Introduction
Pour topographier en siphon, beaucoup de spéléos adaptent tout naturellement la méthode classique en galerie exondée : travail à deux, visées sur un repère comme l'éclairage de casque du coéquipier, mesure des longueurs au décamètre. En siphon, cette méthode se heurte aux contraintes du milieu aquatique, impossibilité de communiquer à la voix et limitation, parfois drastique, de la visibilité.
La mauvaise visibilité est évidemment le problème principal. Même si on arrive à distinguer une source de lumière dans le brouillard, on n'est jamais sûr de viser le bon repère, correctement placé par rapport au point topo. On peut toutefois éviter cet inconvénient en faisant les visées sur le ruban du décamètre tendu entre les points topo, sans avoir besoin d'un contact visuel direct avec la prochaine station.
En siphon, je préconise plutôt une méthode de topo solitaire, qui a fait ses preuves. La seule contrainte est qu'il aura fallu anticiper en équipant dès le départ le siphon avec un fil portant des marques de distance. La méthode solitaire permet d'atteindre une bonne précision, à peine inférieure à celle d'une bonne topo en réseau exondé. Voici ses avantages et inconvénients, par rapport à la méthode à deux :
Pour : - Evite tous les problèmes de coordination et les incompréhensions entre équipiers. On travaille dans un calme intérieur royal.
- Vitesse : évite les temps morts de la méthode à deux, due aux moments d'attente d'un équipier pendant que l'autre se déplace d'une station à l'autre.
- Seule méthode adaptée aux galeries très argileuses, en visant dans de l'eau encore claire avant la perte de visibilité, là où un deuxième équipier aurait déjà rendu l'eau opaque.
- Méthode bien adaptée aux galeries étroites et/ou très sineuses (Fig. 1).
Contre : - Nécessité d'avoir prévu à l'avance un fil gradué. Travail de marquage du fil.
- Fil d'Ariane sensible à des variations de longueur (jusquà 3 %), en réaction à l'eau et aux différences de tension. Complexité des corrections de longueur liées à ces phénomènes.
Fig. 1: Plan partiel de deux galeries secondaires dans le petit Goul de Bourg St Andéol en Ardèche. La petite des deux galerie (celle avec le passage en tire bouchon) laisse juste passer un plongeur avec un scaphandre dorsal, le demi-tour y est difficile. Topographier à deux aurait été une affreuse corvée.
Méthode solitaire : préparation du fil d'Ariane
Le marquage du fil sert à déterminer, par rapport à un point 0, la distance exacte à laquelle se trouve chaque point topo ; la longueur des visées est ensuite déterminée par soustraction (Fig. 4).
Je préconise un intervalle de 2 mètres entre les marques sur le fil, de manière à avoir toujours au moins une marque en vue, même en eau trouble. Je vois deux raisons, complémentaires, de préférer des intervalles courts. D'abord, des marques rapprochées permettent de choisir les stations en fonction des accidents de la galerie (coudes, ruptures de pente, carrefours, etc.), plutôt que d'après la position des marques sur le fil. Ensuite, avec un intervalle de 2 m, les mesures de distance peuvent être faites avec une précision acceptable, même au jugé, lorsque la vitesse compte ; ce n'est plus le cas pour des intervalles plus longs, comme 5 m ou 10 m.
Voici comment préparer le fil avant la plongée. Comme marques principales, j'y place tous les dix mètres des étiquettes en drapeau (Fig. 2, Fig. 4).
Fig. 2: Marque de distance (20m) placée sur un fil nylon de 3,5mm. Matériel utilisé :
bande adhésive plastique pas trop dure (parce qu'elle durcit au froid)
, largeur 19mm.
Comme marques secondaires, j'enroule autour du fil une longueur d'environ 2 cm de la même bande adhésive. Marquage de la distance par un code à anneaux (Fig. 3, Fig. 4).
Fig. 3: Marque de distance intermédiaire. Code de distance : anneaux noirs tracés au feutre indélébile. Chaque anneau signifie 2m; cette marque pourrait donc être 28m (ou 38m, etc.). Méthode solitaire : en pratique
Le topographe suit le fil du regard en se déplaçant vers la prochaine station. Il la choisit en principe à l'endroit où le fil fait un coude (Fig. 4), ou encore au niveau d'une particularité (galerie secondaire, cheminée, etc.).
Arrivé à la station, il mesure la distance d'après les marques sur le fil, à l'estime ou avec un ruban métré. Il mesure ensuite la profondeur au niveau du point, puis l'azimut du fil vers la prochaine station ; la mesure d'azimut peut se faire n'importe où le long du fil tendu, pour éviter toute gêne due à la proximité de la paroi (comme la visée du point n°2 au n°3, ci-dessous). On peut encore mesurer la pente du fil avec un clisimètre ; recommandé pour plus de précision en cas de visée en forte pente (> 30 °).
Fig. 4: Vue en plan montrant le fil d'Ariane avec des marques de distance tous les deux mètres. Arrivé au point topo, le topographe lit la distance en se référant à la marque la plus proche, valeur qu'il note sur sa plaque de relevés. Ici, on a 209,3 m au point n° 1 et 215,5 m au point n° 2 (d'où, par calcul ultérieur, une visée longue de 6,2 m). Ne pas oublier la mesure des largeurs au point topo pour le dessin des parois." Le compas
Elément important pour le confort des visées et la qualité des mesures.
J'utilise un instrument doté d'une capsule sphérique, facilitant les visées sur un fil incliné (Figs. 5 et 6). Attention : dans les secteurs très pentus, la visée est beaucoup plus facile à la montée qu'à la descente.
Fig. 5: Compas de relèvement avec capsule sphérique, article de sport nautique.Contrairement au compas de navigation, il est fait pour être tenu à la main. Le remplissage de la capsule par un liquide garantit son immunité à la pression.
Fig. 6: Le compas sur fond de Galerie des Myopes à Font Estramar, un peu au-delà de 400 m depuis l'entrée de la galerie. L'échelle est graduée de 5° en 5°. Ici, on lirait 82°-83°. Attention, cette mesure serait fausse, la visée (fictive, c'est un montage) faisant un angle de près de 4° avec le fil ; de plus, les repères du compas sont imparfaitement alignés.
Un compas est soumis à l'influence de perturbations magnétiques. Dans quelles proportions les visées peuvent-elles être faussées par des bouteilles en acier ? Pour le savoir, j'ai fait des visées tous les 10°, sur 360° (une idée empruntée à Olivier Isler), en mesurant la perturbation produite par la présence de bouteilles sur le dos (Fig.7). Pour minimiser les erreurs, il suffit de corriger avec les valeurs obtenues comme dans l'exemple ci-dessous.
Fig. 7. Déviation d'un compas par deux bouteilles de 20 L acier. Pour neutraliser l'influence magnétique du scaphandre, il faut ajouter ces valeurs aux mesures d'azimut (exemple : on déduira 2,8° d'une mesure de 120°).
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