C'est insidieux. Un jour on feuillette un magazine. Un autre on se connecte à
l'Internet. Un autre encore on discute sur une liste. En toute naïveté. Et puis
on finit par se dire que c'est sûrement chouette, la plongée spéléo. |
Et voilà pourquoi on se retrouve sur l'aéroport de Puerto Plata, côte Nord de la
République Dominicaine -la partie de l'île d'Hispaniola que les Français
persistent à appeler Saint-Domingue par assimilation à sa capitale- paré pour un
stage conduisant à la certification Full Cave Diver. |
Pourquoi une certification ? Parce qu'en zone américaine, c'est-à-dire peu ou
prou la planète entière sauf la France, il est difficile voire impossible
d'effectuer une plongée spéléo en structure sans un petit bout de plastique
frappés des sigles TDI, IANTD, NACD et j'en passe (un jour j'ai tenté de me
prétendre GATNCD, guadeloupean association of trimix, nitrox and cave diver, ça
n'a pas marché!). |
La cavern : c'est aller jusque là où la lumière du jour pénètre, voire jusque là
où la lumière du jour reste visible (pas de plongée de nuit, donc). |
Or donc, en cette fin d'après-midi de mars, nous voici au sortir de
l'Immigration dominicaine. Premier bémol, American Airline (compagnie dont la
devise du personnel semble être : je suis moche et acariâtre je travaille chez
AA) a oublié de faire suivre nos sacs. Lesquels contiennent le matériel de
plongée... |
Le surlendemain, les bagages sont à l'aéroport. Après les avoir récupérés on
fonce au Centre équiper les blocs. Un bi 2 x 80 cf (2 x 11 L) alu par personne,
avec wing sur plaque inox et détendeur principal à flexible long (2,10 m). Le
matériel et sa configuration nous est familier, c'est le nôtre, la plongée teck
est issue de la spéléo, et en Guadeloupe j'utilise des blocs alu pour les
mélanges. Un plongeur mer "standard" sera peut-être déconcerté, mais pas au-delà
d'une plongée à mon sens. La benne du pick-up Toyota chargé, nous filons vers la
première cenote. |
Les habitués du quadri 20 litres acier plus relais béton vont rire, nous
trouvons notre bazar bien lourd. Les marches sont les bienvenues, et les rampes
aussi. |
Si l'eau bleutée d'El Dudu n'est pas de cristal pur, elle possède une clarté que
lui envieraient bien des mers. Le paysage est fait d'éboulements rocheux et
d'arbres morts. Quelques poissons nous observent, qui me paraissent de la
famille des black-bass. Denis nous rappelle à nos devoirs. En surface : fermer
le robinet du détendeur principal, respirer sur le secours, rouvrir le
principal, fermer le secours, respirer le principal, rouvrir le secours, fermer
et ouvrir l'isolateur central. Gisèle prévient qu'elle n'y arrivera jamais, et
bien sûr y parvient comme qui rigole tandis que je manque de me déboîter une
épaule à essayer de l'imiter. Ensuite c'est l'immersion, dans le lac, où l'on
joue du moulinet entre arbres et rochers, comme sur la plage, mais dans l'eau et
masque autour du cou pour simuler l'absence de visibilité. Surface après une
demi-heure d'exercice, dix minutes d'analyses et de conseils, et nouvelle
immersion, en direction d'une grotte cette fois. |
Notre premier travail consistera donc à amener le fil de notre moulinet primaire
d'un point où une remontée surface directe est possible, jusqu'au départ de la
ligne principale, en le nouant de place en place dans les règles de l'art.
C'est
Gisèle qui s'y colle. Un dicton spéléo énonce que le fil d'Ariane peut être le
meilleur des amis comme le pire des ennemis... De fait, la bobine s'emballe, le
fil fait des boucles, des pleins et des déliés... Gisèle se crispe, piétinerait
volontiers le moulinet, y flanquerait le feu, disperserait ses cendres dans
l'Atlantique, non, le Pacifique. Elle se retient, les choses s'améliorent, la
bobine se calme, le fil se tend, un n?ud est impeccablement formé, puis un
deuxième, on avance. |
Hors la lumière du jour, phyto et zooplancton ne pouvant se développer, l'eau
est limpide. Le faisceau de nos lampes n'accroche que les parois, blanches et
comme déchiquetées. On poursuit le long de la ligne, Gisèle devant, Denis sur le
côté, qui surveille. Une progression simple, par moins de dix mètres de fond,
qu'en mer nous effectuerions sans même y penser, qui là demande une attention
soutenue. La ligne (pas la perdre), la lampe (pas dans les yeux), la
flottabilité (pas percuter la galerie), le palmage (pas remuer les sédiments),
la percolation (zut, il neige !), éléments qui, cumulés, font qu'on ne songe
guère à admirer le paysage, et qu'après un temps qu'on ne saurait préciser Denis
agite sa lampe pour montrer une poche d'air au-dessus de nos têtes. Elle était
prévue marquer la fin du parcours. Demi-tour. Les premiers seront les derniers,
ou : qui a posé le moulinet le récupère. Je me retrouve donc devant. |
Nous n'avons pas été très brillants, notre passage a soulevé des sédiments, nos
bulles en ont décroché, sans être catastrophique la visibilité est moins bonne
qu'à l'aller. Je m'efforce de soigner mon palmage en grenouille. Très vite la
lumière du jour apparaît et on se retrouve dans le lac. Sans émerger. Il est
convenu d'effectuer une deuxième pénétration. |
Après re-calcul des tiers, à moi le moulinet. D'habitude je m'en sers pour envoyer un parachute de 50 m de fond, alors l'engin ne m'impressionne pas. Sauf que là, excès de confiance ou pression extérieure (l'?il de Denis :-), mauvaise man?uvre et le fil sort de son guide. En voulant le réengager je lâche le moulinet dont la bobine fait trois tours en roue libre. Grrrgnmfff... Respiration profonde, reprise en main du bazar, et ça roule, enfin, ça déroule, mais en bon ordre. Denis m'indique par signes que ma deuxième attache ne lui convient pas. Je sais, faut qu'elle soit solide au cas où un gugusse viendrait à casser la première. Je rattache mon fil. Une maille à l'endroit une maille à l'envers... De nouveau on s'enfonce dans la galerie. Des particules en suspension voilent l'eau, si quelques secondes suffisent à les soulever, des heures sont nécessaires à ce qu'elles se redéposent. Parvenu au niveau de la poche d'air, la ligne oblique vers la gauche puis se termine sur une attache. Je décroche mon premier moulinet de sécu. Une autre galerie commence, qui revient au lac presque parallèlement à la première. Elle aussi est équipée d'une ligne, mais les deux ne se rejoignent pas. Mon rôle est de les relier. Il me restera encore un troisième moulinet en sécurité. |
L'affaire menée, nous franchissons la deuxième galerie pour retrouver le lac.
Troisième calcul de tiers, et c'est reparti dans l'autre sens. Denis nous avait
promis un exercice de sécurité. Lequel ? Vous verrez ! |
Les jours suivants nous effectuerons d'autres plongées à El Dudu. Sept en tout.
Chacune émaillée d'exercices : sortie sans lumière, panne d'air, perte de la
ligne, perte d'un compagnon (cumul possible : sortie sans lumière ET en panne
d'air :-). De difficultés croissantes, étroitures, pénétrations plus longues,
dépôt et reprise de relais. Chacune l'occasion de découvrir un décor minéral
extraordinaire, mariage de stalactites, de stalagmites, de fossiles incrustés,
de draperies, de lapiaz noyés. |
A bord de son pick-up nous traverserons l'île du nord au sud. Occasion cette
fois d'observer la diversité de paysages qu'offre la République Dominicaine, où
les cordillères qui culminent à plus de trois mille mètres influent sur le
climat, forêt tropicale humide, savane, désert. Ici on cultive du riz, des
oranges et des fraises. |
Autre changement de décor : si El Dudu est situé en pleine campagne, c'est
désormais dans la banlieue de la capitale, Saint-Domingue, que nous allons
plonger. Une des cenotes se trouve être la piscine d'une... discothèque
souterraine ! Émerger entre tables et chaises, jeux de lumière et musique disco...
Mon nom est Bond ! |
Sous l'eau, l'enchantement est le même qu'à El Dudu, peut-être plus grand
encore. En traversant une halocline impressionnante, je verrai Gisèle se
dissoudre lentement dans un flou insondable; écrasé, Matrix. Au détour d'une
étroiture, nous déboucherons dans une salle sans limites où trois colonnes
encadrent un roc énorme, blême et poli, hôtel d'un culte extraterrestre et
glacé; enfoncé, Hypérion. |
Est-ce à dire que désormais nous sommes d'émérites plongeurs spéléo ? Que
l'activité n'a plus de secret pour nous ? Qu'après avoir plongée dans des
galeries de plus de dix mètres de diamètre où nul courant n'agite une eau
limpide oscillant entre 24 et 25° nous sommes aptes à dérouler du fil dans un
boyau soufflant cinq n?uds de flotte à 7° l'été ? |
Mais, en ce qui me concerne du moins, je ne pense pas que la question ainsi
posée ait beaucoup de sens. Parce que si l'envie m'avait pris d'explorer un
boyau long, profond, étroit et froid, les sources du Cernon par exemple vu que
ma résidence métropolitaine se trouve à proximité, j'aurais certainement fini
par le faire, m'en estimant, après tout, certainement capable. Si maintenant je
me lançais dans cette plongée sans avoir plus d'expérience ni prendre toutes les
précautions, je le ferais au moins avec la parfaite conscience de commettre une
énorme bêtise. |
Quelques précisions : |
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