Le Vidourle Souterrain 7 ans pour une jonction
Aticle paru dans Spéléo n°51 par Frank Vasseur |
La roubine qui délimite les départements du Gard et de l'Hérault, à proximité du littoral, semble bien anodine, une fois l'estive venue. Pourtant, chaque « épisode cévenol » (phénomène de précipitations abondante) génère des « vidourlades » (crues violentes) tant dévastatrices que médiatisées. Quelques dizaines de kilomètres en amont, un ruisseau cévenol, parmi d'autres, sourd des massifs schisteux. A la manière la Vis, ce rù esquive le soleil, dès lors que son cours croise les calcaires. Le fleuve Vidourle, gonflé de confluences souterraines, regagne la surface sous les remparts médiévaux de la ville de Sauve, huit kilomètres plus aval. Les multiples regards sur ce parcours hypogée, le relief ruiniforme, les cours d'eaux asséchés, mais aussi les épidémies de choléra, eurent tôt fait d'attirer les karstophiles. Dès la fin du 19 ème , Edouard-Alfred Martel conclut une première campagne sur une note on ne peut plus enthousiaste : « Il y là un Padirac inachevé ! ». La Fontaine de Sauve, résurgence du Vidourle souterrain, est une source assurément capricieuse. La moindre averse sur les Cévennes la fait réagir. La visibilité est médiocre, une diète pluviale d'une quinzaine de jours s'impose pour ambitionner un champ de vision équivalent à 2m. Plusieurs groupes montpelliérains tentèrent quelques plongées dès 1968. Le GEPS de Marseille, alors à la pointe des évolutions techniques, réalise une avancée décisive jusqu'à la trémie (200m de l'entrée) en 1972. La galerie est vaste, surmontée de nombreuses cloches d'air, labyrinthique, chaotique, le courant pousse. En 1978, les provençaux poursuivent dans la Fontaine, prolongée entre-temps par une autre équipe jusqu'à 240m. Après avoir franchi une étroiture à 240m, ils progressent jusqu'à une cloche située à 500m de l'entrée, après un point bas à 30m. « Le courant et la turbidité des eaux, ajoutés à la configuration de cette résurgence rendent son exploration délicate. Néanmoins, vu la direction, la configuration et les distances actuellement parcourues de part et d'autres, la jonction avec le réseau aval du Grand Aven nous semble désormais possible ». Le Grand Aven de Sauve, phénomène d'ampleur remarquable, bée 1000m au sud-ouest de la Fontaine. Une falaise d'une trentaine de mètres couronne un cours d'eau temporaire, activé lors des crues. Ambiance néo-Guinéenne garantie. En aval comme en amont, des puits révèlent de vastes bassins. Les difficultés d'approche diffèrent à 1979 les premières plongées, fructueuses des deux côtés, à nouveau grâce au GEPS emmené par Jean-Louis Vernette. Par la suite, le potentiel de ce karst suscite plusieurs plongées, alimentant progressivement la Fontaine en fils d'Ariane qui, contrairement au produit de la treille, ne bonifient pas avec le temps. A partir 1998, une équipe languedocienne, flanquée de quelques provençaux, s'attaque à la fontaine. Bien que de précieux documents aient été produits par le G.E.P.S. sur d'autres cavités du secteur, les informations sur la Fontaine sont plutôt maigres. Peu de détails descriptifs, pas de topographie ni de croquis. Devant l'ampleur de la tâche, nos barboteurs procèdent par ordre. Tous les itinéraires plus ou moins balisés et toutes les cloches sont d'abord topographiés. Les anciens fils sont déséquipés et remplacés par de la cablette décamétrée sur le cheminement principal. Les galeries secondaires, les cloches, les conduits parallèles sont équipés de fil d'Ariane et raccordés au câble. A l'aube du présent millénaire, nous en sommes à tourner en rond à 210m de l'entrée, à nous casser le groin sur une fracture étroite surmontée d'une trémie. L'affaire ne sera pas simple. Le conduit est vaste (certainement plus de 8 x 6m de section), sa morphologie est complexe (dédoublements du conduit, section irrégulière), le courant augmente au fur et à mesure de la progression (delta de sortie étalé sur 300m) et une zone étroite limite tant le volume que le nombre des bouteilles utilisables. En 2000, changement de stratégie. Les plongées sont organisées en hautes eaux. Après de vaines immersions et une étude approfondie de la topographie, une série d'étroitures révèle enfin un ancien fil, une galerie plus humaine. L'anguille, souvent présente dans ce secteur, nous l'indiquait en s'y repliant. Mais la joie est de courte durée. Après la zone étroite, nous tournons quelques mois encore dans le « grand laminoir », en bouclant de façon récurrente sur le fil principal, jusqu'à la cote 270m. Le « team » se remet à fouiner et, en remontant au travers de la trémie, une puissante cloche est retrouvée. Elle sera baptisée « la cathédrale marseillaise » en hommage au binôme de Jean-Louis Vernette qui l'avait attendu là, à 230m de la vasque, pendant sa dernière pointe. Il avait eu le temps de l'apprécier sous tous les angles et, tempérament phocéen à l'appui, l'évaluait apte à loger la « Bonne Mère ». A nouveau, l'étude de la topographie oriente de façon décisive les investigations, et c'est via les voutes que la voie s'ouvre. Le fil du GEPS retrouvé ouvre la voie d'un puissant collecteur. Sa section, grossièrement circulaire, dépasse 5m. Les ripple-marks, au sol, orientent sans équivoque les évolutions. Dans la foulée, nous atteignons la cloche dans laquelle avaient buté les explorations, à 500m de l'entrée. La poursuite des explorations est à présent modérée par deux zones d'étroitures. Les limites d'autonomie des 2 x 9l + relais sont atteintes. Marche arrière à nouveau. Retour à la case « fouinage ». Les moindres recoins de la source sont passés au peigne fin et en 2001, c'est gagné. Un jour de meilleure visibilité, une lucarne confortable nous ramène de l'autre côté de la trémie des 210m. La seconde étroiture, à 270m, est aussi évitée. La grosses bouteilles, le propulseur entrent en jeu et cette fois la récompense est au rendez-vous. A 30m, sous la cloche terminale (cloche GEPS), le conduit se prolonge, colossal. Hésitations sur un sol argileux. Pas de parois, ni de marques sur les sédiments. Dame Nature donne un coup de pouce : l'anguille, nageant à contre-courant, dévoile la bonne direction. Le paysage mute à nouveau. Un puissant canyon s'encaisse sur un pendage descendant. Le roc est clair, moucheté de puissant rognons de chailles. Plus un sédiment ne stagne dans le secteur. Progression rasante, proche du sol, à l'angle de la paroi droite pour conserver un fil conducteur. Même avec une visibilité réduite à deux ou trois mètres, l'émotion de la « première », si longtemps désirée, reste intense. L'aventure se prolonge ainsi jusqu'à 45. Un tour pour rien, c'est un cul-de sac. L'avenir est en plafond. Graduellement, la gorge grimpe, grimpe, y aurait-il une surface au sommet ? L'avancée suivante viendra en 2003. Cette fois, nos juvéniles attaquent à lisse-poil, à partir de l'amont, via le premier regard : le Grand Aven. La sècheresse qui affecte le pays a ici des effets bénéfiques : 4 m de visibilité. De l'amont ou de l'aval, le second va payer. Le premier siphon est franchi (230m ;-27), suivi d'un lac puis du S.2 (20m ;-2). Direction la Fontaine. Les esprits s'échauffent, les compresseurs tournent, les tyroliennes se tendent. Un beau lac de 100m post-S.2 s'achève sur un puissant bassin qui plonge d'emblée à 29 sur une trémie
puis remonte. Dans le même temps, nous invitons quelques collègues belges, en goguette d'autres siphons gardois, à rejoindre les vidourlophiles. Plusieurs plongées sont consacrées à la zone terminale de la Fontaine, sans résultats probants, malgré une fouille minutieuse. 2004 n'est pas une bonne année, même si des avancées significatives sont réalisées dans plusieurs autres cavités du système. Un camp d'une semaine est prévu fin août avec une dizaine de plongeurs. Nous plongerons à partir de la Fontaine et du Grand aven en même temps. Le « chaînon » manquant se résume théoriquement à une centaine de mètres. La jonction, on y croit. Nous nous rabattons vers d'autres cavités en amont, mais la forte concentration de gaz carbonique rend l'atmosphère irrespirable. Quelques points d'interrogation sont néanmoins levés dans les 300 premiers mètres de la Fontaine, dans un « brouillard » caractéristique de cette résurgence. L'étiage d'hiver de 2005 est favorable. Dans le vide intérieur du secteur terminal de la Fontaine, un fil rompu indique, à contrario, l'origine de l'écoulement. La suite est là. 100m de fil sont déroulés d'une traite, arrêt dans une vaste galerie, en rive droite. Encore une belle réalisation de nos collègues d'Outre Quièvrain. En avril, alors que le dicton proscrit la petite tenue, la fontaine s'éclaircit. Aussitôt dit
Alors qu'un nouveau fil est équipé, pour le relévé, à partir de 670m, la galerie prend ses aises. Le fil de la première s'écarte du cheminement du courant, matérialisé par un surcreusement central où de fragiles rogons de chailles saillent. Et puis, soudainement, un fil kevlar jaune, recoupé presque perpendiculairement : celui déroulé en 2003 depuis le Grand Aven. Une étiquette : 335m. Le terminus côté amont est dépassé de 25m ! Retour en rembobinant le long du fil Kevlar jusqu'à l'amarrage terminal. Les deux terminus étaient quasiment au même niveau, à 780m de l'entrée (-5) de chaque côté de la galerie. 10m de première pour une jonction ! Le dérisoire se mêle à la jubilation. On a fini par y arriver : sans se presser ; en adoptant un opportunisme météo de bon aloi ; en levant systématiquement la topographie pour savoir où mettre les palmes. Bref, en appréhendant l'activité en méridional débonnaire mais opiniâtre, avec un esprit de quarantenaire mais encore coquet (coquin ?).
Bilan chiffré :
A l'avenir, les recherches s'orienteront vers les amonts du Grand Aven. Sans négliger d'autres cavités qui jalonnent le cours souterrain d'un fleuve, qui ne s'en laisse pas compter et qui recèle assurément de bonnes surprises.
Merci à la municipalité de Sauve pour son accueil et sa confiance, à Jean-Louis Vernette (G.E.P.S.) pour toutes les informations et la documentation communiquée, au Spéléo-Club des Taupes Palmées pour le soutien technique et pratique, ainsi qu'à la société Topstar pour la qualité de ses combinaisons de plongée. Une pensée pour Jean-Eric Tournour, participant assidu sur la Fontaine et Wlodzimiercz Szymanowski, qui aurait du participer aux dernières explorations, tous deux accidentellement décédés. |
avril 2005, préparatif par Christian Moreau
Richard Huttler par Frank Vasseur - avril 2005
roche blanche,Richard Huttler par Frank Vasseur - avril 2005
arche porche d'entrée - Richard Huttler par Frank Vasseur - avril 2005
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