Ou comment une simple plongée de « tourisme » prend une tournure singulière….
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En vacances familiales en Ardèche, je projette une plongée de pure visite à l'évent de la Guigonne. Je connais le site pour y avoir plongé en bi 10 litres, jusqu'à –31 dans le siphon 4, quelques années auparavant. Prétextant une sympathique promenade dans les gorges, j'en profite pour me charger d'un bi 12 litres et Isabelle d'un très léger sherpa (je t'assure) contenant un relais 7 litres et de quoi équiper les deux ressauts de 6 et 3 mètres donnant accès au premier siphon à une cinquantaine de mètres de l'entrée. Ainsi le lendemain je n'ai plus qu'à descendre les détendeurs, la combinaison étanche et le petit matériel de plongée. Isabelle et mon fils Thomas m'accompagnent. Ils ont prévus une ballade dans les gorges avec rendez-vous fixé trois heures minimum après mon départ. J'entre dans la cavité prêt à plonger à 13h10 (les trois bouteilles ont été préalablement préparées et descendues à l'eau, dont le niveau est à 2,50 mètres sous le rebord du deuxième ressaut). Les deux premiers siphons s'enchaînent pour une longueur de 170 mètres à faible profondeur (point bas à –9 mètres). J'émerge en 9 minutes et franchis l'exondé pour atteindre la vasque vauclusienne du troisième siphon. Je note que j'y arrive très essoufflé : la progression se fait « à quatre pattes » puis debout mais je ne suis pas excessivement chargé : bi 12 l et relais 7 l, alors est-ce à attribuer à un excès de CO 2 ou à une insuffisance d'oxygène due à une mise en dépression de l'espace exondé ? (*) Je franchis rapidement le troisième siphon de 130 mètres à faible profondeur (-4 mètres). Une quarantaine de mètres d'exondés me conduisent, encore une fois très essoufflé, à la vasque du siphon quatre, située à 400 mètres de celle du S1. J'abandonne le relais 7 litres que j'ai utilisé jusque-là et qui est vidé à 40%. Je m'enfonce dans le siphon quatre, équipé d'une sécurisante corde spéléo. Elle n'est plus amarrée à partir de –10 et fait des boucles. Je la retend et l'amarre à un fil d'Ariane existant, à –20 environ. La descente se poursuit par crans successifs pour atteindre rapidement –25 et se stabilise sur une quarantaine de mètres. Un nouveau ressaut conduit à –30 stabilisé sur une quarantaine de mètres encore. Enfin un dernier cran conduit à –40, profondeur que je conserve sur une quarantaine de mètres. Là, le fil est cassé, je rééquipe sur 10 mètres avant de retrouver l'ancien fil auquel je raboute. J'ai pris mes tiers et entame le retour : j'ai parcouru environ deux cent mètres dans le S4 et y suis depuis 30 minutes. Je parviens au premier palier de 9 mètres indiqué par l'Aladin pro à 50 minutes du départ dans le S4. J'ai freiné ma remontée par deux fois, averti par l'alarme sonore de remontée trop rapide. Cette plongée me semble assez modeste pour que je ne prenne pas la peine de jeter un coup d'śil aux tables et m'en remette à l'ordinateur.
Modeste quant aux données brutes de la plongée elle-même, mais surtout par rapport aux conditions beaucoup plus délicates : de température, de turbidité de portage… donc de stress, que j'ai l'habitude de rencontrer en Franche-Comté où je plonge habituellement. Je mentionne un petit détail qui peut avoir une petite influence: mon pénilex à « sauté » lorsque j'ai voulu uriner au palier, ce qui fait que je me suis envoyé une bonne rasade d'eau froide sur le ventre. Au palier de trois mètres, mon « mal de ventre » avec lequel je vis depuis un an plus ou moins régulièrement et non diagnostiqué, réapparaît. Suffisamment normalement pour que je ne m'en inquiète pas. Mais l'intensité de la douleur se fait de plus en plus sentir et lorsque j'émerge, à 67 minutes, la douleur est vive. La sortie de l'eau avec le bi dorsal me demande un bon effort, la « marche » est haute. Je m'assois pour souffler et je commence à me sentir assez mal. A tel point que je défais fébrilement la ceinture de mon bi et la ceinture de lestage. Je cherche mon air, j'ai mal au ventre et maintenant je commence à me demander dans un dialogue intérieur si je ne suis pas en train de « calancher ». Fiévreusement, je déclampe les direct-systems, les détendeurs et dépose le bi-bouteille. Les pensées se bousculent dans ma tête, je me demande si je ne m'asphyxie par mauvaise composition de l'air de cette partie exondée : CO 2 , ou manque d'oxygène et prends donc un détendeur en bouche. Ne semble guère améliorer la situation. Je me couche sur le côté pour ne pas tomber dans les pommes. Je ne sais plus à quel moment je me rends compte que je n'ai plus de perception dans les jambes. Aucune douleur, mais plus de jambes. Pour tenter de calmer mon mal de ventre, ou peut-être tout simplement pour essayer de me raccrocher à quelque chose, je me tortille pour atteindre mon masque de secours contenant un tube de crème de marron, accroché au scaphandre. Je le mange couché sur le côté. Avec une certaine lucidité, mon état a du s'améliorer à ce moment, je suis capable de voir la situation à un peu plus long terme (tandis qu'avant je ne faisais que lutter pour ne pas sombrer). Je pense à mon état de faiblesse, mes jambes bloquées - donc pas moyen de fuir- et au temps sans doute limité que je pourrai tenir dans cette cloche ou l'air semble mal respirable. De plus j'ai bien conscience qu'il s'agit sans doute d'un accident de décompression sévère qui peut empirer. Pour couronner le tout la météo a prévu de fortes précipitations pour le lendemain. Impression d'être fait comme un rat, c'est l'horreur. J'envisage de sortir mon carnet pour écrire un mot à ma femme et à mon gamin, mais ne peux me résoudre à accomplir le geste, çà serait m'avouer que je suis cuit. Je refuse, je veux sortir et les revoir DEHORS. Je me remet assis pour voir si je peux reprendre le bi au dos, mais n'en ai pas la force. Je ne sens pas mes jambes mais arrive à les commander à peu près. Par instinct de conservation de type fuite en avant plus que par tentative raisonnée, j'abandonne le relais là et me traîne à quatre pattes vers la sortie en traînant mon bi-bouteille dans l'eau. Au fur et à mesure que j'avance, je reprends du poil de la bête et lorsque j'atteins l'eau plus profonde, j'ai repris un peu confiance : j'ai un bi-12 à 150 bars, c'est beaucoup plus qu'il n'en faut pour ressortir, même en me tirant par les mains et quitte à ramper dans les exondés. A la fin du bassin, juste avant de plonger, je vois à encore plus long terme maintenant, signe d'un net rétablissement : il faudra que j'appelle un copain pour venir rechercher le relais (c'est à toi, Fred, que j'ai pensé tout de suite). Çà m'emmerde, je me sens mieux et en plongée une bouteille supplémentaire ne me gênera pas : je retourne donc la chercher. Je ne peux toujours pas palmer dans le bassin mais j'arrive à avancer en poussant des pieds au fond. Je note que l'Aladin et le profondimètre affichent 0.5 mètres de profondeur « dehors ». La cloche serait donc en surpression, il n'y aurait donc pas d'insuffisance en O 2 par pression partielle insuffisante ? En chaussant les palmes au départ du retour dans le S3, je n'ai absolument aucune perception aux pieds alors que j'arrive à plier mes jambes sans trop de difficultés pour les enfiler. Apparemment, seule la perception à été touchée, pas la commande. Je suis tout de même encore assez inquiet en démarrant sous l'eau. Je n'arrive pas à palmer, aussi je continue à pousser d'une palme sur l'autre sur le sol et me tractant sur les aspérités. Dieu merci les siphons à franchir sont très clairs peu profond, vraiment très faciles… A la sortie du S3 çà va beaucoup mieux, j'arrive à marcher sans trop de problème en traînant le relais. Dans les deux premiers siphons je me met à palmer doucement, j'ai quelques débuts de crampes parfois mais dans l'ensemble, tout semble fonctionner à nouveau correctement. A tel point que je prends la peine de hisser le relais et de démonter les détendeurs pour sortir un sherpa de petit matériel de la cavité. Je retrouve Isabelle, un peu inquiète, et Thomas à l'entrée de la cavité à 18 heures. Je lui fait part de ma mésaventure mais me sens si bien maintenant (physiquement, car nerveusement je suis en ruine), que je lui propose d'aller rechercher le reste du matériel pour le remonter comme prévu (dénivellé d'environ 200 mètres). Elle m'en dissuade, on ne remonte que le sherpa et la combinaison étanche. Arrivé au gîte, mis à part une bonne fatigue je n'ai que quelques fourmillements légers dans les pieds. Par acquis de conscience, je respire de l'oxygène au détendeur pendant un quart d'heure. La nuit se passe correctement et c'est au réveil seulement que j'ai à nouveau perdu une grande sensibilité dans les pieds surtout, les jambes et les fesses. J'ai quelques difficultés à marcher normalement, par manque de perception. Je garde le lit la matinée. Je ressens une sensation de brûlure de la peau, très semblable à un « coup de soleil », sur la poitrine et sous les bras. L'après-midi nous redescendons chercher le reste du matériel dans la cavité. Je suis obligé de faire des balanciers pour remonter les bouteilles car j'ai les jambes toujours en coton. Deux jours plus tard, j'ai quasiment récupéré : seules subsistent quelques petits fourmillement et de légers défauts de perception des membres inférieurs m'empêchant de courir vite par exemple. J'écris ces lignes une semaine plus tard, les symptômes ont disparus. J'ai essayé de retranscrire le plus fidèlement ce qui s'est passé, autant qu'il le soit possible car dans une telle situation le jugement et la mémoire fonctionnent de façon altérée. Il semble d'ailleurs évident, comme je l'ai fait remarquer, que le terme dans lequel on peut se projeter soit un bonne indicateur pour juger de l'état moral effectif dans lequel on se trouve : une vision à très court terme (réflexes de survie) indique le plus grave, à long terme (conséquences, suites de l'accident) un état nettement amélioré. Cette indication peut s'avérer utile pour prendre des décisions ou faire des choix dans une situation critique et pour éviter le comportement « fuite en avant ». Je ne me prononce évidemment pas sur l'aspect médical relatif aux symptômes décris : apparition au palier de –3 m du « mal de ventre » : très vif à la sortie de l'eau puis s'atténuant pour s'évanouir en ½ heure environ. Est-il indépendant (aérophagie entraînant une distension de l'estomac à la remontée), lié ou cause du même mal chronique dont je souffre hors plongée depuis un an, non diagnostiqué ? absence de la perception des membres inférieurs peu après la sortie du S4 (jambes engourdies, sans aucune sensibilité). Réapparue progressivement en ¾ d'heure. Symptôme quasiment disparu après 1h30, seuls subsistent de légers fourmillement aux pieds. Cette paresthésie réapparaît de façon très atténuée le lendemain matin pour disparaître en plusieurs jours. Pas de troubles sphinctériens ni de douleur « coup de poignard » lombaire qui accompagne paraît-il souvent, le symptôme de paralysie consécutif à un accident de type neurologique. Il semble que je n'aurais manifesté que les troubles sensitifs lié à un neurologique originaire du système nerveux central. L'engourdissement ( tendance à « tomber dans les pommes » ) ressenti quelques minutes après la sortie du S4 pourrait être lié à la même atteinte que décrite juste avant. Durée d'environ ¼ d'heure ? (mon échelle de temps est très floue à ce moment). Hyper-ventilation : liée à une mauvaise décompression ou indépendante (air mal respirable dans la cloche), voir facteur aggravant ou même déclenchant, de la mauvaise décompression ? Sensations de brûlure « coup de soleil » de la peau, à la poitrine et sous les bras le lendemain matin. J'ai bien effectué les paliers de décompression donnés par l'ordinateur de plongée (Aladin-pro nitrox de 1997) correctement paramétré. Peut-on pour autant parler d'accident immérité ? Dans notre monde de la plongée spéléo, on sait bien que les paramètres d'une telle plongée, compte tenu de l'accès, des conditions particulières, du profil… sont loin d'être « carrés » et que les paliers ordinateurs sont « légers ». Pour ma part, il me semble que les conditions particulières dans l'exondé (CO2 ou autre gaz, dépression/surpression ?) cumulées au fait de « tirer un peu trop sur la bête » (en faisant seulement les paliers ordinateurs, sans oxy) sont à l'origine de l'incident. Par excès de confiance, je le répète : j'étais parti pour une plongée balade. Je la considérais comme bien en deçà de plongées à décompression plus lourdes et en conditions délicates, où là je ne lésine pas sur la déco (oxygène/surox à tous les étages ! majoration des paliers profonds, surtout à l'ordinateur). J'entend déjà les « pourquoi-t'as-pas », les « t'aurais-dû » (cousins proches des « ya-ka / y-faudrait »). Les choses ne sont pas aussi claires dans la réalité que dans un compte-rendu rédigé à froid avec le recul. Mon attitude à la sortie, en constatant que les troubles avaient disparus, a été de me minimiser inconsciemment l'incident (tellement heureux d'être dehors !) ainsi qu'à Isabelle, pour éviter de l'alarmer. Du coup, elle-même n'en a pas pris la mesure et n'a pas eu l'idée de me suggérer le « caisson ». Un plongeur averti aurait sans doute décelé chez moi la nécessité d'approfondir la question. Mais j'arrête là tout de suite : allez demander à un montagnard pourquoi il peut avoir envie de se « faire » un sommet en solitaire… (réponse : pour ne pas être em… par les voisins) Et puis, le souvenir d'un « bend » traité au caisson par un éminent professeur, était-il inscris sournoisement au fond de ma mémoire ? Le bonhomme m'avait d'abord envoyé pendant plus de deux heures ses internes-étudiants binocleux. Lorsque je leur parlais bend/accident de décompression, me demandaient si j'avais encore mal aux oreilles ! Ensuite le ponte lui-même m'avait sérieusement gonflé par un discours FLIC-FESSM, bouché à l'émeri : « les paliers, c'est simple : temps, point-bas, paliers lus dans la table, sinon rapport à la fédération ». Ouf ! j'étais à l'autre… je n'ai rien contre la maréchaussée et tout ce qui y ressemble, mais j'aime autant en être assez éloigné ... Pour toute remarque ou suggestion (et plutôt que de cancanner) s'adresser au service consommateur. |
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