Accident de Yves-Henri Dufour 20/04/1957
Par Jean Perié D'après deux courriers des 01/04 et 15/05/2006. |
Jean Perié est aveyronnais d'origine. Né en 1932, il a connu le Dr Dufour à Paris par l'intermédiaire de la Société Spéléologique de France. Il plongeait avec Dufour le jour de son accident (Goueil di Her –31) et a accepté de relater les conditions de ce drame. La proximité de la mort de Dufour (20/04/2006) et de son départ au service militaire de 28 mois (04/05/1957), la mort d'un spéléo dans un aven où ils étaient descendus quelques jours avant ensemble ont conduit Jean Perié à enterrer cette « autre vie », qu'il ressuscite aujourd'hui avec Internet. « Je vais essayer de rassembler mes souvenirs. Comme tous souvenirs très anciens, ils peuvent être en fait inexacts et sont incomplets. Dufour m'avait donné rendez-vous le 19/04/1957 au laboratoire souterrain du C.N.R.S. à Moulis (Ariège). Je devais être accueilli par M.Bouillon qui devait être le gardien du labo et vraisemblablement son homme à tout faire. Bien plus tard, j'ai entendu à la radio, ce même Bouillon raconter une troublante histoire. Il a fait partie de ces gens qui ont approché la mort de très près et qui ont ramené un souvenir du couloir lumineux de la mort. J'ai dù arriver en fin d'après-midi à Moulis, où je fus accueilli très gentiment par Bouillon et certainement sa famille. J'ai eu un emplacement pour étaler mon matelas pneumatique et mon duvet. Dufour est arrivé tard de Paris avec son équipe. Bouillon connaissait Dufour qui avait franchi le siphon en 1956. Le lendemain matin, nous avons pris notre petit déjeuner dans une auberge certainement à Arbas. A cette occasion, j'ai interrogé Dufour et lui ai posé quelques questions très personnelles :
Sa femme devait être présente à ce petit déjeuner. Je suppose que l'équipe de Dufour était de quatre personnes plus moi-même. Devant le siphon, Dufour m'a fait un petit examen médical : tension, pouls. Je me souviens que mon pouls était un peu plus rapide que la normale. L'équipement : Dufour, combinaison blanche avec cagoule, en latex, qu'il avait confectionnée lui-même. J'avais ma combinaison mousse (du néoprène ?) avec couvre-tête et fermeture latex aux poignets et aux chevilles. Dufour m'avait apporté une ceinture latex (un jonc) qui permettait de maintenir en place les jupes latex de la veste et du pantalon qui se roulaient ensemble. Cet accessoire essentiel m'avait cruellement manqué jusque là dans mes plongées en eaux froides. Sous nos combinaisons, un matelassage de vêtements en laine : caleçons et pulls. J'avais de grandes palmes vertes très efficaces. Le matériel de plongée apporté par Dufour était, pour chacun, un bi-bouteille avec détendeur (peut-être mistral ?). Nous avions évidemment un masque qui permettait de pincer le nez. J'ai toujours pratiqué la natation sous l'eau avant de savoir vraiment nager et très jeune j'ai nagé en eau très froide. Début 1956, Dufour m'avait envoyé un bi-bouteille à Epinal avec lequel je me suis entraîné en piscine. Ce scaphandre devait appartenir à la Société Spéléologique de France. S'entraînait parfois avec moi Xavier Bisiaux fils du maire de Lunéville (54), qui fut par la suite un « sherpa » de Tazieff. Même si je n'étais pas un plongeur confirmé, techniquement j'étais prêt pour un siphon relativement court et sans profondeur. Mentalement, j'étais également prêt. Je pense que le siphon du Goueil di Her a environ trente mètres de long, c'était mon premier siphon. En juillet 1956, en stage de plongée en Vercors, Letrône ne m'avait pas jugé au point pour un siphon de 110m. Dufour a plongé une première fois pour tendre une corde, afin de nous guider dans ce siphon dont l'eau se trouble rapidement. Il est revenu et nous sommes repartis ensemble, lui devant. Il a fait demi-tour s'inquiétant pour moi car je ne le suivais pas de très près. Ce retour, un peu inattendu, m'a laissé croire qu'il était assez nerveux. Nous sommes sortis, je me suis déséquipé et il m'a demandé de déplacer des pierres pour essayer de faire baisser le niveau de l'eau dans le siphon. Le motif réel était que je m'active afin de ne pas me refroidir. Il est reparti pour aller chercher du matériel dont un téléphone. Au bout d'un certain temps, je me suis approché du siphon et j'ai aperçu la lampe de Dufour qui bougeait dans le siphon. Voyant qu'il n'avançait pas, je me suis alors aperçu que c'était la corde qui était agitée par l'équipe extérieure. (Elle était très inquiète et le fait que j'aie répondu aux secousses les a rassurés un peu : il y avait au moins un plongeur qui était vivant ! ) Il est très probable que je n'ai pas eu conscience du temps passé, n'étant pas inquiet sur le retour de Dufour qui m'aurait hélé dès son retour, je n'avais pas de montre et le temps est passé vite. J'ai eu une hésitation, plonger sans scaphandre (il devait être à 7 ou 8 mètres et l'eau était relativement transparente) ou bien m'équiper. J'ai joué la sécurité (ndr : Jean Perié a plongé équipé pour sortir le corps de son collègue de l'eau, côté amont du siphon). Je l'ai ramené sur la berge, j'ai essayé le bouche à bouche, mais il y avait déjà un peu de rigidité dans la mâchoire. Convaincu qu'il n'y avait plus rien à faire pour lui, j'ai franchi le siphon et annoncé la triste nouvelle. J'ai proposé de ramener le corps, précisant qu'il fallait que la décision soit très rapide. Cette décision a tardé et au bout de 10 ( ?) minutes je me suis mis à trembler : froid et réaction nerveuse. Ce sont des plongeurs professionnels venus de Paris qui ont ramené le corps, deux jours plus tard. Mme Dufour accompagnait son mari, ce qui a du ajouter à l'indécision de l'équipe. Quarante-neuf ans après, mes réflexions m'amènent à considérer que leur décision était difficile à prendre. Plongeur inexpérimenté, je pouvais disparaître à mon tour dans cette tâche pas très facile, surtout psychologiquement.
A l'époque, ce n'était pas mon opinion, je pensais qu'on devait me laisser le ramener. Formalités officielles à la gendarmerie, j'étais le témoin principal. Téléphone à mes parents depuis la gendarmerie. Mme Dufour a voulu parler avec moi, seule à seul. Ensuite, l'attente très longue, c'était l'époque de la crise de Suez, l'essence était rare et les plongeurs se sont fourvoyés sur des routes difficiles. C'était à l'époque la N122 devenue D922 qui passe en particulier à Villefranche de Rouergue, mon lieu d'origine. Connaissant la longueur du siphon, il sont même hésité à s'équiper de bouteilles. Les professionnels, ce ne sont pas des amateurs ! Mise en bière, cercueil métallique pour ramener le corps à Paris. La discrétion vis à vis des journalistes et tout particulièrement vis à vis de Casteret qui était, selon l'équipe, devenu un « pro » de la spéléo, alors que notre éthique était que la spéléo était notre joie profonde, mais surtout pas un « job ». Ayant perdu la trace de la famille Dufour, que j'aimerais retrouver, je ne voudrais surtout pas nuire à la mémoire du docteur. Il est clair qu'il était le leader de l'équipe et que je n'étais qu'un équipier de secours. Il a assumé la totalité de la responsabilité et du travail de plongeur. Je regrette qu'il ne m'ait pas donné un peu plus de travail. Au point de vue technique, Dufour, qui avait une corpulence sans doute pas plus importante que la mienne (1,69m et 57 kg) était relativement mal équipé. Sa combinaison blanche, sans doute en latex, qu'il avait confectionnée lui-même ne devait pas être très isolante. Je suppose que mon équipement était meilleur que le sien pour l'isolation. Un fait important : Dufour était fatigué, couché tard après un long voyage en voiture, il était peut-être seul conducteur. Son ami Conduché venait sans doute de Bordeaux. En outre, il était chef d'équipe et n'avait qu'une confiance relative en mes capacités, ce qui était tout à fait normal. Il paraît évident que Dufour avait un peu trop présumé de ses forces et qu'il n'avait pas l'équipe assez solide qui lui aurait été nécessaire. Il a effectué cinq immersions successives, avec une combinaison non étanche, cela entraîne forcément des déperditions d'eau tiède et remplacement par de l'eau froide (environ 4°C). » |