Hommage à Bertrand Leger

1947 - 1984

 

 

 

Paru dans Spelunca n°17 de janvier - mars 1985

 

J. C. FRACHON

Bertrand LÉGER s'est tué, en tenue de plongée, sur le chemin d'un de ces siphons auxquels il avait consacré sa vie... D'autres, qui l'ont mieux connu que moi, retraceront les étapes de son existence aventureuse, en particulier sa carrière de plongeur.
Pour ma part, je voudrais simplement rappeler que, si Bertrand fut un des plus grands spéléonautes de notre époque, il est également pour une bonne part à l'origine du succès des stages de la Commission " Plongée" FFS, et de l'engouement actuel pour la spéléoplongée en France.

En effet, lorsque j'ai pris l'initiative de créer le premier stage national de plongée en siphon, en 1976, j'ai fait appel à quelques amis, pour constituer une équipe de cadres, puisque rien n'existait en la matière. Bertrand LÉGER a accepté d'emblée. Et avec son ami D. ANDRÉS, il a véritablement animé ce premier stage, en y apportant ses compétences techniques, et son "esprit" fonceur.
Il fut sans conteste le modèle que chacun chercha ensuite à imiter, et les stages actuels gardent encore son empreinte.
D'une certaine manière, il est toujours présent parmi nous...


Fred POGGIA

Bertrand LEGER est décédé accidentellement le 17 novembre 1984, à l'âge de trente sept ans, dans le massif de la Chartreuse; chacun de nous ressent douloureusement sa disparition.
Il découvrit sa vocation d'explorateur souterrain en lisant des ouvrages de MARTEL et de CASTERET, et commença à pratiquer la spéléo en 1959, en solitaire, dans les petites grottes et carrières souterraines de Normandie. En 1962, Bertrand s'inscrivit au Spéléo-Club de Lutèce et participa alors aux grandes explorations de ce groupe : goule de Foussoubie, en 1963 et 1965, gouffres du massif du Margeriez, en 1965 et 1966.
Fin 1966, membre du Spéléo-Club de la Seine, il explora avec ce club les grandes cavités du Vercors : grotte de Gournier en 1967 et surtout le gouffre Berger en 1968 et 1969.
De 1972 à 1973, alors individuel, il découvrit dans l'est de la France, avec un groupe de spéléos plongeurs inter-clubs, de très grands réseaux de galeries derrière des siphons franchis en scaphandre. Fin 1974, il quitta Paris pour s'installer à Grenoble afin de pouvoir pratiquer plus intensément la spéléo. Il devint membre actif du groupe spéléo de La Tronche.
Etudes secondaires et supérieures à Paris, il travailla de 1974 à 1976 comme scaphandrier professionnel pour la Comex de Marseille, et de 1977 à 1980, pour la Société Hydrokarst de Grenoble. Depuis 1982, il s'était installé à son compte comme artisan scaphandrier, et sa Société Hydrorecherches était spécialisée dans les travaux en galeries noyées. Dans le cadre de ses activités professionnelles, Bertrand explora et topographia des cavités noyées un peu partout en Europe et principalement en Grèce, Sicile, Lybie, Irak et Belgique.
Il collabora aux plus importants captages d'eaux karstiques actuellement en service dans le monde : la résurgence sous-marine de Port-Miou, dans les calanques méditerranéennes, la source du Lez, captée pour l'alimentation en eau potable de Montpellier, et surtout le Goul de la Tannerie, à Bourg-St-Andéol.
Bertrand, pour la première fois, utilisa dans cette résurgence des mélanges gazeux à base d'hélium qu'il avait lui-même mis au point. Il atteignit la distance de 1020 m et la profondeur de 113 m en plongée autonome. La topographie qu'il réalisa pour l'implantation d'un nouveau captage se révéla rigoureusement exacte.
L'automne dernier, il fit encore de nombreuses premières dans le massif du Vercors et de la Chartreuse. Le destin a voulu que ce soit en cherchant une grotte que Bertrand nous quitte.
Il effectua plus de 1400 plongées en siphons et publia une quarantaine d'articles dans différentes revues consacrées pour la plupart à la plongés souterraine.
Bertrand avait réalisé et produit deux films sur la plongée souterraine

Dans le sang de la terre, tourné en 1979 et 1980 dans le siphon de l'émergence de Boume où il avait battu le record du monde de plongée souterraine de plus longue distance parcourue en immersion sans poche d'air, 1680 m en 1979. Ce film retraçant cette exploration a obtenu le Grand Prix Super 8 au Festival International du Film Spéléologique de La Chapelle-en-Vercors 1980, ainsi que le Prix du Public; en version gonflée 16 mm, il a obtenu une mention au Festival d'Aventure Vécue de La Plagne 1980; il a été également diffusé sur TF1 au magazine de l'Aventure.

A la recherche de Mythra, tourné au cours de vingt-deux séances de plongée, retrace l'exploration du réseau noyé du Goul de la Tannerie, à Bourg-St-Andéol, où Bertrand a atteint en plongée la profondeur de 113 m en utilisant des mélanges gazeux spéciaux à base d'hélium au cours d'une plongée de 7 h 30, dont six heures de décompression.
Présenté hors concours au Festival Mondial de l'Image sous-marine d'Antibes 1982, ce film a obtenu le Prix du Comité Italien de Recherches Scientifiques sous-marines. Présenté également au 6° Festival International du Film de Spéléologie de La Chapelle-en-Vercors, il a obtenu le Grand Prix du Film Super 8 et le Prix du Public.


Paru dans Spelunca n°19 de juillet - septembre 1985

BERTRAND LEGER, un des plus grands plongeurs spéléo de notre temps.

Dans Spelunca n° 17, Jean-Claude Frachon et Fred Poggia ont brièvement évoqué la carrière spéléologique de Bertrand Léger, décédé accidentellement à la fin de 1984 au cours d'une exploration de routine.
Entre temps, nous avons reçu un important document du G.S. de Fontaine-La Tronche, évoquant plus en détails cette carrière, qui se confond avec l'histoire de la plongée spéléologique (1).
Nous n'avons pas le culte de la "vedette" et nous n'avons jamais confondu "qualités humaines" et "exploit sportif". Par cette évocation de la vie de celui qui fut un des plus grands de sa discipline, nous avons simplement voulu rendre hommage à l'homme, unanimement apprécié de tous ceux qui l'ont côtoyé.


PRINCIPALES EXPLORATIONS EN SIPHONS (2)
1959 à 1962. Premières explorations, timides, en solitaire dans les grottes de Normandie : réseaux de Caumont et rivière souterraine de l'Iton (Eure).

1963.Débuts en plongée souterraine à la goule de Foussoubie, en Ardèche, avec franchissement de cinq siphons en plongée libre au cours d'un camp souterrain de 14 jours. 1964. Premières plongées souterraines en scaphandre autonome dans les siphons de l'Aisne, de la Côte-d'Or et de l'Yonne.

1965. Exploration en scaphandre de nombreux siphons de la goule de Foussoubie, au cours de deux camps souterrains de 4 et 5 jours. Campagne d'été dans les gouffres du Margériaz, en Savoie. 1966. Premier camp souterrain au monde installé derrière siphon à la grotte d'Irbie où, en compagnie d'Alain Figuier, il explore pendant six jours 1500 m de galeries vierges. Nombreuses autres plongées en Ardèche et dans la région tourangelle.

1967. Début des plongées au Rupt du Puits (Meuse) et franchissement du premier siphon de cette résurgence (97 m); nombreuses plongées dans l'Est de la France et premières plongées en Vercors et Chartreuse.

1968. Principale exploration au gouffre Berger, avec plongée et franchissement des siphons terminaux à - 1122 m de profondeur. Exploration de 11 heures au delà des siphons, ce qui lui permet, avec Jérôme Dubois, d'atteindre la cote - 1141 m. Deux camps souterrains de 8 et 4 jours.

1969. Poursuite des explorations au gouffre Berger (3000 m de galeries découvertes) en deux camps souterrains de 5 jours. Plongées dans la région parisienne (Meuse, Haute-Marne, Côte-d'Or). Le Rupt du Puits est exploré sur 280 m de zone noyée. Premières plongées aux Cuves de Sassenage.

1970. Exploration du Rupt du Puits sur 410 m en plongée solitaire.
1971. Après franchissement du siphon du Rupt du Puits (Meuse), long de 445 m, exploration de 7200 m de galeries exondées. Autres explorations de siphons dans la Vienne, la Haute-Marne, le Doubs, l'Isère, le Jura, l'Oise et la Meuse.

1972. Le Rupt du Puits est exploré sur 10650m de développement (49 séances d'exploration entre 1967 et 1972). Multiples plongées dans l'Est de la France, avec 14 kmde galeries vierges découvertes derrière siphon.

1973. Travaux sur le réseau de Padirac (Lot) avec le franchissement du premier siphon de la résurgence Saint-Georges, long de 395 m. Dans le dépar-tement de la Drôme, exploration du siphon de Bourne, sur 494 m de distance sans poche d'air. Explorations en Vercors, Chartreuse, Quercy et Bourgogne.

1974. Installation à Grenoble et plongées multiples en Vercors et Chartreuse. En direction du gouffre Berger, le siphon des Cuves de Sassenage est reconnu en quatre plongées difficiles, sur 185 m et 52 m de profondeur.

1975. Campagnes hivernales en Ardèche, avec les plongeurs du Groupe Spéléo de La Tronche; vingt siphons reconnus et 2000 m de galeries découverts; grandes plongées également en Quercy, et notamment sur le réseau de Padirac où, après trois plongées solitaires, le siphon de la fontaine St-Georges est reconnu sur 995 m en distance. Campagne estivale de plongées avec Jean-Louis Camus, dans le Lot, la Corrèze et la Dordogne.

1976. Trois grandes explorations en siphon pour cette année: à la grotte de la Balme, en Dauphiné, succédant à son ami Hasenmayer, B. Léger parvient à franchir le siphon long de 915 m après 16 plongées, avec l'aide des plongeurs du Groupe de La Tronche. A la résurgence de Padirac, exploration de 1045m de siphon jusqu'à la profondeur de 41 m. Enfin, en Dordogne, à la source de Combe Nègre, franchissement d'une zone noyée de 800 m et exploration de 1500 m de rivière souterraine au-delà. Plongées également dans le Doubs, le Jura, l'Isère, l'Ain et les Bouches-du-Rhône. Travaux en Sicile.

1977. Campagne de plongées en solitaire dans le département du Lot avec douze siphons reconnus, dont principalement le Trou Madame, reconnu sur 2060 m de distance, dont 1665 m de siphon. Travaux en Lybie, Sicile et Grèce pour capter des résurgences d'eau douce sous-marines. Premières plongées dans le département du Gard et dans celui de l'Hérault.

1978. Reprise des plongées en solitaire à l'émergence de Bourne (Drôme) et découverte de la suite du réseau noyé; après 11 plongées, le siphon est reconnu sur 1325 m de longueur sans poche d'air. Plongée à Port-Miou également sur 1165 m de distance en compagnie de Jean-Claude Dobrilla. Autres explorations dans le Gard, Var, Vaucluse, Isère et Drôme.

1979. Deux explorations importantes à l'émergence de Bourne (Drôme); la première effectuée entièrement "à la palme" lui permet d'atteindre 1536 m en distance; la seconde, avec l'aide d'un scooter sous-marin, prolonge le siphon jusqu'à 1680 m et 43 m de profondeur. A la fontaine St-Georges (Lot), au-delà du premier siphon de la source, long de 395 m, Bertrand Léger tente et réussit une escalade artificielle en solitaire. A la source du Lez, captée pour Montpellier, exploration et topographie pour le compte de la COMEX sur 536 m de long et 78 m de profondeur, avec 3 autres plongeurs de la Société Hydrokarst; travaux à l'origine de l'établissement de l'usine souterraine et du nouveau site de captage actuel unique au monde.
Au trou Madame (Lot), succédant à Francis Le Guen, exploration au mois de septembre avec l'appui de trois autres plongeurs; 11 h 15 d'exploration et 6 h 30 d'immersion lui permettent d'atteindre la trémie terminale à 2940 m de l'entrée, après 2525 m de siphon.

1980. Avec Frédéric Poggia, suite des explorations pendant l'hiver du réseau noyé de la grotte de la Balme; après plusieurs expéditions, la rivière est explorée sur 3100m de développement, dont 1370m de siphon. Plongées également à la célèbre Fontaine de Nîmes, dans le Gard, toujours avec F. Poggia, et exploration du réseau nord sur 2000 m avec franchissement d'un siphon long de 1275m pour 40 m de profondeur. Enfin, à la grotte de Pâques, toujours dans le Gard, exploration avec l'appui de 9 plongeurs inter-club, d'un réseau noyé long de 1570 m (-30 m), avec le franchissement d'un siphon long de 1260 m. Autres plongées en fond de gouffre, et notamment au trou du Garde (Savoie) et au trou qui Souffle (Isère). Expédition hivernale au gouffre Be-ger pour plonger les siphons terminaux avec F. Poggia; échec à -750 m, à la suite d'une crue violente de la rivière.

1981. A Pâques, plongées à la résurgence de Port-Miou depuis l'entrée naturelle située en mer. Après un portage épique de 250 kilos d'équipement au-dessus du barrage situé à 530 m, plongée en amont jusqu'à 1365 m de l'entrée; - 40 m au cours d'une plongée de 6 h. A l'été 1981, poursuite de l'exploration, en partant cette fois du barrage artificiel. Après deux plongées de 5 h 30, le point 2200 m est atteint dans un puits géant descendu jusqu'à -82m avec vue à -100 m.

Autre exploration d'envergure à l'émergence de Bourne (Drôme), où après 7 h d'immersion, Bertrand Léger reconnaît le siphon sur 2220 m de longueur; la plongée réalisée avec un niveau d'eau supérieur à l'étiage, pour simplifier les problèmes de décompression, a été effectuée en immersion totale, sans aucune poche d'air.
1982. Plongées en Vercors, Chartreuse et Diois. Principale exploration en Ardèche au Goul de la Tannerie avec, pour la première fois, utilisation de mélanges gazeux à l'hélium. Deux pointes lui permettent d'atteindre la distance de 1020 m et la profondeur de 113 m en plongée autonome. Réalisation du film "A la recherche de Mithra", après 22 séances de tournage. Début des travaux pour l'implanta-tion d'un nouveau captage sur cette résurgence; au total, 35 plongées en 1982 dans le siphon du Goul de la Tannerie.


(1) Nous ne reprenons ici que l'essentiel de ce document. De même, nous avons volontairement ôté toutes les références à un record quelconque : plus long siphon sans poche d'air, plus profond siphon plongé par rapport à l'entrée, etc. D'une part, ces chiffres sont appelés - s'ils ne le sont déjà - à être dépassés; d'autre part, ils n'ont qu'une signification relative, si ce n'est pour l'historien qui mesure de la sorte l'évolution d'une technique (NDLR).

(2) Voir aussi "lnfo-Plongée" n ° 44.