Accident de plongée à Indian Springs
Par Bill gavin
traduit de l'anglais par jean-marc Belin jmbelin@ifrance.com
corrigé par kevin rowanet
Ceci est un compte rendu de l'accident survenu à Indian Springs le 17 novembre 1991, qui a conduit à la mort de Parker Turner. C'est le compte rendu basé sur le rapport de l'équipe des plongeurs, et non pas sur celui du personnel de surface ni des plongeurs d'assistance qui ont fait l'objet d'un compte rendu séparé.
Notre plongée à Indian Springs était la première d'une série d'explorations qui faisaient partie de notre programme d'activité depuis près de deux ans.. A cause du profil unique de cette cavité, ainsi que de la grande profondeur où l'exploration devait avoir lieu, des tables de décompression spéciales avaient été élaborées par le Dr R.W. Hamilton. La planification de la plongée prévoyait un trajet d'approche de 40 minutes à -42m sur un nitrox 27%, puis une descente et exploration à -90m sur un trimix 14/44, suivi du retour à -42m pour sortir de la cavité. Il était prévu que la partie profonde de l'exploration durerait entre 20 et 25 minutes. Toute la partie à -42m serait plongée avec deux relais 11 litres, tandis que pour la partie profonde, on utiliserait un bi 15 litres dorsal.
La plongée s'est déroulée exactement comme prévu. La partie profonde, connue sous le nom de " Wakulla Room " fut explorée dans trois directions différentes. Aucune n'a permis de trouver la suite ni révélé un courant significatif. Nous avons fait demi-tour au bout de 63 minutes. A ce moment là, j'avais encore 160 bars dans mon bi 15 litres et je suppose que Parker en avait autant, ou à peine moins. Nous avons récupéré nos blocs de nitrox au sommet de la salle et deux ou trois minutes plus tard, nous respirions dessus, nous n'utiliserions donc plus nos bi jusqu'à ce que nous atteignions l'étroiture connue sous le nom de " Squaw restriction ". Après avoir récupéré nos deuxièmes bouteilles relais sur le chemin du retour, Parker me signala que son scooter commençait à donner des signes de fatigue. Nous l'avons attaché pour le prendre en remorque et j'ai augmenté la vitesse de mon DPV (Diving Propulsion Vehicle) jusqu'à son maximum. Cela ne posait pas de problème majeur car nous n'étions plus qu'à 450m de la sortie.
A 150m de l'entrée, à la jonction " aval/amont ", il y a une marque bien distincte avec une flèche. Alors que nous arrivions en vue de cette flèche, je me souviens avoir estimé notre temps d'immersion entre 105 et 110 minutes. A la flèche, nous avons donc pris à gauche et je remarquais aussitôt que la visibilité diminuait. Le sol était complètement caché par de gros nuages de touille qui roulaient, mais le fil demeurait dans de l'eau claire car il se trouvait au plafond. Alors que nous approchions de l'entrée, la mauvaise visibilité a empiré. Pour finir, nous avons dû cesser d'utiliser le DPV et nous avons nager en conservant la main sur le fil. Quand nous sommes arrivé là où je pensais que l'étroiture était, le fil, au sol, disparaissait sous le sable. Nous avons commencé à dégager le fil mais il est arrivé un moment où ce fil était trop profondément enterré. A cet endroit, la visibilité était de moins de 30 cm. J'ai entendu Parker gueuler dans son détendeur " Qu'est-ce que ça veut dire ? " Nous avons quitter la zone basse en laissant les relais et scooters. C'est à ce moment que j'ai terminé la deuxième bouteille sur laquelle j'avais respiré sur le chemin du retour. Réalisant que la situation n'allait pas se régler rapidement, je décidais de repasser sur mon bi dorsal dans lequel il y avait encore 140 bars. A cet endroit, il y avait deux fils parallèles dans la cavité. Nous les avons essayé tous les deux, mais chaque fois, nous avons été bloqué car le fil s'enterrait profondément.
J'ai attaché le fil de mon dévidoir sur le fil principal, à l'endroit où il disparaissait sous le sable, et j'ai cherché une sortie. L'étroiture semblait complètement bloquée avec du sable et, peut-être, des roches. La visibilité était si mauvaise que nous ne pouvions pas savoir exactement où nous étions ni ce qui s'était passé. Cependant, il y avait du courant et j'ai essayé de le suivre. Comme je ne trouvais pas le moyen de passer le blocage, j'ai commencé à avoir un doute quant à notre localisation exacte. Nous avions peut-être fait une erreur. Pendant que Parker continuait de chercher, je retournais d'environ 90m dans la cavité jusqu'à la flèche qui marquait la jonction " aval/amont ". Etant donné que le marquage était sans ambiguïté, je n'ai pas eu besoin de l'examiner plus de deux seconde pour m'assurer que nous étions bien là où je pensais être. Je suis revenu à l'endroit où nous avions abandonné blocs et scooters. Parker attendait là.
Je ne me souviens plus du nombre exact de tentatives que nous avons fait pour dégager le fil enterré, mais il s'est bien passé 45 minutes pendant lesquelles nous avons cherché une sortie en vain. A un moment, Parker m'a montré le manomètre de son bi qui indiquait 30 bars. Il écrivit sur son ardoise " Qu'est-ce qu'on fait ? " Je savais qu'il espérait que j'aie une idée, mais la seule chose qui m'ait traversé l'esprit et que j'ai écrit fut " Continuons, je retourne chercher ".
Et j'y suis retourné en utilisant mon dévidoir, balayant de gauche et de droite. Ne trouvant pas de sortie, je décidais de retourner jusqu'à mes relais où il restait encore un peu de gaz à partager. J'étais parti depuis moins de 5 minutes, mais quand je suis revenu, Parker n'était plus là. J'ai trouvé mon deuxième relais dans lequel il restait 40 bars. Je commençais à respirer dessus tout en essayant de concocter un plan. Après environ 4 minutes, je l'avais épuisé et je respirais à nouveau sur mon bi qui n'avait plus que 20 bars. Comme je n'avais pas d'autre alternative, dans un dernier effort, je fis une ultime tentative pour trouver une ouverture. Alors que je revenais, j'ai aperçu un autre fil lié au fil principal. Je l'ai suivi sans vraiment comprendre ce qu'il faisait là. J'ai atteint un point où la cavité semblait s'ouvrir vers le haut et j'ai aperçu, en limite de champ de vision, quelque chose qui pendait. Comme je nageais sous l'objet, je reconnu avec certitude qu'il s'agissait d'un deuxième étage de détendeur. A cet instant, mon bi était quasiment vide et ce détendeur se pris dans la robinetterie. Je l'enroulais sur ma gauche pour le libérer. Je regardais en haut et vis le fil principal qui s'élevait dans un angle aigu. Je compris que j'avais passé l'étroiture et je fonçais vers les bouteilles de décompression qui n'étaient plus qu'à une trentaine de mètres. J'étais pratiquement en apnée lorsque j'ai défait le deuxième étage et que j'ai commencé à respirer sur ma première bouteille de décompression. Parker n'était pas là et c'est à ce moment que j'ai réalisé qu'il s'était noyé.
Le détendeur qui s'était pris dans ma robinetterie provenait
de son bi qu'il avait décapelé et tiré au travers de la
petite ouverture. Je n'avais aucune idée de la position de Parker et
la visibilité était toujours de moins de 60 cm.
Complètement groggy, j'attendis que les plongeurs d'assistance me retrouvent.
Dans la confusion qui s'ensuivit, de nombreux fils furent tirés dans
la cavité pour tenter de trouver le corps de Parker. Malgré tous
ces efforts, il ne fut pas retrouvé avant le matin suivant quand la visibilité
fut remontée à près de 3m. Elle était d'une vingtaine
de mètres, ou plus, quand nous avions commencé notre plongée.
Pendant les quatre heures de décompression qui suivirent, je fus progressivement informé de la situation par notre équipe d'assistance. Sans leurs efforts, je pense que je serais devenu fou en pensant à ce qui était arrivé. Pendant un bon moment, je ne savais pas si l'entrée de la cavité avait été totalement bloquée ni si quelqu'un d'autre manquait. Je ne savais plus non plus quelle décompression il fallait suivre. Bien que je m'attendis à souffrir d'un accident de décompression, j'émergeais sans trouble physique apparent. Il semblerait que le fait d'être allé moins profond que prévu durant l'exploration, m'ait évité l'accident.
Après avoir ressasser l'incident un nombre de fois incalculable, nous avons pu établir ce qui s'était probablement passé durant les dernières minutes. Alors qu'il m'attendait, Parker a dû décider de se débarrasser de son bi pour tenter de se faufiler à travers l'éboulis. Se trouvant à cours de gaz, il a vraisemblablement décidé qu'il ne pouvait pas attendre plus longtemps. Il a noué le fil de son dévidoir de secours sur la ligne principale et, tirant ses blocs, il a réussi à trouver un passage. Peut-être qu'en faisant cela, il a suffisamment repoussé le sable sur les cotés pour que je puisse passer à mon tour quelques minutes plus tard avec mon bi sur le dos. Après avoir franchi l'étroiture, il est tombé en panne de gaz à moins de 10m de nos blocs de décompression. Pour passer, il avait retiré son bi et il flottait au plafond, 5 ou 6 mètres plus haut. Ses blocs avaient atterri sur le fil principal et étaient restés accrochés dessus. Le fil de son dévidoir de secours était emmêlé autour de ses blocs. Il est impossible de dire si ceci a contribué à sa mort. Il était certainement très difficile de tendre un fil tout en tirant les blocs et en luttant contre la flottabilité positive due à la combinaison étanche. Miraculeusement, cette combinaison d'événement, le fil emmêlé dans ses blocs qui se sont pris dans le fil principal, a permis de déplacer son fil de secours vers le seul endroit de la cavité suffisamment large pour qu'un plongeur en bi-bouteille puisse se faufiler. Je suis sûr qu'un retard d'une seule minute m'aurait empêché d'atteindre les blocs de décompression.
Ce qui a provoqué le blocage d'Indian reste un mystère. L'hypothèse actuelle est qu'un débris instable a dévalé la pente remplissant la pente remplissant la petite entrée avec du sable. Au même instant, l'équipe de surface a été le témoin d'une chute du niveau de l'eau dans le bassin, d'environ 30cm, ainsi qu'un renversement du courant de la source. Dans un intervalle de 30 minutes, l'eau a baissé puis repris son niveau normal. Il y eut peut-être 300 m3 d'eau qui se sont engouffrés dans la cavité et plusieurs tonnes de sables ont glissées vers le bas de quelques mètres. Le rush de l'eau entrant dans la cavité a été suffisamment fort et a duré suffisamment longtemps pour que la visibilité soit affectée jusqu'à 150m de l'entrée.
Je n'essaierai pas de décrire les effets de cet accident sur moi-même ou sur la famille de Parker ou ses nombreux amis. Dire que nous avons perdu un bon copain, qu'il va nous manquer, que la place qu'il tenait dans nos coeur ne sera jamais comblée, est vrai, mais ce n'est pas approprié. La douleur est une émotion personnelle, difficile à appréhender et, pour moi, difficile à partager. A tous mes nombreux amis qui m'ont aidés à traverser cette épreuve, j'offre tous mes remerciement dont ils peuvent comprendre la sincérité. Dans tous les moments qui suivront, que nous plongions ensemble ou dans les moments partagés sur d'autres explorations ou même lorsque nous seront loin, Je n'oublierai aucun de vous.