« C'est beau l'aventure, mais il arrive un moment où l'instinct de conservation parle plus fort que l'imagination, et l'envie de « s'en sortir » fait taire le désir de découverte ». Michel LE BRET
La plongée souterraine est née de la volonté de poursuivre les explorations spéléologiques, lorsque le siphon bloquait irrémédiablement la progression.
Les plongeurs souterrains ont développé des techniques et du matériel spécifique à cette activité.
Chaque type de plongée, en résurgence, en fond de trou, en multi-siphons fait appel à une configuration appropriée et un conditionnement spécifique.
Le travail en équipe est fondamental pour l'activité. Il primordial tant pour le portage, la topographie et l'équipement que pour la pérennité des explorations.
Les « premières » sont de plus en plus complexes et impliquent de s'engager de plus en plus loin, de plus en plus profond. L'arrivée des recycleurs a considérablement dynamisé cette activité.
Depuis quelques années, une nouvelle pratique s'est développée : la visite, à finalité récréative.
Bien souvent des plongeurs en eau libre diversifient leur pratique et/ou viennent découvrir un nouvel attrait de la plongée comme la plongée sur épave, de nuit, sous glace et, à présent, la plongée souterraine.
Cette activité s'adresse aux personnes qui souhaitent, avant tout, se faire plaisir sans se faire peur, sans vouloir dépasser leurs propres limites, ni celles des autres.
En aucun cas on surestime le plongeur ou sous-estime la caverne.
Tout le monde est capable de s'engager dans un siphon, avec n'importe quel matériel. C'est, loin de l'entrée, avec des réserves de gaz entamées, un itinéraire à retrouver pour rallier la sortie, une visibilité souvent altérée, lorsque le froid et le stress commencent à se faire sentir, au moment de sortir, que les choses se compliquent.
Lorsqu'on s'engage dans un siphon, on pense en permanence à ressortir dans les meilleures conditions et avec tous ses équipiers.
En plongée souterraine, tout incident peut tragiquement dégénérer en accident, l'assistance d'un équipier est difficile voire illusoire (turbidité, sections des galeries, profondeur, progression retour…etc.).
Nombreux sont les paramètres à prendre en compte, lors de la planification d'une plongée.
1 - PREPARATION DE LA PLONGEE
Afin de préparer au mieux sa plongée, on applique quelques principes essentiels.
Ils ont été élaborés à partir de l'expérience et du vécu des plongeurs souterrains, depuis plus de cinquante ans.
Information préalable et évaluation des conditions du moment Les spécificités de la plongée, liées à la morphologie et aux particularités de la cavité, sont à prendre en compte et à ne surtout pas négliger :
nature de l'équipement ;
topographie (distance, profondeur, volume, etc) ;
sections pièges ;
conditions climatiques antérieures et actuelles (risque de crue, mauvaise visibilité, fort débit,…)
Autonomie et de redondance
Le plongeur souterrain (surtout en Europe) applique la notion d'autonomie :
- l'art de ne dépendre de personne ni de quoi que ce soit,
- être capable de se sortir seul de n'importe quelle situation.
Le plongeur connaît ses limites, pour un environnement, un moment (capacités actuelles) et des conditions donnés :
Sur le plan technique
- expérience du matériel et de la configuration choisie ;
- savoir-faire dans certaines des conditions : fil en place ou non, visibilité, étroitures, profondeur, distance, multi-siphons, cumul de paramètres aggravants.
Au niveau mental
- « clair » dans sa tête ;
- concentré sur sa plongée ;
- apte à gérer son stress.
Le degré de stress est un indicateur à surveiller. Totalement absent, il traduit l'inconscience du danger.
Trop présent, il risque de dégénérer en panique.
Paramètres physiques
Partenaires
(appréhendés comme vecteurs de risque plutôt qu'assistants éventuels)
- connus (habituels) et considérés à leur juste valeur ;
- aptes (physiquement, mentalement et techniquement) ;
- au courant du plan de plongée et des solutions palliatives envisagées en cas de problème.
Si toutes les conditions pour réaliser sereinement la plongée sont réunies, on peut s'engager modérément et sans astreinte, dans la mesure de ses compétences, pour progresser dans sa pratique et sa maîtrise. |
Redondance
Ce principe découle directement de celui d'autonomie. Il consiste à multiplier les solutions palliatives à tout défaut de fonctionnement affectant une pièce vitale de l'équipement.
Il est obtenu par le doublage (au minimum) des éléments techniques vitaux (gaz, éclairages, instruments, blocs, robinetteries, détendeurs, manomètres, direct-system, instrument ou table de décompression), des techniques de gestion adaptées aux circonstances (profil du siphon, courant, etc.) et aux particularités du milieu.
Son application doit être pensée et adaptée à chaque type de plongée.
Exemple matériel : il est préférable de ne pas utiliser simultanément et systématiquement deux détendeurs du même modèle et de même âge. Les pannes d'usure pourraient survenir au même moment sur les deux appareils.
Exemple de choix de configuration : il serait inopportun, coûteux et peut-être dangereux de doubler tous les instruments (pour la décompression, un ordinateur et un timer + tables peuvent être préférable à deux ordinateurs ; dans un siphon étroit où l'on progresse ventre à roche, il n'est pas nécessaire d'emporter deux système d'équilibrage …etc.).
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Non cumul d'inconnues
Les accidents, en plongée souterraine, procèdent toujours d'une accumulation d'évènements et de détails qui, associés, dégénèrent en situations critiques. C'est la fameuse « loi de Murphy ».
La montée d'un sentiment de panique en résulte souvent, avec pour corollaire une aggravation de la situation, consécutive à la qualité des réactions de l'accidenté.
Pour se mettre à l'abri, autant que faire se peut, de ces avalanches de soucis, on se limite à un seul et unique paramètre (équipier, cavité, matériel…etc.) peu, pas ou mal maîtrisé lors d'une immersion souterraine.
Tout apprentissage (matériel, technique) sera préalablement abordé en eau libre, en situation moins « punitive » qu'en cavité noyée.
Ensuite, les paramètres seront évalués durant la préparation, puis révisés à l'arrivée sur site en fonction des conditions et enfin gérés durant l'immersion.
Durant la préparation
- choix du siphon (connu ou non) ;
- coéquipier (connu ou non) ;
- matériel (premier essai, récemment révisé, nouveau réglage, bricolage…etc.) ;
- techniques (premières manipulations, itérations…etc.) ;
- objectifs (distance, profondeur, étroitures, engagement, décompression…etc.).
Par exemple, lorsqu'on projette de plonger un siphon non connu
- on choisit un coéquipier avec qui on a l'habitude de plonger ;
- on s'organise avec une configuration et du matériel connus et régulièrement utilisés ;
- on n'envisage pas de mettre en œuvre des techniques pour lesquelles on a peu d'expérience, ni de s'engager dans des difficultés auxquelles on s'est rarement confronté ;
- on se limite à des distances, des profondeurs, des durées d'immersion et de décompression habituellement pratiquées.
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A l'arrivée sur site, avant de plonger
- évaluation de sa forme du moment (capacités physiques, état psychologique et émotionnel) ;
- conditions dans la cavité (débit et courant, visibilité, météorologie, difficultés d'accès…etc.) ;
- présence d'autres plongeurs dans le siphon ;
- modification ou multiplication des fils d'Ariane.
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Pendant l'immersion
Tout changement doit être pris en compte et les objectifs réévalués en conséquence.
- état physique (froid, fatigue, besoins naturels, malaise…etc.) ;
- incident matériel (gaz, éclairage, sanglage, équilibrage…etc.) ;
- aggravation des conditions (fils d'Ariane nombreux ou vétustes, visibilité rapidement réduite, puissance du courant, modification du profil et restriction du conduit par mobilité des remplissages…etc.).
Un bon plongeur souterrain sait renoncer, afin de bénéficier de conditions optimales durant ses immersions.
On est toujours à même de revenir, il y a peu de chances que la cavité disparaisse.
Toute modification, perturbation ou inadéquation des conditions de plongée avec ce qui a été prévu entraîne une révision des objectifs, afin de ne conserver, au maximum, qu'un seul et unique paramètre non, mal ou peu maîtrisé. |
Conclusion
Pour qu'une plongée se déroule sereinement, nombre de paramètres (humains, matériels, climatiques, environnementaux…etc.) sont à prendre en compte.
Il faut envisager les incidents possibles, les anticiper et répéter les manières de les solutionner.
Pour cela il faut envisager des scénarios catastrophes. On doit toujours se préparer au pire.
2 - GESTION DES PRIORITES
La loi des séries est valable aussi sous terre. Il n'est pas rare que plusieurs problèmes s'imposent simultanément.
Ne gérer qu'un seul problème à la fois.
Savoir choisir le plus crucial à résoudre en priorité
Ex : remontée en ballon et emmêlement dans le fil.
La première chose à gérer dans ce cas de figure est le stress qui va se faire sentir.
Le stress est un phénomène naturel perçu par l'humain sous forme d'excitations sensorielles. Elles provoquent des réactions d'adaptation de la part du système nerveux central. Sans que nous en ayons nécessairement conscience, toute menace extérieure est relayée par des mécanismes biologiques et physiologiques commandés par le cerveau. Lesquels ont des répercussions physiques (accélération du rythme cardiaque et respiratoire) destinées à mettre à disposition le système musculaire. C'est un processus mécanique qui correspond à deux réactions ancestrales et génétiquement programmées : la fuite ou le combat.
En plongée souterraine, la fuite dans la panique a très souvent conduit à l'erreur de jugement, à l'accident.
Reste à faire front calmement et à trouver la solution adaptée à chacun des problèmes.
- La faim tue en quelques semaines, la soif en quelques jours, le froid en quelques heures, la panique en quelques secondes.
3 - PROGRESSIVITE DANS L'APPRENTISSAGE ET AQUISITION D'EXPERIENCE
La plongée souterraine est une discipline qui nécessite une maturation de chaque acquisition avant de progresser.
Le temps nécessaire et une progression lente et mesurée sont garants d'une pratique en sécurité.
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Ce n'est pas parce qu'on a été une fois à 100m de l'entrée dans un siphon qu'on est capable d'aller deux fois plus loin lors de la plongée suivante.
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Ce n'est pas parce qu'on est capable d'aller à 100m de l'entrée dans un siphon qu'on est capable de s'engager jusqu'à 100m de l'entrée dans n'importe quel siphon.
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Ce n'est pas parce qu'on a plongé un siphon jusqu'à –30, qu'on a plongé un autre siphon en fond de grotte et qu'on est allé à 200m dans un autre qu'on est capable de plonger un siphon en fond de grotte sur 200m et jusqu'à –30.
Il en va de même pour les modifications techniques : on ne plonge pas en 2 x 9l comme en 2 x 20l.
Toute modification de la configuration habituelle devra être préalablement et progressivement testée en eau libre, avant d'être, progressivement toujours, mise en œuvre en siphon.
4 - AUTO-SECOURS, CONDUITE A TENIR EN CAS DE PROBLEME
Plonger en autonomie c'est être capable d'assurer sa sécurité, d'organiser un auto-secours.
Si on se trouve en situation de détresse ou avec un problème insurmontable, un retour vers une surface salvatrice peut s'imposer.
Garder à l'esprit que la surface la plus proche ne sera peut-être pas la vasque de sortie (autre extrémité du siphon, cloche, galerie annexe).
Si on a trouvé refuge dans une partie jusqu'alors inconnue de la cavité (galerie annexe, cloche) ou même connue, penser que les plongées de secours se feront toujours avec de mauvaises conditions (visibilité réduite, stress, temps de préparation restreint). Il est important d'aider les sauveteurs à localiser la victime. Donc signaler sa présence (fil d'Ariane, matériel largué dans le conduit principal…etc.).
Organiser sa survie, car l'attente sera longue (boire, s'isoler de la roche, sortir de l'eau, garder espoir).
Information annexe sur les principales causes d'accident en plongée souterraine :
- Comme en Alpinisme, la plupart des accidents (environ 80%) se produisent lors du retour ;
- Inexpérience du ou des plongeurs qui, dans 50 % des cas, qui auraient pu s'en tirer en s'engageant moins loin et avec du matériel et des techniques appropriées ;
- Problème de matériel : il peut toujours à un moment vous lâcher, sans signe avant-coureur.
Rappelons-nous aussi que c'est le plongeur qui se met en « mauvaise posture » pas le matériel. Pour chaque plongée engagée, toujours être très suspicieux envers son équipement quelle que soit sa qualité et la confiance que l'on lui accorde. En plongée souterraine, il est salutaire de cultiver une saine paranoïa par rapport au matériel ;
- Erreur humaine
(dépassement de ses limites, non respect des principes élémentaires de sécurité, plongée à plusieurs, choix de gaz) ;
- Fil d'Ariane : responsable de 40% des accidents mortels : on peut le perdre, s'emmêler dedans ou le suivre dans le mauvais sens (en s'éloignant de la sortie en pensant s'en rapprocher) ou encore en suivre un autre qui conduit ailleurs qu'à la sortie.
- La panique a entraîné trop souvent une issue fatale.
En guise de conclusion
Tous les plongeurs souterrains s'accordent sur l'importance de la préparation préalable (étude de la topographie, définition des limites – à maxima - en distance et en profondeur, évaluation des besoins en gaz et en éclairage, estimation du temps de décompression…etc.) afin de laisser le moins de place possible à l'improvisation. La facilité déconcertante avec laquelle on peut pénétrer dans un siphon est proportionnelle à la difficulté à s'en extraire.
Cependant, sous la surface du globe, on peut grossièrement distinguer deux grandes zones de pratique de la plongée souterraine :
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La zone caraïbe (certaines régions des Etats-Unis d'Amérique, Mexique, Bahamas…etc.) où les grottes ont été formées à l'air libre puis ennoyées par l'océan. L'eau y est claire, chaude, les galeries parfois multiples au sein d'une même caverne.
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L'Europe où les siphons sont plus frais, très différents de l'un à l'autre, plus « jeunes » et caractérisés par leur étroitesse et la turbidité, à quelques exceptions près.
Ces deux types de milieux souterrains ont conduit les explorateurs à adapter des approches distinctes, de chaque côté de l'Atlantique.
En Europe, les plongeurs souterrains ont développé une approche qui soit compatible avec leurs siphons, en intégrant leur variété. Tant dans les résurgences larges et claires que dans les boyaux argileux, en fond de gouffre ou en multi-siphon, en distance ou en profondeur.
Chaque plongée souterraine est considérée comme un cas particulier, auquel il faut s'adapter, en revoyant sa configuration, en adaptant le matériel et les techniques.
Ceci implique une remise en cause et une adaptation permanente du pratiquant, un stock de matériel disponible et une lourdeur tant matérielle que financière. |
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Visibilité altérée lors du retour. Photo. : Frank Vasseur
Une étroiture en fond de vasque. Photo. Frank Vasseur
« Connais-toi toi même. » Photo. : Frank Vasseur
Redondance appliquée à l'éclairage, dans le cadre d'une plongée de longue durée. Photo. : Frank Vasseur .
Deux équipiers complices, tendres paliers. Photo. : Frank Vasseur
Un fil cassé, à nettoyer et à reéquiper, avant de s'engager.
Photo. : Frank Vasseur
Photo : Richard Huttler assisté de Laurent Mestre
Photo Cyril Marchal
Actuellement, la démocratisation des recycleurs induit une nouvelle approche des logiques de sécurité.
Photo : Frank Vasseur.
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