La Fontaine des Chartreux à Cahors Les enseignements des explorations
de l'an passé par Guy de lavaur - 1948 |
parmi les nombreux sites, réputés par leur pittoresque,
qui jalonnent le cours du Lot, il n'en est pas qui se place dans un cadre d'une
ampleur comparable à celui de la boucle, par laquelle cette rivière
ceinture Cahors.
La traversée de la Ville par la route nationale de Paris à Toulouse
ne permet pas de se faire une idée de la beauté des lieux, pas
plus d'ailleurs, que des trésors d'architecture qui témoignent
encore de la splendeur passée de la vieille cité des Cadourques.
Cahors, mérite que le touriste s'y arrête, non seulement ,pour
visiter la ville, ses monuments, ses remparts, ses vieiles rues, mais aussi
pour parcourir ses environs immédiats, où se trouvent groupées
des curiosités naturelles d'une qualité exceptionnelle : point
de vue de l'ancienne route de Paris sur les anciens quartiers, panorama du mont
d'Angely sur l'ensemble de la boude de la rivière, rive gauche du Lot
entre le pont Louis-Philippe et le célèbre pont Valentré,
dont la silhouette a été popularisée par les affiches des
gares. C'est sur cet rive, à 250 mètres en amont du pont Valentré,
que se trouve la puissante Fontaine des Chartreux, qu'Emile Pouvillon décrit
en ces
termes :
"Une arche béante au flan du calcaire, et, dans le clair obscur
de la grotte, comme dans un demi-jour de sanctuaire, un éternel bouillonnement
d'eau vive, un flot de cristal, vivant qui s'épanche en cascade dans
le Lot, telle est, telle fut depuis le commencement des Ages, cette admirable
source, la Divona, adorée par les ancêtres Gaulois".
Si les cadurciens n'ont plus pour Divona le culte sacré de leurs ancêtres,
Ils en restent toujours, à juste titre, très fiers, et nombreux
sont ceux qui ont rêvé sur l'antique petit pont qui enjambe son
déversoir, en se demandant d'où viennent ces flots limpides et
quelles voûtes secrètes et majestueuses dominent son cours souterrain.
Sous l'impulsion d'un des plus passionnés admirateurs de
Divona, un groupe de commerçants de Cahors a constitué au printemps
1947 un comité ayant pour but de rechercher les possibilités d'exploration
du réseau souterrain dont la Fontaine des Chartreûx
eet la résurgence, et de mettre en oeuvre les moyens nécessaires.
Le problème se présentait comme très difficile à
résoudre, mais avec un dynamisme remarquable, les membres du comité
" Divona " ne se laissèrent pas rebuter par les obstacles.
Sur l'avis du célèbre préhistorien, l'abbé Lemomi,
j'eus la bonne fortune de me voir confier l'étude de Ia question.
Je proposai plusieurs manières de procéder, dont celle de tenter
deforçer le siphon de la Fontaine par voie de plongée au moyen
de scaphandres autonomes Cousteau-Gagnan.
Cette dernière solution fut retenue par le comité qui me laissa
carte blanche pour le choix et l'acquisition du matériel
La tentative qu'il s'agissait de préparer n'avait eu qu'un précédent,
celle faite en 1946 par le groupe de Recherche sous-marines à la Fontaine
de Vaucluse, qui avait failli se terminer tragiquement en raison d'un incident
technique. C'est dire qu'il n'existait pas encore de matériel ou d'équipement
spécialement mis au point pour ce genre exploration qui diffère
totalement de la plongée marine.
Le scaphandrier qui s'enfonce dans l'inconnu d'un siphon de rivière souterraine
de grandes dimensions, se déplace, dans une obscurité qu'atténue
à peine le faible éclairage dont il dis pose, au point que souvent
il n'a plus aucun sens de l'orientation. Seules les bulles d'air qui s'échappent
de son appareil lui indiquent la direction du haut. Parfois il se heurte à
des pointes de rocher découpées par l'érosion ou à
des amas de blocs instables qu'un rien peut faire rouler en avalanche. A toutes
ces difficultés, s'ajoute le froid des eaux souterraines qui impose le
plus souvent l'empioi de moyens de protection spéciaux
Grâce au concours d'artisans de Cahors, il a été possible de réaliser un matériel de liaison du plongeur avec la surface qui a donnée d'emblée toute satisfaction. Les problèmes relatifs à l'éclairage ont été résolus progressivement au cours d'essais successifs
J'ai effectué les 25 juillet, 4 et 12 août 1947 une
série de plongées qui m'ont conduit à 25 mètres
de profondeur et m'ont permis de reconnaitre en détail toute la partie
supérieure de l'immense vasque d'où s'échappent les eaux
de Divona. Devant l'ampleur du siphon, j'estimai, qu'il m'était impossible
de continuer à explorer seul cette résurgenre vauclusienne et
je décidai de faire appel au concours de plongeurs professionnels.
Grâce au bienveillant intérêt apporté à nos
essais par le capitaine de corvette Tailliez et le lieutenant de vaisseau Cousteau,
je pus compter sur l'aide de deux excellents scaphandriers Fargues (I) et Morandière
qui avaient participé tout deux à l'expédition faite à
Vaucluse en 1946 par le Groupe de Recherches sous-marine.
(1) il s'agit du premier maitre Fargues, qui devait disparaitre prématurément deux semaines plus tard en battant le record de plongée en mer, avec scaphandre léger, par 120 mètres de fond. Cet audacieux plongeur était un camarade charmant et dévoué dont la mort a profondément frappé tous ceux qui le connaisaient. |
les 30 et 31 août, un effort considérable fut fait pour essayer de percer le rnystére de la Fontaine, mais malgré l'audace et la maîtrise de Fargues et morandière, il fut impossible d'atteindre le fond du siphon. Après un premier puits de 45 mètres de profondeur environ, un deuxième conduit plonge à nouveau vers le bas sous un angle proche de la verticale. Tandis que Fargues, placé en relais, contrôlait au moyen d'un léger filin son camarade Morandière, celui-ci atteignit un point situéà 8o mètre de l'entrée soit aux environs de 6o mètres de profondeur. Le manque d'air interrompit la tentative qur constitua cependant un exploit remarquable, au cours duquel fut réalisé le record de profondeur atteinte par voie de plongée dans des eaux souterraines, en France tout au moins. Nous n'avons pas connaissance que des essais de cette importance aient eu lieu à l'étranger.
Le but recherché initialement, c'est à-dire la découverte de galeries en amont de siphon, n'a pas été atteint, mais ces incursions au sein des eaux de Divona ont permis de recueillir des renseignements très intéressants au point de vue de la disposition des résurgences vauclusiennes. Il est tout à fait remarquable que le siphon des Chartreux, dont le, niveau d'eau supérieur, se situe à environ un mètre au-dessus du Lot, s'enfonce à plus de 50 mètres en dessous du lit de cette rivière, dont il n'est séparé que par une distance horizontale de l'ordre d'une dizaine de mètres.
S'il faut considérer que, dans l'état actuel de nos moyens, il est impossible d'atteindre par le moyen de plongées, le réseau d'alimentation de la Fontaine des Chartreux, le Comité d'exploration n'a pas renoncé pour autant à percer le mystère de Divona, et il s'emploie par des méthodes diverses à prospecter le sous-sol du Mont d'Angely au pied duquel elle se trouve. Il espère même être en mesure, dans un avenir proche, d'accéder à des galeries communiquant avec le cours de la rivière souterraine. Si cet espoir se réalise, il est possible qu'il y ait là pour les touristes qu'attirera le site enchanteur de Cahors une source nouvelle d'intérêt.
G. DE LAVAUR .