DEUXIÈME PARTIE
SIPHONS ET FONTAINES
VAUCLUSIENNES
CHAPITRE PREMIER
LES EXPLORATIONS
« Zut le Siphon », telle est l'inscription que j'ai rencontrée une fois, sur la paroi d'une voûte mouillante dans une grotte de la vallée du Celé. Le siphon est bien en effet la bête noire des spéléologues, car il les a arrêtés bien des fois. Cependant, à l'heure actuelle, ce n'est pas là un obstacle systématiquement considéré comme infranchissable et de plus en plus fréquentes sont les tentatives de passage, par voie de plongée ou de désamorçage artificiel.
Il y a d'ailleurs siphon et siphon. Il ne s'agit parfois que d'une strate de rocher immergée dans l'eau sur quelques mètres, sous laquelle il est relativement facile de passer. Dans d'autres cas on se trouve en présence d'un tronçon de conduite forcée qui peut atteindre une longueur considérable. C'est alors, le plus souvent, une difficulté insurmontable dans l'état actuel de nos moyens.
Mais ce n'est pas seulement sous terre, au cours d'une expédition, que l'on rencontre ces fâcheux siphons. Il s'en trouve, et non des moindres, à la lumière du jour, telles ces résurgences, dites vauclusiennes, qui se présentent fréquemment sous l'aspect de beaux lacs baignant le pied de falaises calcaires.
La Fontaine de Vaucluse.
La plus célèbre d'entre elles, à bien des titre», est la Fontaine de Vaucluse.
Je ne reviendrai pas sur ses caractéristiques, que tous les
spéléologues connaissent bien, ni sur les nombreuses études publiées à son sujet. Je rappellerai seulement que deux tentatives d'exploration par plongée, avaient été faites avant la guerre. L'une, le 27 mars 1878, en présence de l'ingénieur Bouvier ; le scaphandrier Ottonelli atteignit une profondeur de vingt-trois mètre», l'autre, le 27 septembre 1938, devant M. de Joly ; le scaphandrier Negri descendit plus bas encore et prétendit atteindre le coude du siphon.
Le lieutenant de vaisseau Cousteau, sollicité depuis 1943 par le commandant Brunet, put organiser, en 1946, une expédition importante avec l'appui du Groupe de Recherches Sous-Marines commandé par le capitaine de corvette Tailliez.
Expédition du 27 août 1946.(fig. 9).
D'un canot, situé à l'aplomb de l'orifice du siphon, une gueuse est mouillée par dix-sept mètres d'eau. Le maître Pinard plonge afin de la faire descendre dans le siphon. Voyant que l'inclinaison du tunnel n'est que de 45° environ et que la gueuse rencontre des obstacles nombreux, il l'accompagne jusqu'à ce qu'elle ait déroulé vingt-huit mètres de corde.
La température de l'eau est de 12°5.
Vers 11 heures, le lieutenant de vaisseau Cousteau exécute une tentative en compagnie de Dumas. Les plongeurs sont équipés de combinaisons imperméables de types différents. Celle de Cousteau se compose de deux parties réunies sur un cerceau métallique à 1a hauteur des hanches. L'embout buccal normal passe au moyen d'une jonction étanche à l'intérieur de la veste capuchon avec laquelle la lunette fait corps tout en rappliquant sur le visage comme la lunette du type standard. La quantité d'air nécessaire entre le corps et la combinaison est fournie par des expirations du plongeur par voie nasale. Des soupapes tarées, convenablement disposées, laissent échapper l'excès de gaz.
Les appareils respiratoires sont des Cousteau-Gagnan tri-bouteilles. Les plongeurs sont en outre munis de propulseurs de caoutchouc, d'une ceinture de lest, d'un couteau et de deux torches étanches, dont une de réserve. Cousteau emporte en outre une glène de filin de cent mètres, tandis que Dumas est chargé par surcroît d'un petit appareil respiratoire de secours, d'un piolet d'alpiniste et d'un manomètre de profondeur. Les deux hommes sont reliés par une drisse de dix mètres, mais n'ont pas de liaison directe avec la surface afin de préserver leur autonomie. Leur projet est de faire basculer la gueuse jusqu'au fond et de se servir de la corde de celle-ci comme guide.
D'après les renseignements fournis par Ottonelli et Negri, les explorateurs s'attendaient à trouver un tunnel régulier, descendant sur une longueur de trente à quarante mètres, puis remontant aussitôt, suivant un profil indéterminé. La technique envisagée consistait, dans ces conditions, à attacher la glène de filin à la gueuse, au point le plus bas du siphon, et de remonter dans l'inconnu avec ce filin pour liaison. Toujours en tenant compte des données d'Ottonelli et Negri, les plongeurs se lestèrent « lourd » pour avoir une bonne tenue sur le sol et pouvoir lutter contre des courants éventuels.
Ils amorcèrent la descente à grande allure, car il était essentiel d'arriver au fond le plus rapidement possible, afin de pouvoir disposer du maximum de réserve d'air pour la reconnaissance de la partie inexplorée.
Malheureusement, les lieux ne se présentaient pas comme on pouvait le déduire des indications fournies antérieurement. Dès le départ, les plongeurs, par suite de leur excès de poids, déclenchèrent des avalanches de blocs dont ils faillirent être victimes. Puis, en faisant basculer la gueuse par-dessus le dernier obstacle qui la retenait, Cousteau laissa échapper, sans s'en apercevoir, sa glène de filin. La pente augmentait brusquement (environ 70°), la descente se fit de plus en plus rapide puis les plongeurs arrivèrent sur un talus de galets, incliné de 45° environ. Dans l'eau très limpide les faisceaux
des torches, bien que portant assez loin, ne rencontraient de paroi dans aucune direction. Le manomètre marquait quarante-six mètres, mais, en réalité, la profondeur atteinte était certainement supérieure, bien qu'il soit impossible de dire dans quelle proportion, car après l'expédition on constata qu'il s'était rempli d'eau. Cousteau fit sans succès une tentative en vue de rejoindre une voûte en s'élevant au-dessus de Dumas. En redescendant, il devait retrouver son compagnon à moitié inconscient. Lui-même ressentait des troubles analogues à ceux de l'ivresse des grandes profondeurs. La remontée s'effectua dans des conditions très difficiles et ne fut possible que grâce à l'énergie déployée par le lieutenant de vaisseau Cousteau et la présence d'esprit du premier maître Fargues qui, sentant que quelque chose « n'allait pas », prit sur lui de tirer sur le câble de la gueuse, aidant ainsi les plongeurs à revenir à la surface.
Cette première descente montrait que le passage était plus difficile qu'on ne le pensait ; la branche descendante n'était pas suivie immédiatement d'une branche ascendante, mais donnait dans une vaste cavité pleine d'eau, dont les dimensions et les contours restaient indéterminés. D'autre part, à aucun moment, les explorateurs ne décelèrent de trace de courant, bien que le débit extérieur de la Sorgue fût de l'ordre de cinq à six mètres cubes-seconde.
Une seconde plongée fut alors effectuée par le commandant Tailliez, accompagné du second maître Morandière. Mais tenant compte des résultats de la première tentative, ils descendirent cette fois en suivant non plus la ligne de plus grande pente du conduit, mais en nageant au ras de son toit. Dans ce but, ils se lestèrent plus « léger » et réduisirent à trois mètres la drisse qui les encordait. En outre, ils restèrent en liaison avec la surface, au moyen d'une corde dont ils déroulèrent quatre-vingts mètres au cours de leur plongée, sans cependant noter de relèvement sensible de la voûte, A ce moment, le commandant Tailliez commença à ressentir les
effets éprouvés le matin par les deux autres plongeurs et décida de faire demi-tour.
Ainsi, malgré les scaphandres ultra-modernes employés et la virtuosité exceptionnelle des plongeurs, il ne fut pas possible de résoudre l'énigme de Vaucluse.
II est intéressant d'en analyser les causes pour voir si on peut espérer, un jour, forcer ce siphon.
Tout d'abord, il faut remarquer que les plongées ont été limitées non par la profondeur atteinte, ou par l'insuffisance d'autonomie, mais par un accident dans le remplissage des bouteilles dont l'air s'est trouvé mélangé à une certaine quantité d'oxyde de carbone, accident qui ne se reproduira plus. Une équipe de la qualité de celle du G.R.S. peut donc normalement pousser plus loin. Les résultats dépendront, d'une part des moyens matériels qui seront mis en œuvre, d'autre part de la disposition des lieux. De toutes façons, il s'agit d'une entreprise très difficile, au-dessus des possibilités des spéléologues, scaphandriers d'occasion, qui voudraient s'y attaquer. Je souhaite que le G.R.S. puisse un jour disposer du temps nécessaire pour reprendre cette exploration, qu'il est à peu près seul, dans l'état actuel des choses, à pouvoir tenter avec quelques chances de succès.
Cependant, l'expédition du 27 août 1946 a marqué une date dans l'histoire de la spéléologie, car elle a ouvert l'ère des prospections par plongées, des grandes résurgences vauclusiennes.
Pour ma part, la révélation des possibilités ouvertes par le scaphandre autonome Cousteau-Gagnan, fut à l'origine de l'exploration systématique des résurgences vauclusiennes du département du Lot. Les circonstances voulurent, en effet, que peu après avoir eu connaissance de l'expédition du commandant Cousteau, on me demandât de venir à Cahors pour tenter l'exploration de la Fontaine des Chartreux (la Divona Cadurcorum des Romains).
La Fontaine des Chartreux à Cahors.
Cette belle résurgence vauclusienne est située sur la rive gauche de la boucle du Lot qui enserre Cahors, à deux cent cinquante mètres en amont du célèbre pont Valentré. Elle se présente sous l'aspect d'un siphon vasque, d'une surface d'environ quatre cents mètres carrés, fermé au sud-ouest par une voûte plongeante, constituée de strates calcaires très fortement inclinées. Son débit à l'étiage est de l'ordre d'un mètre cube-seconde, mais il peut dépasser dix mètres cubes-seconde en période de hautes eaux.
Préparation et organisation de l'exploration.
Telle est ainsi sommairement décrite cette Divona qui a intrigué les Cadurciens depuis les époques les plus reculées. Au printemps 1947, un comité formé de commerçants de Cahors à l'esprit entreprenant décida de tout mettre en oeuvre pour essayer de percer le mystère de la fontaine. J'eus la bonne fortune, grâce à M. l'abbé Lemozi, d'être chargé de l'organisation de l'exploration, avec carte blanche pour le choix des moyens et des dépenses à engager. Après une vaine recherche, dans les falaises qui dominent Divona, d'évents fossiles permettant de rejoindre la rivière souterraine, je préconisai d'essayer de forcer le siphon par voie de plongée en scaphandre autonome.
Avec les fonds mis à ma disposition par le Comité Divona j'achetai deux scaphandres bibouteilles, plus un bloc bibouteille de réserve, des palmes Corlieu et deux vêtements étanches du type utilisé par le commandant Cousteau à Vaucluse. En outre, la Société « La Spirotechnique » mit gracieusement à ma disposition un troisième scaphandre. Je me procurai également trois lampes torches étanches de scaphandrier. En dehors de ce matériel fondamental, je réunis l'ensemble des accessoires qui me paraissait pouvoir être
nécessaire, tant pour la plongée proprement dite, que pour la suite de l'exploration au cas où je franchirais le siphon.
De leur côté, des ingénieurs et artisans de Cahors avaient étudié et réalisé un système de liaison qui s'est révélé, dès la première expérience, parfaitement au point. Un câble armé, à quatre conducteurs, à la fois souple et résistant, permettait de relier le plongeur au poste de surface. Une manette, branchée sur deux des conducteurs, donnait la possibilité au scaphandrier de transmettre des signaux sonores et optiques, conformément à un code convenu d'avance. Initialement, les deux autres conducteurs étaient destinés à permettre à l'explorateur de brancher un combiné téléphonique au moyen duquel il pourrait, dans l'esprit des inventeurs, passer ses instructions, une fois le siphon franchi. Nous n'eûmes malheureusement pas l'occasion d'utiliser ce dispositif, mais les deux conducteurs disponibles se révélèrent par la suite très utiles pour alimenter un petit projecteur destiné à suppléer à l'insuffisance manifeste de l'éclairage fourni par les torches étanches.
Exploration. — Essai préliminaire du 25 juillet (fig. 10).
Pour essayer les appareils et reconnaître les lieux, je fis une première plongée le 25 juillet. Je n'avais pas d'éclairage et, à douze mètres environ, je rencontrai un petit seuil que je pris, dans l'obscurité due au surplomb de la voûte, pour l'amorce de la partie horizontale du siphon. Ce résultat semblait conforme aux indications données par Martel, d'après lesquelles la profondeur était de treize mètres cinquante.
Plongées du 4 août.
Un boulet de béton, relié à la surface, est largué depuis la veille dans la fontaine. Son câble d'attache a une longueur de treize mètres. Dans mon esprit, ce dispositif est destiné à faciliter la remontée en cas de nécessité. Je fis dans la matinée deux plongées le long de la ligne de plus grande pente, d'une durée totale de sept minutes environ, puis une troisième, d'un peu plus de sept minutes, en suivant la voûte, de manière à reconnaître la forme du conduit.
L'après-midi, au cours d'une première descente, j'essayai de faire tomber le boulet plus bas ; je réussis à lui faire franchir un ressaut de deux mètres environ, mais ce déplacement souleva des nuages d'argile très fine, rendant la visibilité pratiquement nulle. Je fis encore deux tentatives, mais l'eau restait si trouble que je dus abandonner, d'autant plus que mon éclairage se révélait très insuffisant, les torches sous-marine, dont je disposais n'étant nullement faites pour ce genre de prospection.
Plongées du 12 août.
Premier essai à 8 heures 30 ; je remonte au bout d'un peu plus de sept minutes, ayant troublé l'eau par un coup de palmes malheureux sur une roche couverte de vase.
Je replonge à 10 heures ; j'emporte une forte lampe électrique étanche, alimentée depuis la surface par un courant continu de six ampères sous douze volts. J'ai également en secours une torche sous-marine. Je suis lesté un peu lourd et dois avec la grille de la lampe, me repousser de la paroi pour éviter de déplacer de l'argile avec mes palmes. J'avance lentement, car les deux câbles me freinent considérablement malgré mon excès de poids. Le conduit s'élargit et descend toujours suivant une pente très raide se rapprochant par endroit, de la verticale. J'ignore à ce moment à quelle profondeur je me trouve et depuis combien de temps je suis parti. J'estime imprudent, dans ces conditions, de poursuivre seul l'exploration et je me décide non sans regret à remonter. Je suis surpris d'apprendre à mon retour au radeau que la plongée n'a duré que 7'20", comme la première, mais on a
lâché trente-deux mètres de câble au lieu de vingt-cinq, ce qui semble indiquer que j'ai atteint la cote -25.
Ces divers essais montrant que le siphon de Divona est d'une ampleur tout autre que celle que nous avions pronostiquée, je décidai de faire appel au concours de plongeurs professionnels. Grâce au bienveillant intérêt porté à notre exploration par les commandants Tailliez, et Cousteau je pus compter sur l'aide des deux excellents scaphandriers Fargues ( 1 ) et Morandière, qui avaient participé tous deux à l'expédition faite à Vaucluse, en 1946, par le Groupe de Recherches Sous-Marines.
Plongées des 30 et 31 août.
En arrivant à Cahors le 30 au matin, une grosse déception m'attend ; j'apprends en effet que les grandes bouteilles d'air de réserve que nous avions fait venir sont très incomplètement chargées. C'est là un regrettable incident, susceptible de compromettre le résultat de l'expédition. Il ne peut être question de plonger à trois, et il est évident que je dois laisser partir seuls les deux professionnels, qui utiliseront bien plus efficacement que moi la quantité d'air dont nous disposons.
A 8 heures, ils plongent ensemble, sans liaison entre eux ; Fargues dévide avec lui un touret sur lequel sont enroulés cinquante mètres de cordelle. Ils remontent environ sept minutes plus tard ; ils ont atteint une paroi verticale alors qu'ils arrivaient au bout de leur filin ; celui-ci a été maintenu tendu, pour servir de guide ultérieur, en coinçant le touret contre des blocs au pied de la paroi qui semble fermer le conduit suivi.
(1) Le premier maître Fargues devait disparaître tragiquement deux semaines plus tard au cours d'une plongée en mer alors qu'il venait de battre le record de plongée en scaphandre léger, par cent-vingt mètres de fond. Cet audacieux plongeur était en outre un camarade charmant et dévoué dont la disparition prématurée a profondément frappé tous ceux qui le connaissaient.
A 9 heures 10, nouvelle plongée. Fargues est relié à la surface par le câble ; cette fois, deux des conducteurs sont branchés sur une lampe à main munie d'un réflecteur. L'expérience devait montrer l'amélioration considérable que représente ce nouveau système d'éclairage qui permet, par surcroît, de donner les temps aux plongeurs. Fargues emmène avec lui un deuxième touret. Les deux hommes descendent à une allure très rapide ; en deux minutes, ils sont à l'extrémité du filin de cinquante mètres, posé précédemment. Fargues reste au point le plus bas, contrôlant, au moyen du cordonnet du deuxième touret, son camarade qui remonte le long de la paroi découverte, à la recherche d'une issue. Les deux hommes reparaissent au bout d'un quart d'heure environ. Morandière n'a pas trouvé d'orifice dans cette paroi qui, d'abord verticale, s'incline sensiblement ensuite vers l'entrée.
Le 31 août, je fais une reconnaissance rapide avec Morandière pour m'assurer que le conduit suivi la veille avec Fargues est bien celui dans lequel je m'étais engagé précédemment ; il en est bien ainsi et il n'y a en définitive qu'un seul puits.
Fargues et Morandière repartent à nouveau ; il est prévu que Fargues restera encore au point le plus bas du premier puits pour contrôler Morandière tandis que celui-ci fouillera la paroi.
Comme la veille, les deux hommes descendent à vive allure et bientôt le câble électrique s'immobilise. D'après la longueur dévidée, Fargues doit avoir atteint la base du grand puits. Le signal « tout va bien » retentit encore deux ou trois fois puis c'est le silence. Au début, nous ne nous inquiétons pas ; Fargues doit être absorbé par le contrôle de son camarade et ne pense pas à nous donner de ses nouvelles. Mais à mesure que les minutes passent, l'angoisse nous saisit. Penché sur une table des durées d'autonomie en fonction des profondeurs, je calcule le temps limite pendant lequel les deux hommes
peuvent encore rester aux environs de cinquante à soixante mètres. Je suis sur le point de prendre la décision de faire rappeler le câble d'autorité, ce qui n'est pas sans présenter de grands risques si les deux plongeurs sont encore éloignés l'un de l'autre, lorsque brusquement celui-ci se tend et plusieurs mètres filent rapidement dans le gouffre.
Nous sommes tous extrêmement inquiets. Si Fargues demande du câble, c'est qu'il en a besoin, mais, d'un autre côté nous savons, que les deux hommes ne doivent pratiquement plus avoir d'air dans leurs bouteilles ... Que faire ?
Je vais de nouveau décider de faire remonter le câble lorsque Fargues jaillit littéralement de la fontaine, à bout de souffle, les traits marqués par une grande fatigue. Quelques secondes plus tard Morandière apparaît à son tour.
Tandis que nous frictionnons énergiquement les deux plongeurs, ils nous expliquent ce qui s'est passé.
Comme prévu, Fargues s'est installé à la base du grand puits, d'où il contrôle Morandière. Celui-ci a fini par trouver un nouveau gouffre dans lequel il s'est engagé déroulant vingt-sept mètres du cordonnet qui le relie à Fargue. C'est à ce moment que celui-ci, sentant qu'il va se trouver à court d'air, lui transmet le signal du retour. Morandière le rejoint et commence à remonter lentement dans le premier puits. Fargues signale à ce moment « Tirez », mais, par suite d'un mauvais contact, la sonnerie reste silencieuse. Fargues comprenant qu'il y a eu fausse manœuvre et sentant qu'il n'a que pour quelques secondes d'air, se détache du câble et remonte à toute allure, doublant Morandière surpris. A quelques secondes près, cela aurait pu être l'accident grave, peut être mortel.
Il n'est plus question de faire une nouvelle tentative. Fargues et Morandière, malgré leur entraînement, sont épuisés et d'ailleurs il apparaît nettement que le passage du Siphon des Chartreux est, dans l'état actuel des choses, au-dessus des possibilités humaines.
En effet, au cours de la dernière plongée, qui a dure treize minutes, Morandière a atteint la profondeur de soixante mètres et, à ce moment, le puits se prolongeait encore sous lui au-delà de la portée de son éclairage ; il ne saurait donc être question de pousser l'exploration jusqu'à la partie inférieure de la conduite forcée, et encore moins de poursuivre au-delà.
Si cette expédition fut un échec au point de vue du but de prospection recherché par le Comité Divona, elle constitua par contre un enseignement de premier ordre au point de vue, du matériel et de la technique à adopter pour les plongées souterraines. Il me fut précieux pour les explorations de ce genre que j'ai entreprises par la suite ( 1 ), en particulier pour celle de la Fontaine de Saint-Georges.
La Fontaine de Saint-Georges.
Une expérience de coloration faite en 1947 ( 2 ) avait établi que les eaux de la rivière de Padirac ressortaient, au moins partiellement, à la Fontaine de Saint-Georges dans le cirque de Montvalent.
Cette fontaine se présente sous la forme d'un lac aux eaux bleues de trois cents mètres carrés de surface. Elle est située au pied même de la falaise qui borde à l'est la vallée de la Dordogne (fig. 11).
En 1948, j'y effectuai une série de plongées solitaires et atteignis un palier situé à quarante-trois mètres de profondeur au-delà duquel le conduit paraissait remonter légèrement. Tandis que j'inspectais la petite salle où je me trouvais, j'eus l'extrême surprise de voir apparaître, lumineux dans le faisceau de ma lampe, une demi-douzaine de poissons plats, incolores, nageant lentement et se souciant si peu de ma présence que l'un d'eux heurta mon hublot et un autre ma poitrine. La présence de ces poissons posait un problème de biologie souterraine, qui m'amena à plonger de nouveau à Saint-Georges en 1949 et 1950.
(1) Annales de spéléologie, 0950, t. V., p78.
(2) G de Lavaur, Padirac ou l'Aventure Souterraine, p. 23 (Susse, édit.). Annales de Spéléologie (loc. cit.).
(1) Pour que le lecteur puisse se faire une idée de la violence de l'action des eaux en période de crue, j'indiquerai qu'en décembre 1952 le débit a atteint trente mètres cubes-seconde environ. Comme certaines sections du conduit ne mesurent pas plus d'un mètre carré 50, il en résulte que l'eau devait passer en ces endroits à une vitesse de 20 m. à la seconde, soit environ 70 km. à l'heure. A ce moment, le pont sur le Ruisseau de Saint-Georges était entièrement noyé et la crue dans la vasque d'environ 6m. La surface se trouvait donc à plus de 15m. au dessus de l'orifice du siphon. Malgré cela, la vitesse de l'eau, à la sortie était telle qu'elle provoquait, d'après des témoins dignes de foi, une sorte de large champignon à la surface du lac. Comme l'irrégularité et les aspérités des galeries souterraines provoquent des pertes de charge considérables, il faut en conclure qu'en amont du siphon l'eau se trouvait accumulée à une hauteur très importante au-dessus du niveau de la fontaine, probablement proche de la cote atteinte au cours de la dernière exploration de Padirac. Parmi les déchets de toute nature que j'ai pu retrouver après la décrue, il se trouvait notamment, parmi des galets divers et des grains de limonite, des morceaux de calcite de la taille d'une boite d'allumettes aux angles brisés mais à peine émoussés. |
J'avoue que j'aurais aimé être accompagné de quelque camarade sûr, sinon expérimenté, car ce boyau de Saint-Georges, avec ses marmites d'érosion ( 1 ) et ses strates de rocher éboulées, a quelque chose de sinistre qui tempère singulièrement l'enthousiasme suscité par l'esprit de découverte. Or, non seulement les circonstances ne me permirent pas de trouver un amateur de plongée, mais je ne pus même pas disposer en surface d'un chef d'équipe, doué de sang-froid et d'autorité, M. Fontangié, qui m'avait merveilleusement assisté à Cahors et à Saint-Georges en 1948, n'ayant pu se dégager de ses occupations professionnelles.
M. Fontangié, pêcheur émérite, sent le scaphandrier au bout du câble comme un poisson au bout de la ligne et le plongeur s'en rend parfaitement compte.
Je puis dire que si, en 1948, encore scaphandrier novice, j'ai pu filer d'une seule traite à soixante-dix mètres de l'entrée sous quarante-trois mètres d'eau, malgré les obstacles semés sur ma route, c'est en raison du sentiment de sécurité que me donnait la perfection des manœuvres de liaison mécanique exécutées par M. Fontangié.
En 1949 et 1950, au contraire, les amis qui voulurent bien sur mon insistance mais à leur corps défendant, tenir le poste de surface, me communiquèrent leur inquiétude par leurs actions désordonnées sur le câble, ce qui eut pour effet de matérialiser le sentiment latent d'angoisse que j'éprouve toujours lorsque je pénètre seul dans les noires galeries des siphons et de me faire faire demi-tour prématurément.
Le 3 août 1951, je suis de nouveau au bord de la fontaine. Cette fois, je ne serai pas seul à plonger. En effet, j'ai réussi à intéresser à mes fameux poissons Robert Gruss, Vice-Président du Club Alpin Sous-Marin de Cannes. Grâce à son intervention, j'aurai également le concours du remarquable scaphandrier qu'est Jean-Pierre Charvoz et du spécialiste de Photographie sous-marine Dimitri Rebikoff. De son côté, Henri Broussard, l'animateur du Club, a bien fait les choses ; quoique notre expédition se situât à une période où tout le matériel disponible trouve son emploi à Cannes, il n'a pas hésité a nous prêter un lot impressionnant de bouteilles d'air chargées a deux cents kilos, avec lequel nous pourrons aisément alimenter pendant toute la durée des opérations nos quatre scaphandres autonomes Cousteau-Gagnan.
Un important matériel jonche les abords de la fontaine. Outre les appareils de plongée proprement dits, il y a :
-
des lampes torches étanches ;
-
de grosses lanternes de scaphandriers lourds ;
-
un câble destiné à l'éclairage principal et à la signalisation, avec sa batterie d'alimentation et ses accessoires optiques et acoustiques ;
-
des vêtements isolants, des palmes de natation, des ceintures garnies de plomb, des mousquetons ;
-
tout un matériel de pêche subaquatique : fusils, harpons et une nasse à fermeture automatique spécialement étudiée par Gruss pour la capture des poissons de la fontaine ;
-
enfin l'appareillage de Rebikoff pour les prises de vues sous l'eau dans l'obscurité.
Pour moi qui ai toujours plongé seul à Saint-Georges, avec un matériel réduit au strict minimum, il me semble que notre expédition ne peut être qu'un succès et je suis heureux de la présence de Rebikoff, grâce auquel je compte bien que nous pourrons ramener des vues intéressantes, non seulement du fond du siphon, mais aussi des contre-jours dans la vasque où, par beau temps, le soleil se joue merveilleusement dans l'eau bleue au milieu des racines parées de bulles d'air argentées des plantes aquatiques.
Malheureusement, depuis plusieurs jours, le ciel est couvert
et tandis que nous achevons nos préparatifs, la pluie se met à tomber. J'espère malgré cela que la luminosité sera suffisante pour que Rebikoff puisse travailler utilement.
J'endosse mon vêtement isolant et avant de m'équiper complètement je prends contact avec la fraîcheur de l'eau (12° en surface).
Je conseille à Gruss, qui a revêtu une combinaison Dumas, de faire de même, mais il préfère se mettre directement à l'eau pour plonger et tandis que j'achève de me charger de tout l'attirail d'exploration et de pêche nécessaire ( 1 ), il transpire abondamment.
Voici enfin l'heure H. Je me mets à l'eau, règle ma flottabilité au moyen de mes plombs de ceinture et descends rapidement à douze mètres au fond de la vasque. Gruss doit me suivre, lié à mon câble par un mousqueton de ceinture glissant librement sur lui.
Les secondes me paraissent longues ; il semble que Gruss, dont j'aperçois la silhouette sombre à la surface, tarde à prendre le départ. Enfin, je le vois piquer vers le bas dans un flot de bulles argentées. Je ne m'attarde pas davantage au fond de la vasque, qui n'a pas aujourd'hui l'attrait de sa belle couleur bleue des jours de soleil, et je m'enfonce dans le sombre couloir du siphon. La lumière extérieure ne pénètre plus ici ; seuls m'éclairent les pinceaux de ma lampe de câble et de mes torches sous-marines. Je me retourne pour m'assurer que mon compagnon me suit bien. Une lueur lointaine m'indique la direction de la sortie, mais sur ce faible contre-jour je ne vois se découper aucune ombre mouvante ; le câble reste strictement immobile. Après quelques instants d'attente, je reviens sur mes pas et atteins l'étranglement qui permet d'accéder au fond de la vasque ; pas de trace de Gruss. Le câble, que je n'ai pas fait rappeler de la surface, traîne en méandres irréguliers au milieu des blocs.
(1) Scaphandre bibouteille, ceinture avec mousqueton, deux torches étanches, la lampe de câble et la manette de signalisation, un harpon.
L'un de cesméandres plus large que les autres passe derrière une sorte de pilier ; je ne m'en inquiète pas et remonte vers l'air libre pensant y trouver mon camarade. Je ne l'aperçois pas. Je retire l'embout de mon respirateur et demande :
- Où est Gruss ?
- En bas.
- ?????
Je plonge à nouveau en suivant le brin du câble qui pend dans la fontaine. Arrivé au fond de celle-ci, j'aperçois Gruss qui émerge d'une ouverture sombre, séparée de celle que j'avais utilisée par le pilier mentionné plus haut Les bulles s'échappent régulièrement, mais mon camarade paraît remonter avec peine et, arrivé à la surface, il semble réellement en difficulté.
Charvoz et Rebikoff l'aident à sortir. Il saigne du nez, se plaint de douleurs dans les jambes et grelotte de tous ses membres. Tandis qu'on lui prépare un café chaud, Gruss nous explique ce qui s'est passé.
— J'avais très chaud dans mon vêtement et j'ai été saisi par le froid. De plus, lourdement lesté par le matériel de pêche et la grosse lampe de scaphandrier, je suis descendu trop vite sans pouvoir déglutir et laisser la pression s'équilibrer correctement dans mes oreilles. Ajoutez-y l'émotion de cette première plongée dans le noir. Tout cela réuni m'a donné un malaise et j'ai plus ou moins perdu connaissance pendant un moment. Heureusement, je n'ai pas lâché l'embout de mon appareil.
Charvoz ( 1 ), et Rebikoff, qui se sont équipés entre temps, se préparent à plonger à leur tour pour se familiariser avec le siphon et tenter de prendre quelques photos.
Charvoz part le premier et, dans un style impeccable où se lit sa pratique des excursions sous-marines, disparaît dans la vasque.
(1) Revêtu d'un vêtement Tarzan étanche en caoutchouc mousse.
Arrivé au fond, il s'engage de quelques mètres dans l'obscurité de la conduite forcée et communique le signal « stop » tandis qu'il s'immobilise pour attendre Rebikoff.
Celui-ci, handicapé par son appareillage électro-photographique, trouve préférable de descendre lentement le long du talus de matériaux alluvionnaires qui bordent la vasque à l'ouest, au lieu de plonger à la verticale au pied de la falaise. Cette façon de procéder a malheureusement pour conséquence de troubler fortement l'eau déjà assombrie par l'absence de soleil.
Pendant quelques minutes les bulles montent régulièrement tandis que résonne périodiquement le signal « tout va bien ».
Puis, le couineur fait entendre une vibration prolongée. C'est le signal de la remontée. Nos deux camarades sont vite de retour. Ils nous expliquent qu'il était inutile de s'attarder au fond, l'eau étant trop trouble dans la vasque pour faire des prises de vues et que, par suite d'un incident de matériel, il n'était pas possible de prendre des photos dans la branche descendante du siphon.
Dans ces conditions, je décide de remettre la suite des opérations au lendemain, avec l'espoir que nous bénéficierions d'un temps plus clément.
Le 4, l'équipe est de nouveau à pied d'œuvre, au grand complet, rien ne manque... pas même la pluie qui continue à tomber.
Gruss, qui a été l'âme de la mise sur pied de l'expédition, n'est pas en condition pour plonger ; il est navré de ne pas pouvoir aller à la recherche des mystérieux poissons. Il restera en secours avec Rebikoff.
Nous reprenons le dispositif de la veille ; je pars en tête, mais c'est Charvoz cette fois qui plonge derrière moi, lié au câble par un mousqueton coulissant sur lui.
En quelques secondes, nous sommes au fond de la vasque. Nous attaquons la conduite forcée. Celle-ci est large en moyenne de plusieurs mètres, mais la voûte est assez basse et il faut choisir le point de passage favorable. De temps en
temps, un choc accompagné d'un bruit qui résonne violemment dans les oreilles indique que les bouteilles d'air ont heurté le plafond. La progression, d'abord très rapide, se ralentit progressivement, car le câble frotte sur les blocs éboulés qu'il contourne. La pente est en moyenne de 45°, mais le profil est assez irrégulier.
Tout à coup, la voûte s'élève et le conduit se transforme en une petite salle aux parois profondément burinées par l'érosion. Nous avons atteint mon terminus de 1948. Nos manomètres indiquent une profondeur de quarante-trois mètres. Les lieux sont tels que je m'en souvenais, et il n'y a pas de doute qu'il y a bien ici au moins un palier dans le profil du tunnel.
Toutefois, je remarque un fait nouveau ; un talus d'argile, qui n'existait pas en 1948, déposé sans doute par les fortes crues du printemps 1951, ferme aux trois quarts le passage. J'essaie de m'approcher pour me glisser entre la voûte et l'obstacle, mais je soulève aussitôt des nuages de vase qui empêchent toute visibilité. Il faut renoncer à aller au-delà reconnaître si nous sommes bien au plus bas du siphon et à poursuivre la recherche des mystérieux poissons qui, cette fois, ne sont pas au rendez-vous. Nous apprendrons d'ailleurs au retour qu'il ne restait que deux ou trois mètres de câble et que, de toute façon, nous n'aurions pas pu progresser plus loin.
Je montre à Charvoz le talus d'argile et les nuages de vase émis au moindre mouvement, afin de lui faire comprendre qu'il ne reste plus qu'à faire demi-tour. C'est à ce moment que se produit une fausse manœuvre qui aurait pu nous être fatale. Charvoz lève le pouce, signal conventionnel signifiant «Tout va bien », sur lequel je me méprends et traduis « On remonte ». J'appuie longuement sur la manette de mon appareil de signalisation, transmettant ainsi à la surface le signal « Tirez ».
Aussitôt, nous voici halés à vive allure et presque en même
temps coincés sous un bec ou une dalle de rocher. Le même incident m'était arrivé en 1948, mais j'étais seul alors, tandis que cette fois Charvoz, qui était en position de descente, est rabattu en arrière avant d'avoir pu faire demi-tour et nous nous trouvons, je ne sais trop comment, ligotés sans presque pouvoir bouger.
Tandis que Charvoz fait des efforts désespérés pour se libérer, mon esprit, ralenti sans doute par un commencement d'ivresse des grandes profondeurs, ne réagit que mollement.
Je revois encore le sol de roche grise parsemée de gravillons contre lequel j'étais plaqué et je me souviens qu'à chaque inspiration je me disais : « Ça biberonne bien » et j'évaluais platoniquement le temps que mes bouteilles mettraient à se vider. J'entrevoyais la mort à ce moment comme quelque chose de fâcheux, sans plus. Je finis cependant par prendre conscience de la situation et je signale à la surface « Donnez du mou ». Aussitôt, la tension du câble cesse de se faire sentir et nous pouvons nous dégager. Entre temps, Charvoz a réussi à se démousquetonner.
La remontée du boyau se fait très rapidement, trop rapidement même, car si une pointe de rocher avait accroché un de nos tuyaux d'air, celui-ci aurait été immanquablement arraché ou sectionné.
Arrivé au fond de la vasque, je décide de faire un palier de décompression ( 1 ). Il faut croire que la narcose de l'azote agit encore sur moi, car je détache le câble et le laisse filer seul, sans m'inquiéter de l'effet que cela peut produire en haut. Charvoz essaie bien de m'inciter à remonter, mais en vain ;
(1) L'azote de l'air se dissout dans le sang et dans les tissus, particulièrement les tissus gras. La quantité d'azote dissous dépend de la profondeur atteinte et de la durée du séjour. Lorsque le plongeur remonte, l'azote tend à s'échapper d'autant plus brutalement que la diminution de pression est plus rapide. D'où la nécessité, pour éviter des accidents physiologiques qui peuvent être très graves, de s'arrêter à des profondeurs déterminées pendant un temps fixé par les tables de décompression, pour permettre une libération progressive des gaz. |
après l'alerte du fond, je trouve un réel plaisir à nager dans la vasque à la lumière du jour.
Lorsque je regagnai l'air libre, Charvoz avait un peu tranquillisé l'équipe de surface, mais l'inquiétude se peignait encore sur les visages et je fis, à juste titre, assez fraîchement accueilli. Après une tournée de café chaud, la tension disparut, mais les camarades restés au bord de la fontaine tinrent à me faire revivre les émotions par lesquelles ils étaient passés, en partie par ma faute.
Au début, tout alla bien. Le câble filait régulièrement, le signal « Tout va bien » se répétait normalement, tandis que les bulles en chapelets argentés venaient crever à la surface de la vasque. Puis celle-ci cessa d'être ainsi animée. Son eau, noire sous le ciel d'orage, ne laissait plus apparaître aucun frémissement. Le câble filait toujours, mais par à-coups. Le signal « Tout va bien » parvenait plus irrégulièrement.
Soudain, de quelque recoin de la falaise, parut sortir une sorte de borborygme, dû sans doute à la détente des bulles d'air dans quelque cavité communiquant avec la rivière. Trente-deux mètres de câble avaient disparu dans le gouffre. Les tractions se faisaient de plus en plus saccadées, témoignant de l'effort des plongeurs pour le faire glisser derrière eux. Bientôt il ne resta plus que quelques mètres du câble qui, du reste, s'immobilisa, tandis que pendant deux minutes qui parurent des siècles le couineur demeura silencieux.
Puis, c'est le signal «Tirez». Trois mètres de câble sont sortis de l'eau, lorsque brutalement celui ci se bloque net, tandis que résonne encore plusieurs fois le signal « Tirez », suivi d'un long silence pendant un temps qui paraît une éternité.
Enfin, le couineur signale « Donnez du mou », ordre aussitôt exécuté, et quelques secondes plus tard parvient l'ordre de tirer. Cette fois, le câble vient rapidement ; les signaux se succèdent confirmant « Tirez ». Puis c'est de nouveau le silence, mais le câble remonte aisément, trop aisément même.
Chose curieuse, aucune bulle d'air ne vient crever à la surface. Pourtant, quelque chose de jaune se distingue dans les profondeurs de l'eau noire, se rapproche, devient plus distinct... et la lampe, la poignée de signalisation sortent de l'eau ... mais il n'y a personne au bout.
Un silence absolu règne parmi l'équipe de surface et les curieux, venus nombreux assister à l'exploration.
Gruss, pâle comme un mort, a déjà revêtu son scaphandre et se prépare à plonger. Rebikoff va l'imiter pour être prêt à toute éventualité, lorsque des bulles viennent agiter la surface de l'eau ; quelques instants après, Charvoz émerge et annonce ma remontée imminente.
Gouffre des Vitarelles.
A cinq kilomètres à vol d'oiseau au sud-est de Gramat, bâille dans le causse la vaste ouverture du Gouffre des Vitarelles, dont le fond, constitué de matériaux d'éboulis, se trouve à quatre-vingt-cinq mètres de profondeur. Grâce à des travaux de forage récents entrepris depuis la base de l'abîme, il a été possible de rejoindre, à une cinquantaine de mètres au-dessous, une importante rivière souterraine en pleine activité.
Vers l'aval, un siphon fermait le passage. Il me fut demandé d'essayer de le franchir. Un premier problème est celui de porter le matériel jusque-là. La descente dans le gouffre et dans le puits artificiel est relativement aisée, mais je garde un mauvais souvenir d'une galerie basse, encombrée de blocs où il fallait ramper en poussant devant soi les colis, dont certains lourds et relativement fragiles ; j'avais l'impression que nous faisions assez l'effet de ces fourmis qui zigzaguent parmi des gravillons, en portant un grain de riz presque plus gros qu'elles.
Ce mauvais passage franchi, le reste n'est guère qu'une promenade dans de vastes couloirs aux voûtes élevées. Juste en amont du siphon, un banc de glaise, que contourne la rivière,
semble une plate-forme de départ acceptable, sinon agréable.
Je revêtis mon équipement et plongeai. J'étais relié à l'extérieur par une cordelle et il était convenu que j'effectuerais trois tractions brusques sur celle-ci en guise de signal de rappel,
L'eau était trouble et mon éclairage, constitué d'une simple torche électrique, se révélait nettement insuffisant. Ne me rendant plus compte où j'en étais, je donnai le signal convenu. Mais au lieu de sentir le filin se tendre, j'eus l'impression qu'il venait librement. Au bout de deux appels, je décidai de ressortir. Je trouvai non sans peine dans le tas de cordelle qui gisait à mes pieds le brin venant de l'entrée et, formant autour de lui une sorte d'anneau avec le pouce et l'index gauche, je regagnai la surface en suivant ce fil d'Ariane.
Je revins quelques jours plus tard avec mon équipement d'éclairage et de signalisation électrique. Pour éviter de troubler l'eau en marchant dans l'argile pour atteindre l'entrée du siphon, il avait été édifié une sorte de plate-forme avec deux bateaux pneumatiques d'où pendait une échelle permettant de plonger directement sans fouler la glaise.
Je fis, cette fois, peut-être une vingtaine de mètres, mais j'abandonnai, inquiet de me trouver seul dans une eau qui restait trouble malgré les précautions prises. Après un conduit relativement bas et légèrement incliné, j'avais trouvé une voûte plus élevée mais toujours noyée.
Il fut alors fait appel au Groupe de Recherches Sous-Marines de Toulon.
Au cours d'un premier essai, deux scaphandriers chevronnés, munis de projecteurs étanches à accumulateurs, partirent l'un derrière l'autre, reliés tous deux à la surface par une corde. Ils revinrent presque aussitôt, assez désappointés. La corde, s'étant emmêlée, les avait considérablement gênés et leurs projecteurs, malgré leur puissance, ne leur servaient à rien dans l'eau trouble.
Ils repartirent ensuite successivement, suivis d'un troisième,
et poussèrent jusqu'à vingt-cinq mètres du point de départ, dans une galerie plus haute, sans doute celle dont j'avais moi-même vu le commencement.
Le lendemain, une première plongée conduisit à quarante-huit mètres de l'entrée, à un boyau bas dont les parois étaient hérissées de lames coupantes. Une deuxième plongée aboutit à une petite salle en cloche et, enfin, un troisième essai permit de porter la distance reconnue à quatre-vingt-quinze mètres après passage d'une nouvelle chatière et découverte d'une salle supplémentaire. Au-delà, un étroit, redoutablement hérissé de lames aiguës, formait un obstacle de nature à décourager les plus ardents. Le lieutenant de vaisseau Alinat n'hésita pas cependant à s'insinuer dans ce coupe-gorge ; remontant ensuite le long d'une paroi verticale, il heurta la voûte toujours noyée et rebroussa chemin sans avoir pu vaincre le siphon.
Trois semaines plus tard, nouvelle expédition du Groupe de Recherches Sous-Marines.
Le lieutenant de vaisseau Alinat repartit seul à l'assaut de l'inconnu. Le médecin-major Devilla contrôlait son filin de liaison et surveillait simultanément les temps. Si l'explorateur n'était pas de retour au bout de quinze minutes, une équipe devait aller à sa recherche.
Au bout des quinze minutes fixées, aucun signe ne faisait prévoir le retour du plongeur. Depuis un moment, la cordelle ne se dévidait plus. Bien que le lieutenant de vaisseau Alinat disposât d'une réserve d'air permettant un séjour sous l'eau très supérieur aux quinze minutes prévues, l'inquiétude régnait sur la plate-forme de départ. Puis, brusquement, des bulles d'air vinrent crever à l'entrée du siphon, l'eau bouillonna et le lieutenant de vaisseau Alinat émergea rayonnant. II avait vaincu le siphon. Un peu plus loin que son terminus précédent, à cent quinze mètres de son point de départ, il avait atteint la surface libre dans une grande salle, au-delà de laquelle la rivière disparaît à nouveau sous une voûte mouillante, rendant bien improbable la possibilité d'en poursuivre l'exploration.
Les plongeurs du G.R.S. et notamment le lieutenant de vaisseau Alinat ont réalisé aux Vitarelles une performance absolument remarquable. Mais il faut bien se persuader qu'il s'agit là d'un exploit qui n'a pu être obtenu que grâce aux moyens et surtout à la valeur et à l'entraînement de l'équipe du G.R.S. Il ne faut pas espérer que des spéléologues, non rompus à un entraînement intensif de plongée, puissent arriver à de pareils résultats, et il faut même leur déconseiller formellement de tenter des expériences de cette ampleur, si ce n'est avec le concours d'un groupe de scaphandriers très expérimentés.
La Fontaine de Caquerey.
Le touriste qui, au cours d'un été sec, passe à Creysse n'est pas peu surpris de voir ce petit bourg coupé de plusieurs bras d'eau sur lesquels s'ébattent des troupes de canards. S'il remonte le cours de la rivière qui alimente ces petits canaux, il arrive au fond d'un cirque verdoyant que dominent les pentes pelées du Causse de Martel.
Un curieux moulin fortifié émerge de la verdure. Sa retenue forme une vaste nappe d'eau claire jonchée des taches sombres formées par les plantes aquatiques. A l'opposé du moulin, au pied de la falaise, un porche surbaissé fascine le spéléologue... C'est de là que sort du Causse la Rivière de Caquerey.
Cette magnifique résurgence ne connaît peut-être pas des crues aussi violentes que celles de Saint-Georges, à laquelle elle fait presque vis-à-vis, sur l'autre rive de la Dordogne, mais elle a un débit moyen beaucoup plus important, qui reste très appréciable, même au cours des périodes de sécheresse les plus prononcées.
Le siphon se présente sous la forme d'une série de marmites de géants, reliées entre elles par des tronçons plus ou moins
tubulaires, dont la section ne dépasse pas deux mètres carrés. Les parois, au lieu d'être entamées, comme à Saint-Georges, en larges vagues d'érosion, sont déchiquetées et le plongeur s'avance entre des lames de roche acérées et pointues. A une quinzaine de mètres de l'entrée, une marmite profonde semble, à la première inspection, ne pas avoir d'issue. Un examen plus attentif montre qu'à sa base s'ouvre un nouveau conduit plongeant, semble-t-il, presque sous la galerie supérieure (fig. 12).
Etant seul, j'ai abandonné là l'exploration, craignant de couper mon câble sur les bords acérés de la marmite ou d'endommager mes tuyaux d'air sur les saillies des parois. Mais cette résurgence est à revoir et il est probable que, s'il est possible d'y pénétrer assez profondément, elle se révélera des plus intéressantes.
Fontaines de Soturac-Touzac.
Si je cite ces fontaines, ce n'est pas du fait de l'intérêt qu'elles peuvent présenter pour la plongée, mais parce qu'elles m'ont permis d'établir que des cours d'eau souterrains pouvaient parfaitement passer sous des rivières de surface importantes sans venir s'y déverser (fig. 13, page 117).
Sur la rive gauche du Lot, à quelques mètres au-dessus de celui-ci, se trouve une résurgence vauclusienne nommée Fontaine Bleue dont le puissant débit faisait marcher trois importants moulins disposés en série. Il y a quelques années, des ouvriers jetèrent des charges d'explosif dans le lac pour prendre du poisson. Aussitôt le débit diminua très vite pour finir par devenir imperceptible.
Simultanément, une petite résurgence, située à quelques mètres sous l'eau sur la rive droite du Lot, se transforma en un émissaire tellement puissant que, peu de temps après, elle avait édifié une sorte de vasque, séparée de la rivière par un rempart de sables et de graviers charriés par la violence du courant.
Appelé par le propriétaire de Fontaine Bleue, pour étudier ce phénomène, je constatai, au cours d'une rapide plongée, que l'aqueduc d'arrivée avait été complètement obstrué par l'effondrement d'un large surplomb rocheux, provoqué sans aucun doute par les explosions.
L'amoncellement de pierres et de blocs qui résultait de cet effondrement couvrant une surface assez grande, il était impossible de percevoir le moindre courant, mais l'attitude des poissons semblait indiquer qu'il y avait encore une certaine alimentation de la fontaine au travers de ces décombres.
Pour en avoir confirmation, je versai au ras des blocs une très faible dose de fluorescéine et pus constater un déplacement appréciable du colorant établissant que, si l'alimentation était très réduite, elle subsistait cependant.
Au contraire, de l'autre côté du Lot, je trouvai au fond de la vasque nouvellement édifiée un orifice d'environ quatre à cinq décimètres carrés de section. Bien que ceci se passât en période de forte sécheresse, il sortait de cet ajutage un courant d'une telle violence qu'il projetait, loin en avant, du sable et des gravillons et que les poissons, qui fuyaient devant moi, ne pouvaient pénétrer dans cet abri.
Je regagnai la rive opposée en suivant le fond du lit de la
rivière. Il était constitué de grandes dalles calcaires parsemées de galets. Je vis tout à coup un spectacle des plus étonnants : à quelques mètres devant moi, un galet, de la taille d'une grosse orange, dansait dans les eaux immobiles du Lot ( 1 ). Fortement intrigué par ce phénomène, je m'approchai et je m'aperçus que, d'une fissure, sortait verticalement un fort courant froid sur lequel le galet se tenait en équilibre comme les œufs que l'on voit dans les stands de tir forains monter et descendre au sommet d'un jet d'eau.
Je repérai tout alentour un certain nombre de griffons de ce genre, mais moins importants, échelonnés entre la rive gauche et le milieu de la rivière.
Je ne doutai pas que ces griffons ne fussent en relation avec une des deux résurgences. Comme l'expérience relatée plus haut m'avait appris que Fontaine Bleue était toujours partiellement alimentée alors que son déversoir était à sec, je pensai que ces griffons, ainsi que plusieurs sourcettes en bordure du Lot, devaient provenir de fuites de la vasque. Une nouvelle coloration, plus importante, confirma que deux sur trois des sourcettes et tous les griffons provenaient de Fontaine Bleue.
Ainsi, un ruisseau souterrain passe sous le Lot, alimente à plusieurs mètres plus haut une résurgence qui se déverse elle-même souterrainement en partie dans les eaux de la rivière.
Fontaine de la Pescalerie.
Dans la vallée du Celé, un peu en amont de Cabrerets, se trouve le ravissant site de la Pescalerie. J'y suis rarement passé sans m'arrêter pour aller contempler la retenue du vieux moulin qu'alimente une importante résurgence en relation très probable avec les grands gouffres de la Braunhie. Je ne saurais mieux comparer ce bassin qu'à l'eau de certaines criques de Port-Gros par beau temps.
(1) La présence d'un barrage, en aval, rend le courant imperceptible, notamment à l'étiage.
Sa limpidité est telle qu'on ne résiste pas à y jeter des épingles, des pièces de monnaie ou même de petits graviers pour avoir le plaisir de les voir s'enfoncer, jusqu'à ce que ces menus objets atteignent le fond à six mètres en contrebas.
J'y avais fait des essais de scaphandre en 1947, avant ma première plongée souterraine, celle de la Fontaine des Chartreux. J'y suis revenu en 1949 pour explorer la résurgence. Je savais qu'en son temps A. Viré avait fait vider le bassin mais avait été arrêté par une voûte mouillante à quelques mètres sous la falaise. Malgré cela, je pensais qu'il était logique de renouveler cette opération, afin de réduire la longueur des conduits noyés à parcourir en plongée.
Très aimablement, la propriétaire du moulin m'autorisa à faire l'expérience.
Les vannes étant soudées par des dépôts calcaires, je dus plonger au fond du bassin et là, à grands coups de ciseau, je m'employai à faire céder l'obstacle. Certes l'idée me vint que, par la suite, la retenue risquait de n'être plus étanche et que l'alimentation en eau des maisons et des jardins risquait d'être compromise. Mais le démon de la découverte était le plus fort... La masse que j'avais en main continua son travail de destruction. La vanne enfin céda, et l'eau se déversa en torrents inaccoutumés pour la surprise et la plus grande joie des canards.
Pendant de longues heures, je regardai descendre le niveau. Lorsque l'eau ne fut plus qu'à quelques centimètres au-dessus de la voûte de la résurgence, de sourds grondements se firent entendre dans la falaise. C'était l'air qui pénétrait dans la caverne comme dans une bouteille de géants, montrant ainsi que cette cavité n'a pas d'autre communication proche avec l'atmosphère.
Le bruit cessa dès que l'eau eut découvert la voûte, mais aussitôt le ruisseau, jusque-là si clair, se transforma en un torrent de boue argileuse. J'attendis la fin de la journée sans qu'aucune amélioration se produisît ; la propriétaire était si
anxieuse de savoir si un nouveau Padirac ne se trouvait pas derrière la résurgence, que je décidai de tenter une plongée, bien que je fusse persuadé que je ne pourrais qu'aller au-devant d'un échec. En effet, l'eau était si bourbeuse qu'il m'était impossible de me diriger et, au bout de quelques minutes, je dus faire demi-tour. Mon programme ne me permettait pas de rester sur place, mais je fus informé le lendemain que l'eau était toujours aussi chargée de vase. La leçon à tirer de cet échec est que, pour une opération de ce genre, il faut s'y prendre quelques jours à l'avance.
La chose s'explique d'ailleurs aisément. Les plongées ont montré que les vasques recélant les eaux les plus limpides sont précédées par des couloirs de décantation où l'argile se dépose. Dans le cas de la Pescalerie, qui n'est probablement pas une source vauclusienne, le phénomène est plus accentué encore et lorsque l'eau baisse dans les conduits, l'argile détrempée ruisselle des parois, transformant le ruisseau en un véritable collecteur de vase.
Grotte de l'Ermite à Ussat-les-Bains.
J. Galerne et un de ses camarades du clan Claude Sommer des Eclaireurs de France entreprirent, dans cette cavité, de forcer un siphon qui sert d'exutoire à un lac souterrain. Dès le deuxième essai, une poche d'air fut découverte et, au cours d'une troisième tentative, il fut possible de constater que de cette poche d'air partait une galerie.
Galerne, qui était resté jusque-là au bord du lac, revêtit le scaphandre, tandis que son compagnon se faisait fort de le rejoindre en plongeant sans appareil respiratoire. Ce programme fut parfaitement réalisé et les deux Eclaireurs se retrouvèrent quelques minutes plus tard à l'air libre dans la poche. Mais leur effort n'eut pas la récompense qu'il méritait, car la galerie entrevue se révéla trop étroite pour permettre le passage.
C'est au cours du retour que le drame faillit se produire.
Tandis que Galerne restait en arrière, son compagnon tenta de rejoindre le lac ; trompé par l'obscurité, il s'égara et fut heureusement ramené à l'air par Galerne au moyen de sa corde de sécurité. Mais il était extrêmement éprouvé et il ne pouvait pas être question pour lui de plonger sans appareil respiratoire, Galerne lui passa donc son scaphandre et, à son tour, se risqua en plongée libre.
L'un et l'autre se retrouvèrent sains et saufs au bord du lac, ayant réussi une performance audacieuse, au cours de laquelle il n'ont dû leur salut qu'à leurs excellentes qualités de nageurs et de plongeurs... et à une certaine part de chance. Des expéditions de ce genre sont à proscrire formellement, car une telle témérité ne peut que conduire à des accidents mortels.
Il n'est même pas besoin de prendre autant de risque, pour que se produise un événement fatal : témoin la noyade de l'excellent plongeur Henri Lombard dans la grotte du Lirou.
Le Siphon du Lirou et la mort de Lombard.
La grotte du Lirou a fait l'objet de nombreuses explorations et études. En 1938, en particulier, R. de Joly avait tenté sans succès un désamorçage par pompage du siphon terminal.
Le 22 août 1950, Lombard franchit cet obstacle et, au bout de quarante mètres de nage en plongée, découvre une petite salle en forme de cloche suivie d'un deuxième siphon d'environ dix mètres de développement qu'il passe à son tour. Il émerge à l'entrée d'une grande galerie qu'il parcourt sur une cinquantaine de mètres, sans être arrêté par aucun obstacle particulier (fig. 14).
Le 8 octobre 1950, Lombard repartait à l'assaut du Lirou. Jusqu'où a-t-il pu progresser ? Ceci reste jusqu'à présent un mystère.
On sait seulement, d'après les déplacements de la corde qui le reliait à la surface, qu'il a de nouveau franchi les deux
siphons ; mais alors qu'on s'attendait à ce qu'il poursuivît l'exploration pendant une heure au moins, vingt minutes s'étaient à peine écoulées, lorsque le signal de rappel convenu parvint au poste de manœuvre. Laurès, Président du Spéléo-Club de Montpellier, qui contrôlait la cordelle de liaison, se rendit compte que Lombard effectuait lentement le trajet du retour. Il avait franchi le siphon amont, la petite salle et parcouru quelques mètres dans le grand siphon lorsque le câble se bloqua.
Il n'y avait pas de scaphandrier de secours sur place et malgré toute la diligence des sauveteurs, ce ne fut que quelques heures plus tard que Lombard put être ramené à l'extérieur.
Les causes exactes de sa mort n'ont pu être élucidées.
Certes, il a bien été constaté que le tuyau d'arrivée d'air avait été arraché au ras d'un des embouts et que les bouteilles étaient vides. Mais il est possible que ceci se soit produit au cours des opérations de sauvetage ; en fait, il paraît même extrêmement probable qu'il en a bien été ainsi.
Lombard n'était pas un débutant ; il avait plongé maintes fois et en était à sa neuvième tentative souterraine. Il connaissait bien son appareillage et on ne voit pas, du point de vue technique, comment il aurait pu se trouver à court d'air.
Laurès pense donc que, dans la galerie amont, la victime
aurait rencontré une atmosphère chargée de gaz carbonique, ce gaz ayant déjà été signalé dans ce réseau souterrain. C'est une explication plausible, qui rendrait compte du fait que Lombard n'a certainement pas été très loin dans la galerie amont puisque son sac étanche ne semble pas avoir été ouvert et qu'il ne s'est manifestement pas servi de sa lampe à acétylène.
Je crois, pour ma part, que l'accident est dû à une syncope bulbaire provoquée par le froid. Lombard plongeait en slip, tête nue. L'eau du Lirou est à 13° ; sans être basse, cette température est pourtant de nature à provoquer un refroidissement considérable du corps au cours d'une plongée de quelque durée, et le séjour dans l'air frais de la caverne de part et d'autre du siphon n'a pas été sans accentuer cet effet. C'est donc certainement dans un état de résistance amoindrie que Lombard a pris le chemin du retour et il est très probable que l'action renouvelée du froid a alors provoqué la catastrophe. Il est également évident que si Lombard a rencontré du gaz carbonique, soit dans la petite salle intermédiaire, soit à la sortie du siphon amont, cette circonstance n'a pu que le rendre plus sensible aux effets de la température.
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