Les Chercheurs d'eau
paru dans le magazine Plongée d'octobre 1969 |
Dans de
nombreux pays, y compris les plus tempérés, l'homme manque
d'eau. L'eau douce semble se perdre, s'engouffre et disparaît sous
terre. En fait, elle s'accumule en grande quantité dans des réserves
naturelles. Ces gisements sont aujourd'hui aussi précieux que les
veines de charbon ou les nappes de pétrole. Pour permettre leur exploitation,
les géologues doivent en déterminer l'emplacement et l'importance.
Mais l'accès à ces réseaux souterrains est souvent
difficile. Les géologues ont souvent recours aux plongeurs spéléologues
amateurs qui y font pour leur plaisir des incursions de plus en plus profondes.
A la passion purement sportive de ces pionniers s est donc tout naturellement
greffée une mission scientifique : celle de rapporter les relevés
topographiques qui manquaient aux géologues. Désormais, leurs
explorations ne sont plus uniquement des " conquêtes de l'inutile
", mais de véritables travaux de prospection. Des entreprises
ont été réalisées récemment dans cet
esprit par des clubs de plongeurs spéléologues amateurs. La
première a été effectuée par le groupe rhôdanien
de plongées souterraine à la grotte de Tai sur la demande
des services publics. La seconde a permis à la section plongée
du Club subaquatique d'Annecy de dresser la carte hydrologique du réseau
souterrain de la montagne calcaire de Semnoz, qui longe et domine le lac
d'Annecy. Les réseaux de galeries et de grottes
gardaient jusqu'alors tout leur mystère malgré les travaux
des géologues. Voici les récits de chacune de ces expéditions. |
LES 3 SIPHONS DE LA GROTTE DE TAI
Près de Saint-Nazaire-en-Royans. la rivière de l'Isère, après avoir reçu la Bourne, quitte définitivement la bordure du Vercors pour se diriger vers le Rhône. Elle sert, dans cette région, de limite entre les départements de l'Isère et de la Drôme. Dans la partie drômoise s'élève, au sud de Saint-Nazaire, la Montagne de la Sieurle, le plus à l'ouest de tous les chaînons. C'est un long dôme calcaire qui voit se bomber jusqu'à plus de 1.300 mètres d'altitude la carapace urgonnienne. L'orientation générale de ce chaînon est nord-sud. Toute la partie nord de ce dôme est brutalement tranchée par les vallées de la Boume et de l'Isère. C'est là, dans la ville même de Saint-Nazaire-en-Royans, que s'ouvrent les grottes de Tai avec leur énorme résurgence suspendue au-dessus de la Boume, à 162 mètres d'altitude. Depuis 1967, le groupe Rhôdanien de plongées souterraines poursuit l'exploration de toutes les parties immergées de ce réseau.
Pour différentes raisons d'ordre économique et démographique, l'accroissement de la consommation en eau oblige les services publics de cette région à envisager l'utilisation des réserves souterraines. 125 litres/secondes à l'étiage, plus de 500 litres/seconde en période normale se perdent dans la Bourne à Saint-Nazaire-enRoyans. C'est la fin du réseau vif de la grotte de Tai. La municipalité de cette commune, puis le syndicat intercommunal des eaux de la plaine de Valence, chargé de la distribution de l'eau dans un périmètre très étendu (toute la plaine maraîchère de Valence) envisagèrent d'étudier les possibilités d'un captage des eaux souterraines.
Construction d'une plate-forme relais sous la montagne.
Le 24 octobre 1965, nous franchissons le premier siphon. Il convient de souligner que cette plongée avait déjà été réussie par Michel Letrone. Nous débouchons dans une petite salle en forme de cloche où les fonds restent supérieurs à 2 mètres. Néanmoins les plongées devront continuer, l'énorme gueule d'un puits noyé s'ouvrant au fond de la salle. C'est le départ d'un deuxième siphon. Après une étude plus précise de la morphologie de la partie reconnue, il est décidé de tenter une plongée dans ce deuxième siphon en installant, dans la petite salle, un relais constitué par un radeau gonflable. Nous franchissons ce deuxième siphon en plongeant à moins 19 mètres et rencontrons des difficultés beaucoup plus sérieuses : sinuosité, failles étroites, lames plongeantes et becs rocheux. Après environ 50 mètres de plongée, plus loin, la galerie débouche sur une nouvelle salle de dimensions plus importantes que la précédente. Aucune galerie aérée ne s'ouvre au-dessus du plan d'eau et la seule possibilité de progression qui reste est l'attaque d'un troisième siphon. Pqur le tasser il est indispensable de construire une plate-forme relais solide qui servira de base de départ aux plongeurs chargés de l'étude systématique du réseau. Après avoir étudié différentes techniques de construction d'une telle base, nous avons été amenés à fixer notre choix sur une plate-forme composée de tubes d'échafaudages vérinés contre les parois de la salle et recouverte d'un plancher. Environ 150 kilos de tubes, vérins, colliers ; 100 kilos de planches, plus l'outillage, tels furent les matériaux transportés en plongée dans le premier siphon et montés dans la petite salle. Chaque charge se composait des éléments suivants : deux éléments d'échafaudage tubulaire. un vérin mécanique, deux colliers de serrage, deux plateaux de bois de 2 x 0,5 mètre, outillage. L'équilibre hydrostatique de l'ensemble était assuré tant bien que mal au moyen de chambre à air.
Bien entendu ces travaux furent pénibles, longs et éprouvants, mais la solidité de l'ouvrage établi nous a permis et nous permet encore une étude sérieuse du réseau dans de très bonnes conditions. Parallèlement à cette construction, nous avons posé à demeure, dans le premier et dans le deuxième siphon, des lignes téphoniques avec postes-relais permettant la communication des diverses équipes engagées avec le camp de base situé à l'entrée 1 premier siphon.
De multiples plongées dans les différentes voies s'ouvrant dans des puits annulèrent nos espoirs de découvertes de galeries aérées. L'exploration du troisième siphon fut engagée. Après une progression dans une galerie vaste, tapissée d'argile et de sables siliceux, après le franchissement d'une chatière, les plongeurs déboulèrent dans une immense salle noyée, d'où partent une multiide de galeries. Cherchant sur le fond les matériaux les plus denses, et en l'absence de tout courant dans une telle masse d'eau, les plongeurs progressent de 70 à 80 mètres sans retrouver de sorties aérées. Il faut noter les difficultés sérieuses de ce siphon ratière, lames plongeantes et surtout absence d'une direction bien déterminée à suivre. Ce siphon doit être considéré comme particulièrement dangereux.Devant cet état de fait, et après avoir reconnu
environ 200 mètres de galeries noyées, nous avons décidé
d'arrêter l'exploration pour des raisons de sécurité. En
effet, continuer l'étude systématique du troisième siphon
est une opération techniquement possible, mais elle nécessiterait,
pour conserver un coefficient de sécurité suffisant, l'établissement
d'une nouvelle plate-forme à l'entrée du troisième siphon,
des relais de scaphandres et la mise en place un dispositif de télécommunications
différent.
Nous pensons que ce travail sortirait du cadre de celui d'un groupe
d'amateurs.
Dans l'état actuel des choses, il n'est donc pas question d'espérer trouver la rivière souterraine de Tai en galeries libres, mais si les observations que nous avons recueillies et la découverte de plusieurs dizaines de milliers de mètres cubes d'eau intéressent vivement les autorités responsables de la région.
Le laborieux travail de relevé et de mesure
Nous avons été conduits à réaliser la topographie précise des sorties noyées : premier siphon et première salle ; le deuxième siphon et la deuxième salle faisant l'objet de la seconde étape des travaux qui nous sont demandés. Cela constitue, compte tenu des conditions de travail, une opération extrêmement délicate et dangereuse pour les plongeurs en raison des durées d'immersion nécessaires.
Ainsi, nous sommes arrivés à penser aux différentes possibilités cliniques pour réaliser une telle opération. Compte tenu des conditions particulières que requiert ce siphon (dimensions, visilité, nature du sol et des parois) nous avons pensé que la solution la plus adéquate consistait à tirer un fil de visée. pour limiter au maximum les points d'inflexion et par la même occasion les difficultés et les erreurs successives, nous avons placé un corps mort en béton, redonnant ainsi dans la zone siphonnante deux directions. Nous avons ensuite procédé aux mesures de longueur à l'aide d'un ruban métré, aux mesures d'orientation à l'aide d'une boussole type " marin ", nous permettant une évaluation de plus ou moins 2°, et aux mesures d'inclinaison à l'aide d'un clinomètre constitué d'un gros rapporteur d'un fil à plomb, l'ensemble équilibré au moyen de flotteurs balsat.
La topographie de la salle 1 n'a posé aucun problème particulier il est inutile d'en faire état.
Le puits qui semble être à priori la zone la mieux appropriée pour permettre un captage (la conclusion sera fournie après une étude de surface faite par des spécialistes) est désormais situé géographiquement, aux erreurs successives près de la topograiie de surface, de la topographie des galeries fossiles et de la topographie des galeries noyées.
Parallèlement à ces travaux, le groupe a participé sous la direction de l'équipe du C.N.R.S. de M. Corbel et avec l'appui de Marian Pulina, à l'étude karstologique de la cavité, de manière à établir une synthèse complète de l'hydrogéologie de réseau.
Georges EROME
LIAISON BANGE - EAUX MORTES
OPÉRATION RÉUSSIE
Cette équipe doit passer un premier siphon de 65 m et nous attendre à l'entrée du deuxième siphon. Les grottes séparées d'environ 600 m l'une de l'autre seront reliées par radio. De son côté, Jean-Claude Espinas et le Spéléo Club d'Annecy assurent le transport des tribouteilles et du matériel jusqu'au lac des touristes.
A 9 h 30 les liaisons téléphonique et radio sont en place et notre descente vers le lac des touristes commence. Après les dernières vérifications, c'est la plongée en canard dans le grand siphon. Il est 9 h 45. Le niveau de l'eau est normal mais la visibilité se réduit au fur et à mesure de notre progression. Nous sommes obligés, Yves et moi, de nous haler sur la corde en nylon. Comme si elle s'était décrochée livrée à elle-même, elle se love, s'accroche à nos lampes, à nos bouteilles et à notre détendeur. A m-iparcours, gênés par ce fil d'Ariane embarrassant, essoufflés par nos efforts, nous envisageons de faire demi-tour. Mais nous avons parcouru plus de 200 m et nous nous trouvons à la cote - 22 m. |
La dérouleuse est maintenant à portée de main, non plus attachée au tronc d'arbre mais coincée dans une faille de la voûte. Nous la prenons de chaque côté en nous laissant couler 5 m plus bas. Nous repartons en rasant le fond et en explorant les parois de la galerie. La visibilité, toujours aussi mauvaise, restreint notre champ de vision à un mètre à peine. Le fil de nylon se déroule toujours, - 25 m, - 30 m. D'après nos prévisions, le point le plus bas doit être atteint. Nous remontons 28 m, 25 m, quand une secousse nous arrête. Plus de nylon sur la première bobine ; 290 m de corde ont été déroulés. Calmement nous raccordons une deuxième bobine pour pouvoir reprendre notre envol vers la sortie du siphon. Il n'est plus question de faire demi-tour, le plus dur est passé.
Soudain Yves s'arrête : il me montre de larges
planches coincées à la paroi de droite. Cela ressemble au
fond d'une barque plate et nous pensons tout de suite au Dr. Mercier qui
nous avait raconté une histoire à ce sujet... La galerie
tourne à angle droit pour se diriger plein ouest. Encore quelques
mètres pour gagner la surface dans le cirque que nous connaissons
déjà. Plus de voûte au-dessus de nous ; nos bulles
éclatent à l'air libre. Nous prenons pied, enlevons nos
masques. Le grand siphon est franchi : 20 mn de plongée et 320
m de nylon déroulés dans la galerie.
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40 m de rivière et un siphon de 80 m nous séparent encore de l'équipe de soutien qui nous attend sur la plage du toboggan ; un boyau que nous connaissons et où nous allons faire un palier de sécurité. La visibilité n'est pas meilleure, suffisante cependant pour que nous discernions bientôt deux lueurs : Bernard et Mike sont là, impatients. Le dernier siphon est franchi. La galerie s'emplit de nos cris de victoire qui se répercutent dans le micro relié à l'équipe de surface. La bonne nouvelle est immédiatement retransmise par radio à l'équipe de Bange. 35 mn se sont déroulées depuis notre départ. Bernard et Mike nous déséquipent et se chargent de nos tribouteilles pour l'escalade lente et pénible du couloir noir. Enfin le soleil ! Nos sacs laissés à Bange sont déjà arrivés. Mais on nous attend à Près-Rouge pour le casse-croûte... "
Jean-Baptiste Robert et Dr. Servettaz