il n'a pas été retrouvé de Bythinella cebennensis dans des localités qui auraient pu correspondre à la localité type ainsi décrite, mais une forme correspondant aux descriptions de cette espèce a été récoltée vivante dans les sources de la Buèges et aux sources du château de Brissac. Nous appliquons le nom de Bythinella eurystoma (PALADILHE, 1870) à la forme présente dans les gorges de la Vis (sous-écoulement de la Vis et sources de Navacelles) jusqu'à Alzon, à Montdardier, à Aniane 2 …. Cette forme dont la localité type se trouve « dans la fontaine de Girard, à Saint- Jean de Fos » (qui n'a pas été retrouvée), se distingue par une coquille moins conique, une spire moins allongée que celle de B. cebennensis, une ouverture différente, 4 ½ à 5 tours anguleux, séparés par une suture profonde, hauteur 2.7 à 3 mm, diamètre 1.5 à 1.8 mm. Elle serait présente dans tout le sud-Ouest de la France. La Bythinelle de Navacelles diffère des deux espèces précédentes par son caractère stygobie 3 , la dépigmentation de l'animal et la perte quasi- complète des yeux, la présence d'un ombilic largement ouvert et une forme de coquille plus ventrue, arrondie. La morphométrie a été réalisée sur des individus de Bythinelle souterraine et de Bythinella eurystoma provenant de la Vis (voir graphique ci-dessous). 2 Nous considérons donc B. anianensis comme un synonyme de B. eurystoma. Cette opinion se base sur les caractères de la coquille qui sont très similaires et sur les premiers résultats obtenus par Bichain (in prep.) en analyse moléculaire. 3 L'espèce a été récoltée vivante uniquement en milieu hypogée strict, dans les gours où elle reste piégée à l'étiage ou au niveau du siphon dans la partie active de la cavité. Les individus vivants récoltés lors du pompage du sousécoulement de la Vis à l'aide de la pompe Bou-Rouch étaient tous des Bythinella eurystoma
On constate une réelle séparation des deux formes à partir caractères utilisés pour décrire la coquille. Les Bythinelles souterraines (en jaune) sont nettement plus ventrues et de traille plus variable que les Bythinelles eurystoma (en rose). Il n'a pas été trouvé d'intermédiaires entre les deux formes de coquilles. La découverte d'un individu pigmenté ayant une forme de Bythinelle de Navacelles à Gourneyras est le premier cas d'individu possédant les critères de l'un et de l'autre. Il apparaît logique que cette Bythinelle soit liée aux deux autres. La découverte d'une population fossile dans les gorges de la Vis montre que la morphologie des coquilles anciennes recouvre celle des formes actuelles. On peut penser qu'il s'agisse de l'ancêtre commun entre Bythinella.eurystoma et la forme Navacelles. Enjeux scientifiques et de conservation Quelque soit le statut nomenclatural de cette forme de Bythinelle, son étude pourra nous apporter d'importantes informations sur les schémas de colonisation du milieu souterrain. Le matériel accumulé (animaux vivants, coquilles fossiles) nous permet d'appréhender l'histoire évolutive du groupe depuis les glaciations et de travailler sur un schéma évolutif de colonisation du milieu souterrain. L'écologie de la Bythinelle de Navacelles est encore inconnue, mais son rôle comme indicateur de la qualité des eaux ou des connections entre les réseau devrait être approfondi. Enfin, en terme de protection de la biodiversité, cet forme de Bythinelle souterraine est unique en son genre et représente un génome qu'il nous appartient de préserver au même titre que celui de n'importe quelle espèce animale. Elle peut être considérée comme rare et microendémique, donc potentiellement vulnérable selon les critères de l'IUCN (listes rouges des espèces menacées d'extinction). Bibliographie : BICHAIN, JM, BOUTSOCQ, C & PRIÉ, V (2003) La malacofaune du réseau de Padirac FALKNER ,G., RIPKEN, T.E.J. et FALKNER, M. (2002) Mollusques continentaux de France. Liste de référence annotée et bibliographie. Patrimoines Naturels, 52, 350 p. GIRARDI, H. 2001 Moitessieria wienini sp. nov. Des eaux de l'aquifère de la montagne de la Selette (France, Hérault) ( Mollusca : Gastropoda Moitessieriidae) . Documents Malacologiques, 2 : 31-38. PRIÉ, V. 2002 Contribution à la connaissance malacologique des causses méridionaux et des gorges de la Vis (Gard et Hérault, France) Documents Malacologiques, 3 : 25-33. Sur Internet :http://www.plongeesout.com/sites/roussilon-pyrenees/herault/calavon%20macologie.htm http://www.pascalis-project.com Remerciements : Les plongeurs spéléo qui ont collecté en milieu stygobie : Frank Vasseur, Nadir Lasson, Damien Vignoles, Patrick Bordonado et Jean-Luc Armengaud, Fédération Française d'Étude et de Sports Sous marins. Les spéléos qui ont participé aux récoltes « à marée basse » : Le spéléoclub du GRES en général, Richard Villeméjeanne pour ses photos et la doc. sur la Folatière, Michel & Xavier Meilhac, Gilles Hanula pour ses photos à Rodel aval, Joël Algand, Luc Barral, Claude Pieyre, Arthur Safont et son collègue, Hervé d'Ales et ses deux fils. Sans oublier Philippe Martin et Xavier Boutolot pour leurs remarquables et enthousiastes tentatives de photographie en plongée spéléo. |
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Bythinella cebennensis des sources de la Buèges- Photo : Vincent Prié
Belgrandiella socantilis au bout de sa trace Trace de Bythinelle indécise…On dirait des pistes vues d'avion
Bythinella cebennensis, sources de la Buèges Bythinella eurystom, Alzon Bythinelle de Navacelles, une forme plutôt conique récoltée à la Folatière
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