Les NITROX en spéléologie par Bernard GAUCHE Colloque des moniteurs du CIAS 15-16 novembre 1997 |
les contraintes de la plongée spéléo
Qu'il s'agisse de plongées d'exploration ou de découverte, la plongée en milieu souterrain présente des difficultés spécifiques qui amènent le spéléonaute à rechercher des techniques et à mettre au point un équipement adaptés.
Les contraintes liées à l'environnement souterrain ont de nombreuses incidences sur les différents paramètres de la plongée en particulier sur les conséquences de l'hyperbarie. Ainsi, le confinement du plongeur dans une galerie empêche de résoudre un essoufflement ou une narcose par une simple remontée. La diminution de visibilité due à la mise en suspension des particules de sédiment est source d'accidents par égarement, de retard en zone profonde et d'incidents pendant les paliers. De plus, elle renforce le sentiment d'isolement du plongeur, générateur d'angoisse laquelle favorise la narcose, l'essoufflement et les maladies de décompression. Il en est de même pour le froid et les multiples efforts nécessités par le transport des bouteilles, le palmage prolongé, la progression à contre-courant, le franchissement d'obstacles spélos...
Les conditions psychologiques bien particulières de la plongée spéléo apparaissent primordiales dans les risques inhérents à ce sport. L'envie de se dépasser, le désir d'aller au-delà du dernier terminus, la tentation de battre un record de quelque chose (en général de profondeur), l'entêtement à réaliser l'objectif prévu, sont les ennemis du spéléonaute.
Enfin, le plongeur est obligé de s'adapter au profil de la galerie ce qui l'amène à passer à des profondeurs variables (plongées "yo-yo"). D'autre part, l'exploration d'une résurgence nécessite le franchissement de plusieurs siphons ce qui le conduit à effectuer plusieurs plongées consécutives ou successives.
Tout ceci pose des problèmes de décompression insolubles par les techniques classiques de plongée. L'une des réponses à ces difficultés est représentée par l'utilisation de mélanges enrichis en oxygène.
les indications des nitrox en spéléo
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définition et fabrication des nitrox
Les mélanges avec Pp02 supérieure à 21% sont largement utilisés en plongée spéléo. L'objectif est de saturer le moins possible en azote dans les limites d'une Pp02 toxique de 1,6 bars. On calcule ainsi une profondeur équivalente à la même saturation en azote.
La réalisation des nitrox est désormais bien standardisée dans notre équipe. Nous réalisons nous-mêmes nos mélanges, ce qui nous permet d'adapater au mieux leur concentration au profil des plongées.
La technique consiste à transférer de l'oxygène dans des blocs dégraissés et à compléter avec de l'air. Nous utilisons une lyre de transfert réservée à cet usage et nous rajoutons un filtre au compresseur pour éviter tout risque d'apport de matières grasses. Une analyse du mélange est faite systématiquement et souvent elle est contrôlée avec deux appareils différents.
inconvénients
Cette limite de 1,6 bars d'oxygène est l'inconvénient majeur des nitrox. En effet, on ne peut les utiliser que si l'on connait à l'avance la profondeur de la plongée à moins de disposer de suffisamment de bouteilles pour pouvoir adapter le mélange respiré à la progression. Par ailleurs, les nitrox ne sont intéressants que pour des profondeurs moyennes (<40m). Au delà, le gain sur la saturation est négligeable alors que les risques d'une hyperoxie sont majorés.
intérêt
- permettre de franchir de longs siphons peu profonds sans paliers
Lors de franchissement de siphons, il est difficile de réaliser des paliers dans la mesure où l'on émerge à un endroit différent de la mise à l'eau. Le calcul des profondeurs équivalentes démontre tout l'intérêt du nitrox : ainsi, 30m avec un nitrox 40 est équivalent à 20m à l'air ; 20m avec un nitrox 50% est équivalent à 9m.
Au maximum, pour de faibles profondeurs, on peut réaliser des mélanges non saturants avec PpN2=0,8 et P02<1,6b ce qui correspond à un nitrox.65% pour 14m de profondeur.
- diminuer la saturation en azote dans une zone peu profonde qui précédé une plongée profonde
C'est un profil souterrain assez fréquent en spéléo. Les nitrox peuvent permettre de "neutraliser " la partie peu profonde. On déclenche alors le chronomètre en début de zone profonde, ce qui facilite les calculs de désaturation.
- améliorer la décompression et la sécurité des tables
Lors de plongées profondes, on utilise des nitrox pour réaliser les paliers. La concentration en oxygène du nitrox est adaptée à la profondeur du palier afin d'optimiser la saturation en azote. Ainsi lors des plongées importantes on peut disposer d'un nitrox 35% à -40m, un nitrox 40% à - 30m, un nitrox 50% à - 20m, un nitrox 70% à -12 et - 9m avant de respirer de l'oxygène à -6m. Ces mesures viennent souvent en sus de ce qui est prévu par les tables afin d'améliorer la sécurité.
- plonger en altitude sans trop de paliers (froid)
- " le multisiphons "
Beaucoup de résurgences sont constituées d'une site de siphons séparés de zones spéléos plus ou moins longues. Dans ces cas l'exploration consiste en une sorte de parcours d'obstacles : plongée_ spéléo, plongée ... Les siphons peuvent être de profondeur faible ou moyenne et les Nitrox représentent un moyen sécurisant de résoudre les problèmes de décompression liés à ces plongées consécutives et successives multiples.
Afin d'illustrer ces difficultés, voici un exemple de plongée avec succession de siphons que j'ai réalisée en septembre 97
TRAVERSEE : La Finou-Padirac description de l'objectif
données générales
Depuis plusieurs années, notre équipe de plongeurs du CIAS, explore le réseau karstique de Padirac, situé sous le causse de Gramat dans le nord du Lot. Le célébre gouffre donne accès aux amonts d'une rivière souterraine qui coule dans une superbe grotte visitée sur ses 800 premiers mètres. Au bout de 10 km, la galerie s'abaisse et le cours d'eau disparaît dans un siphon. Il réapparait 15 kilomètres plus à l'ouest, prés de la Dordogne. En effet. depuis longtemps, grâce à des colorations, on sait que cette rivière de Padirac refait surface par 4 sources distantes de quelques centaines de mètres situées sous le village de Montvalent. Les deux plus petites, appelées Les Lombards et Le Gourguet. présentent des étroitures impénétrables. Les deux plus grandes, La Fontaine Saint-Georges et la source de LA FINOU sont des résurgences bien connues des plongeurs spéléos. En 1995, lors d'une énième expédition, avec l'aide de l'équipe du CIAS, je réussis à trouver le passage qui permet de rejoindre le réseau de Padirac à partir de la source de La Finou. En 1996, j'élabore le projet de concrétiser cette jonction en réalisant la traversée. Ainsi le vendredi 5 septembre je plongeais dans le premier siphon de La Finou et le dimanche 8 septembre je sortais du gouffre de Padirac après avoir parcouru plus de 20 kilomètres sous terre en 54 heures.
22 siphons, 3000 mètres de plongée
Cette traversée, un peu exceptionnelle, nécessite le franchissement de 22 siphons de dimensions très variables à la fois en distance et en profondeur. Le plus long mesure 575 mètres, le plus profond descend à -38 mètres. Au total ces siphons représentent plus de 3000 mètres de plongée. Les dimensions des siphons sont de 2 à 3 mètres de diamètre. Il existe deux étroitures un peu "techniques " dans le premier siphon. Au-delà, quelques rétrécissements jalonnent le parcours mais ils ne posent pas de gros problème et dans l'ensemble le calibre des galeries est suffisant pour ne pas gêner la progression. Les difficultés sont essentiellement liées à la turbidité de l'eau. En effet, le plus souvent la visibilité est réduite à 1 ou 2 mètres, parfois elle est quasiment nulle. L'exploration est donc difficile car le trajet des galeries est tortueux. Il a fallu de nombreuses expéditions pour progresser. De plus cette cavité est soumise à un régime de crues
importantes, qui charrie de nombreux débris végétaux. Ceux-ci, s'emmêlent dans nos fils d'Ariane et les cassent. Il est donc souvent nécessaire de rééquiper les siphons déjà connus, avec à chaque fois le risque de ne pas retrouver certains passages. C'était l'une de mes grandes inquiétudes pour la traversée
La température de l'eau est de 12 degrés comme dans toutes les grottes du Lot. Nous êtions équipés de vêtements de type humide en néoprène refendu lequel est moins irritant et plus chaud que le double faces jersey classique.
techniques de progression
La progression dans ce type de grotte nécessite une organisation de type himalayen. Une équipe importante est nécessaire pour permettre à une ou deux personnes de parvenir à l'objectif.
Ainsi, 8 plongeurs sont parvenus jusqu'au siphon 3, 6 jusqu'au siphon 9, et un plongeur, JP Stéfanato m'a accompagné jusqu'au 12ème. J'ai continué seul au-delà
Par ailleurs, nous avions réalisé une expédition préparatoire afin de vérifier les fils d'Ariane le plus loin possible et pour acheminer une partie des bouteilles qui ont servi à notre progression le jour de la traversée.
La quantité de blocs utilisés a été assez importante. Nous en avons compté une soixantaine. Pour ma part, j'en ai utilisé 10.
problèmes de plongée
La durée de l'expédition dans sa partie plongée a été de 19h (10h à 5h le lendemain). Cependant, les principaux siphons ont été franchis en 11h. Les 3kms de siphons représentent une durée globale de 2h30 de plongée à raison d'une vitesse moyenne de progression dans l'eau de 20 ni/min. Comme on peut le voir dans le tableau ci-dessous, les distances des parties spéléos et de plongée sont très inégalement réparties. Deux siphons posent des problèmes liés à leur profondeur (dans ce contexte), le premier et le 18ème.
numéros des siphons depuis |
longueur |
profondeur |
caractéristiques |
intervalle |
temps pris en compte pour les tables |
paliers théoriques (successives MT74) |
1 |
300 m |
-33 |
étroitures profondeur soutenue |
25 min |
1' à 6m. |
|
2-3-4-5 (moins de 30minutes entre) |
total de |
passage à |
2h |
45min |
7' à -3m |
|
6-7-8
|
total de |
prof<
10m
|
1h |
15min |
0 |
|
9-10
|
total de |
-
19m
|
45min |
20min |
3'
à 3m
|
|
11-12
|
total de |
-
23m
|
étroitures |
1h |
20min |
10'
à 3m
|
13-14-15-16-17(=S6 Padirac) |
500m |
<10m |
< 1h |
0 |
||
S18 (=S5P) |
320m |
-36m |
100m > -30 |
1h |
20min |
2' à -6 |
S19,20,21,22 |
200m |
<10m |
siphons séparés par de grandes distances spéléo |
variables |
0 |
Le tableau ci-dessus montre la complexité des plongées que nous sommes amenées à réaliser en spéléo. Pour faciliter la lecture, j'ai regroupé les siphons qui étaient séparés par une distance faible, parcourue en moins de 30 minutes. A titre d'exemple, j'ai essayé de calculer une décompression à partir des tables à 3 volets du Ministère du Travail 1974 (6h, 3h, 30min). Cet exercice est totalement théorique puisque cette table, déjà ancienne, n'est pas prévue pour des
plongées successives aussi nombreuses. Certes, les passages à faible profondeur apparaissent comme pouvant servir à la décompression. Mais la profondeur d'une zone noyée est rarement constante et le résultat apparaît aléatoire. De même, il est certainement possible de faire une simulation en utilisant les Groupes de Plongée Successive des tables MN90, ou les tables de profondeurs et de temps équivalents du Ministère du Travail 1992 On obtiendrait certainement des
temps moins pénalisant que la table 74. Mais en sus de son caractère fastidieux, cette arithmétique aboutirait à un résultat très éloigné de ce qui se passe réellement dans un organisme humain. Par ailleurs ces tables nécessitent de connaître avec précision le temps entre 2 plongées ce qui n'est pas toujours le cas.
Les résultats en terme dé paliers de décompression montrent donc que ces techniques de plongées à l'air sont inadaptées à une telle expédition. De plus, il est impossible de faire des paliers de longue durée en vêtement humide. La quantité d'air à amener serait trop importante.Dés que nous sommes immobiles, nous grelottons très rapidement, d'autant plus intensément que l'état de fatigue est important et que nous venons de transpirer à transporter nos bouteilles. L'utilisation des ordinateurs peut apparaître comme une solution puisqu'ils calculent au plus juste la saturation théorique. Aussi, dans ce type de plongée, les paliers qu'ils donnent sont bien
inférieurs à ceux des tables, au moins pour ce qui concerne l'Aladin Pro. Mais, les logiciels sont-ils validés pour des immersions aussi répétées entrecoupées d'efforts importants ? Je persévère cependant à promener mon Aladin au titre de la double sécurité, encore que je sois un peu las de ses bip-bip réprobateurs et inadaptés.
Solution utilisée
Pour ce type de plongée, les nitrox représentent une solution très performante puisqu'il s'agit de plongées multiples de profondeur moyenne. Ainsi, j'ai réalisé l'ensemble de la traversée avec ce type de mélanges.
Le tableau ci-dessous montre les concentrations que j'ai utilisées en fonction des siphons. J'aurais certainement pu franchir les siphons peu profonds sans nitrox, mais il est difficile d'apprécier les conséquences d'efforts répétés pendant prés de 20 heures. J'ai donc préféré me donner une marge de sécurité importante pour éviter tout risque inhérent à la plongée.
numéros des siphons depuis LA FINOU |
nitrox utilisé |
Profondeur |
profondeur |
Pp02 |
type de blocs |
1 |
37/63 |
-33 |
24 m |
1,59 |
bi 9l |
2-3-4-5 |
50/50 |
-16m |
6,25m |
bi-10l |
|
6-7-8 |
40/60 |
prof< 10m |
5m |
0,8 |
7l |
9-10-11 |
50/50 |
-19m |
8,2m |
1,45 |
7l |
12 |
40/60 |
-23m |
14,8m |
1,32 |
7l |
13-14-15-16-17 (S6P) |
40/60 |
<loin |
5m |
0,8 |
10l |
S18 (S5P) |
35/65 |
-36m |
27,4m |
1,61 |
10l |
S19,20,21,22 (1,2,3,4P) |
40/60 |
<10m |
5m |
0,8 |
10l |
Avec l'usage de Nitrox, le calcul des profondeurs équivalentes montre un profil de plongées de faible profondeur. De plus, certains passages deviennent des zones de désaturation. C'est le cas des siphons de profondeur inférieure à 10 m, qui présentent des portions de 5 à 6 mètres de fond. Avec un Nitrox 50, la PpN2 est alors inférieure à 0,8 bar. L'intervalle de temps entre les 2 plongées supérieures à 20 mètres a été de 10h. J'ai franchi S i à 11h et j'étais devant S 18 vers 21h. J'ai fait un palier de 5 minutes à -3 avec du nitrox 40, avant d'émerger de ce S18 qui présente environ 100 mètres au-dessous de -30. Mon autonomie en mélange était largement suffisante pour faire davantage de paliers si cela avait été nécessaire.
conclusions
Les nitrox ont grandement contribué à la sécurité de nos plongées et ils ont simplifié la réalisation de cette grande expédition. L'exploit s'est situé dans
la réussite de la traversée, mais aussi dans la formation d'une équipe d'une dizaine de plongeursspéléos capables de maitriser cette technique et de franchir de multiples siphons,