L'ENSEIGNEMENT DE LA PLONGEE SOUTERRAINE EN FRANCE
(Jean-Pierre Stefanato, colloque régional de moniteurs subaquatiques du CIAS novembre1997)
Quand on veut parler de la plongée souterraine il est difficile d'échapper aux habituels poncifs que sont :
- l'exploit (technique et humain),
- l'esthétisme développé par les médias,
- mais aussi les fantasmes (c'est noir, il fait froid, on est enfermé, c'est dangereux, c'est sale, c'est réservé à une élite...)
Je tiens donc à profiter de votre public averti pour apporter un autre éclairage à cette discipline qui en a bien besoin ! Il est important que la plongée souterraine soit considérée comme une spécialité à part entière, accessible à tous mais pas innée.
1 - L'ENVIRONNEMENT DE L'ACTIVITE :
1.1 - Le bi-fédéralisme :
La plongée souterraine résulte de deux approches historiques, toujours vivaces :
- la vasque, puis la galerie noyée qui lui fait suite sont perçues comme but de l'exploration,
- le siphon qui stoppe la progression du spéléo et qui est abordé comme un obstacle à franchir pour poursuivre l'exploration de la grotte.
(A noter que le terme d'exploration employé en PS a conservé son sens premier de découverte et n'est utilisé que pour qualifier une première, contrairement à la plongée subaquatique où il correspond généralement à la visite d'un site déjà connu.)
On trouve donc des plongeurs souterrains et des plongeurs spéléos affiliés soit à la FFESSM, soit à la FFS (fédé de spéléo) et le plus souvent aux deux.
1.2 - La libre pratique :
L'article 20 de l'arrêté de 1998 énonce que " les dispositions du présent arrêté ne sont pas applicables à la plongée archéologique et souterraine".
En France la libre pratique, assise sur le bénévolat, reste une aspiration forte des plongeurs souterrains. Les principales contraintes qu'ils ont à subir sont liées à l'accès aux sites.
De plus la maîtrise du développement de l'activité est en partie justifiée par la crainte d'une réglementation imposée.
1.3 - Des équipes restreintes :
Les contraintes imposées par le milieu souterrain entraînent une faible densité de pratiquants (les clubs de PS sont très rares). Les équipes se constituent donc régionalement par affinités.
Les mêmes contraintes du milieu imposent d'ailleurs un profil psychologique fort au plongeurs de pointe, dont les ego ne sont pas toujours adaptés à l'intégration dans un groupe.
Néanmoins, après les belles réussites des plongeurs individualistes des années 70 - 80, les plus belles explorations de la dernière décennie sont le fait d'équipes organisées de 6 à 10 plongeurs.
1.4 - Une haute technicité :
Motivés par des explorations toujours plus poussées, les plongeurs souterrains ont été conduits à développer une technicité nourrie d'apports aussi variés que :
- la décompression à l'oxygène,
- les mélanges gazeux synthétiques,
- la gestion des plongées complexes (longue durée, profondeur, distance, plongeurs d'assistance),
- l'alimentation subaquatique,
- les enceintes souples de décompression,
- le bivouac post-siphon,
1.5 - L'organisation des secours :
Le Spéléo Secours Français a seul la délégation de la Protection Civile pour l'organisation des secours sous terre. C'est une commission spécialisée de la Fédération Française de Spéléologie qui fait appel à des bénévoles formés et entraînés pour ces interventions. La logistique de surface est confiée à la Protection Civile.
Les sauveteurs peuvent être spécialistes (artificiers, médecins, plongeurs...).
Un secours peut être déclenché en appelant les pompiers ou la gendarmerie.
Les disparus doivent être considérés vivants tant qu'ils ne sont pas retrouvés (urgence de la première intervention).
2 - LA FORMATION DES PLONGEURS :
2.1 - Le compagnonnage :
Traditionnellement la formation était assurée dans les équipes par un apport technique plus ou moins sommaire suivi d'une mise à l'épreuve progressive.
Cette méthode avait pour principal avantage de produire un certain écrémage assimilable à une sélection naturelle : ceux qui restaient étaient à la fois doués et motivés.
2.2 - Les stages :
Ils ont d'abord été conçus comme lieu d'échange et de confrontation technique : premier stage en 1976 à l'initiative de la FFS.
Ils ont conduit à une normalisation des techniques et à l'élaboration d'un cursus de formation basé sur trois niveaux :
- la découverte : sur deux jours les stagiaires (au moins niveau 2 ou équivalent) reçoivent une information sur les techniques fondamentales (en salle et en eau libre) et effectuent une première plongée sous plafond. Cette première approche est ensuite complétée par trois ou quatre autres plongées souterraines.
- le perfectionnement : sur cinq à six jours le stagiaire améliore sa connaissance théorique et sa pratique de la PS dans le but de devenir autonome. Est considéré autonome un plongeur qui parvient à déterminer les limites de ses propres compétences.
- les stages spécialisés : réservés aux plongeurs souterrains autonomes ils permettent de développer certains thèmes spécifiques de la PS : topographie, fond de trou, photo, mélanges...).
Le but de ces stages reste en partie fidèle à la tradition de la PS : il ne s'agit toujours pas de faire des prosélytes, mais de faciliter l'accès aux plongeurs motivés et d'informer tous les autres des risques objectifs tant que subjectifs liés à une pratique non maîtrisée. Ils peuvent aussi fournir quelques bases utiles aux plongeurs en épaves, sous glace, profonds...
Ces formations sont toujours complétées par la participation aux activités des équipes (expéditions, campagnes d'exploration) qui permettent l'approfondissement des connaissances par la pratique et la confrontation avec d'autres plongeurs.
2.3 - Les échanges :
Divers moyens d'échanges coexistent pour la diffusion et la comparaison des techniques :
- les feuilles de liaisons : " Info Plongée " de la FFS, " Le Fil " de la CNPS FFESSM, revues étrangères (surtout US),
- les journées d'échange nationales,
- les rencontres secours,
- Internet,
- quelques livres (pour exemple Les Scaphandriers Du Désert de Francis Le Guen, The Darkness Beckons de Martin Farr, Cavern Measureless To Man de Sheck Exley).
3 - LA FORMATION DES CADRES :
3.1 - La reconnaissance "naturelle" :
La première motivation historique du "cadre" en PS a probablement été de former des équipiers pour l'assister plutôt que des prosélytes. Ensuite sa compétence pouvait être reconnue au niveau national via sa participation au stage de la FFS.
3.2 - Les brevets de cadres :
L'augmentation du nombre de pratiquants et l'atomisation de leur formation, difficilement contrôlable, a conduit en 1990 la FFESSM et la FFS à élaborer des brevets de cadres (et uniquement de cadres) en PS. Ces brevets ont pour spécificité :
- la bi-fédéralité,
- l'agrément annuel,
- leurs prérogatives limitées aux stages,
- leur délivrance soumise à une pratique attestée.
3.3 - La Bi-fédéralité :
Les brevets ont la double signature de la FFESSM et de la FFS.
Le cadre peut être licencié indifféremment à l'une ou l'autre des fédés.
Le niveau de plongeur requis fait référence au niveau 2 de l'arrêté de 1998 sans que le brevet de la FFESSM soit exigé.
3.4 - L'agrément annuel :
La Commission Interfédérale d'Agrément (CIA) est constituée des moniteurs de PS.
Elle valide la nomination des nouveaux cadres et renouvelle l'agrément annuel des cadres en fonction.
L'agrément est soumis à une participation active à l'encadrement des stages et à la vie des commissions de PS.
La CIA a aussi pour mission de réactualiser l'enseignement de la PS (contenu des stages, techniques de pointe) et de normaliser la pratique (règles de sécurité, recommandations).
3.5 - Des prérogatives limitées aux stages :
Un stage est placé sous la responsabilité d'un moniteur.
Un stage de découverte est encadré par des initiateurs, un stage de perfectionnement par des moniteurs.Le respect des critères d'encadrement détermine l'agrément des stages par la Commission Nationale PS.
En aucun cas un brevet de cadre n'est exigible pour des activités hors stages agréés.
3.6 - Une délivrance soumise à une pratique attestée :
Il n'existe pas de stages de formation de cadres terminés par un examen. Les cadres sont proposés (cooptés) par des moniteurs (de régions différentes pour les aspirants moniteurs).
Outre les points obligés (licence, certificat médical, secourisme) ils doivent posséder une pratique certaine et diversifiée de la PS.
Leurs compétences pédagogiques sont acquises et vérifiées lors de leur participation en tant que cadres-stagiaires aux stages agréés organisés par les Commissions Régionales ou Nationales.
4 - AUTRE EXEMPLE D'ORGANISATION :
LA PLONGEE SOUTERRAINE AUX ETATS UNIS :
Elle s'est développée parallèlement à la PS en Europe (assez peu d'échanges jusqu'aux années 90).
Les techniques diffèrent sensiblement : la sécurité est basée sur une plongée en duo.
Mais les différences les plus marquantes résident dans la réglementation. Ayant constaté comme nous que les accidents de PS sont plus fréquemment dus à la grotte qu'à la plongée, ils ont adopté une solution plus radicale que la nôtre puisque tout est réglementé :
- multiples brevets de cadres et de plongeurs,
- accès aux sites payant et strictement réglementé.
Le corollaire de ce business est un expansionnisme mondial dont nous commençons à subir les assauts " tech ".
5 - LES STANDARDS CMAS :
A la demande du Comité Technique de la CMAS, la Commission PS (présidée par Claude Touloumdjian) de cette Confédération a proposé une réactualisation des standards de PS dont la version antérieure était inapplicable.
Ce travail qui est en train d'aboutir définit :
- 3 zones d'exposition :
- zone proche de l'entrée (lumière toujours visible),
- zone médiane (profondeur < 30 m et distance < 200 m),
- zone lointaine au delà,- 2 niveaux de plongeurs, à peu près comparables au niveau à l'issue de nos stages de découverte et de perfectionnement,
- 2 niveaux de cadres équivalents aux niveaux français.
Ces brevets, suffisamment ouverts, sont conçus comme une alternative aux brevets nord-américains.
6 - CONCLUSION :
Bien que cet exposé ait très peu abordé l'aspect technique de notre discipline j'espère qu'il vous aura permis de mieux comprendre l'environnement et les motivations de notre pratique de plongeurs souterrains et de cadres.
Nous comptons sur vous, les spécialistes de l'eau libre, pour faire comprendre et admettre à vos élèves et à vos collègues que dès que le plongeur a au dessus de la tête autre chose que la surface de l'eau il n'est plus dans le cadre de la pratique normale de son sport.
Les réflexes de survie qu'il a appris sont alors inadaptés voire dangereux, et ceci quel que soit le niveau de ce plongeur.
Le moniteur de plongée doit donc être très méfiant dès qu'il s'agit de visiter, et a fortiori de faire visiter par ses élèves, les grottes marines ainsi que certaines sources où, après avoir fait des ronds dans la vasque, on est tenté de s'avancer "un peu" dans la galerie.
Je vous rappelle que les Commission PS régionales organisent chaque année des stages (découverte et perfectionnement) et qu'elles peuvent aussi se déplacer à la demande des clubs ou des Comités Départementaux.
Enfin nous avons déjà pratiqué par le passé des échanges sur le terrain avec les Commissions Techniques Régionales. Je pense que les participants en gardent un bon souvenir : sachez que nous sommes prêts à renouveler ce type de rencontre.