LE RÉSEAU DE PADIRAC
FRANCHISSEMENT DU SIPHON
DE LA FONTAINE St-GEORGES
par Bertrand LEGER - 1973
Située non loin d'une boucle de la Dordogne, au pied du pittoresque village de Montvalent, la Fontaine de SaintGeorges est justement célèbre, à double titre. Elle constitue d'abord l'exutoire des réseaux importants de Padirac et Roc de Corn ; les colorations effectuées par Guy de Lavaur en juillet 1947 et décembre 1950 l'ont établi. Mais elle fut aussi le théâtre, en 1948, d'une des premières explorations françaises de siphon à l'aide du scaphandre autonome. Seul d'abord, puis avec l'assistance du Club Alpin sous-marin en 1951, Guy de Lavaur reconnut sur 70 mètres le siphon jusqu'à une profondeur évaluée à - 43 mètres.
Il est intéressant de lire les comptes rendus établis à la suite des plongées de 1951, par Guy de Lavaur et Dimitri Rebikoff (bibliographie en fin d'article) ; abstraction faite des chiffres indiqués, qui s'avérèrent exagérés, ces descriptions rendent bien l'ambiance de ces premières explorations en siphon où tout, - matériel, techniques de plongée restait à créer.
Puis pendant vingt ans, la Fontaine de Saint-Georges tomba dans l'oubli ; le désintéressement des spéléos-plongeurs devant cette énigme hydrogéologique, pourtant de premier ordre, peut s'expliquer par la difficulté technique de la poursuite de l'exploration, du moins telle qu'elle apparaissait à la lumière des chiffres avancés par de Lavaur. La profondeur de - 43 mètres, au terminus des plongées de 1948 et 1951, ne pouvait permettre une longue progression dans la branche remontante du siphon.
En 1972, deux membres du Groupe Spéléologique de Corrèze plongent à Saint-Georges jusqu'au terminus de Lavaur : petite salle à 70 mètres de la surface ; ils constatent que la profondeur en ce point n'est que de 27 mètres et non - 43. Cette différence de cote importante peut s'expliquer par l'imprécision des instruments de plongée en 1948. Quoi qu'il en soit, cette reconnaissance relançait l'intérêt d'une exploration plus poussée du siphon de la Fontaine et nous décidions d'y effectuer une plongée en août 1973.
LES PLONGEES D'AOUT 1973
Première plongée : vendredi 10 août 1973. Plongeur Bertrand Léger - Surface : Jean-François Renault.
Matériel utilisé : scaphandre tri-monobouteille de 5 m' équipé de trois détendeurs. Bouée de plongée. Casque à quatre lampes frontales alimentées par batteries. Décompressimètre, montre et profondimètre. Dévidoir de 300 mètres de cordelette nylon.
Résultats : siphon reconnu sur 300 mètres de longueur avec un point bas à - 27 mètres. Plongée de 46 minutes avec 10 minutes de palier de décompression.
En prévision d'une plongée profonde et de longue durée, j'installe à l'entrée du siphon une monobouteille pourvue de son détendeur, accrochée à une corde lestée à 3 mètres de profondeur ; elle me servira pour un éventuel palier de décompression. A 13 h 40, je m'immerge dans la vasque d'entrée ; celle-ci, en amphithéâtre, est profonde de 9 mètres. La visibilité n'y est pas excellente : 3 à 4 mètres tout au plus. Ce n'est pas étonnant vu le faible débit de la résurgence (quelques litres/seconde). A - 9, au fond de la vasque, s'ouvre la galerie en interstrate assez basse mais large de trois mètres environ. Le sol est constitué d'une pente forte (30 degrés environ) de blocs et de graviers en équilibre instable qui se mettent parfois en mouvement. A 70 mètres de l'entrée, j'atteins la petite salle marquant le terminus des plongées de Guy de Lavaur ; coup d'oeil à mon profondimètre : - 27 m, ce qui confirme les observations du G.S. Corrèze.
Au-delà de ce point et jusqu'à 150 mètres de l'entrée, la profondeur reste à peu de chose près constante : - 25 mètres. La roche est vierge de tous dépôts ; la galerie creusée en joint de strate est large de 3 à 4 m pour 2 à 3 m de haut. Après 150 m, elle amorce une longue remontée jusqu'à la cote - 15 qu'elle atteint vers 200 m. A cette distance je remarque une amorce de couloir au plafond de la 'alerie principale. Un moment j'hésite à l'emprunter mais je crains qu'il ne s'agisse d'un diverticule sans intérêt et je poursuis finalement mon avance à - 15 mètres. Après une remontée prometteuse à - 7, la galerie replonge à - 15 et reste à cette profondeur jusqu'à 300 mètres de l'entrée où je parviens en bout de cordelette. Je fixe l'extrémité de mon fil d'Ariane à un plomb que j'abandonne au plancher du siphon, change de détenteur et entame le long retour avec une visibilité très médiocre : 2 mètres environ.
Pourtant, quand je parviens à la base du talus d'éboulis commandant l'accès à la vasque, j'ai droit à la vision vraiment féérique des rayons de soleil illuminant les algues. Alors que je me balance au bout de la corde, pendant mon palier de décompression, j'aperçois des centaines de niphargus sur les parois. J'émerge après 46 minutes de plongée, très optimiste en ce qui concerne le franchissement du siphon.
Deuxième plongée : dimanche 12 août 1973. Plongeur Bertrand Léger - Surface : Jean-François Renault.
Matériel utilisé : même matériel que celui de la plongée du 10 août, dévidoir de 210 mètres de cordelette.
Résultats : siphon franchi après 380 mètres de galerie noyée ; émersion dans une salle de 20 mètres de diamètre avec le lac souterrain. Deux possibilités de continuation galerie fossile à environ 10 mètres de hauteur et deuxième siphon à plonger. Durée de la plongée : 55 minutes.
En descendant dans l'entonnoir, je fais une désagréable constatation : la visibilité est mauvaise, de l'ordre de deux mètres. Avec le débit pratiquement nul de la résurgence, l'eau n'a pas eu le temps de décanter suffisamment en deux jours. Dans ces conditions, j'hésite un moment à continuer ; je table sur l'espoir qu'à mon terminus, à 300 mètres, la visibilité sera meilleure et je m'engage dans le conduit. Assez vite, en 13 minutes, j'atteins le plomb des 300 mètres. Après un raccord vite effectué, je commence à dérouler mon fil d'Ariane dans la suite de la galerie. Comme je l'espérais la visibilité est bien meilleure dans cette zone : 4 à 5 mètres. Après un passage à - 10 mètres, mon optimisme baisse d'un cran en même temps que la galerie noyée qui redescend à la cote fatidique des - 15 m. Je parcours cinquante mètres à cette profondeur. La roche nue a fait place à des dépôts argileux que je survole en essayant de ne pas trop troubler l'eau. A 350 mètres de l'entrée, la pente s'accentue mais dans le bon sens cette fois. Je passe quelques gros blocs, jetant de fréquents coups d'ceil à mon profondimètre : - 12, - 10, - 8 m... Je dois m'arrêter un instant pour purger ma bouée, mais je sens que c'est gagné. Bruits familiers de décompression dans les oreilles, j'accélère l'allure et je crève le miroir de la surface avant de l'avoir vu. Victoire ! Le siphon de Saint-Georges est vaincu ; le chapelet de noeuds sur ma cordelette me renseigne : je suis à 380 mètres de l'entrée. Avant toute chose, fixer l'extrémité de mon fil d'Ariane. Une fois ce problème réglé, je peux inspecter l'endroit où je viens d'émerger : c'est une très grande salle entièrement occupée par un lac aux berges abruptes de 20 mètres de diamètre au moins. Le contraste entre la galerie noyée, somme toute assez modeste, et la taille de cette salle est saisissant. Le point d'émersion se situe sur la rive gauche du lac ; sur la rive opposée, grâce à mon quadruple éclairage frontal, je distingue lune berge argileuse pentue et surtout une très belle galerie fossile (8 m sur 4 environ) qui démarre malheureusement à près de 10 mètres de hauteur. L'escalade en sera délicate, la base des parois du lac étant recouverte d'une bonne couche d'argile ; d'importantes mises en charge doivent avoir lieu dans cette salle pendant les crues hivernales.
Quant à l'eau, elle doit provenir d'un nouveau siphon, quelque part sous ces rives silencieuses. Un dernier regard à la voûte, haute de 10 à 15 mètres, ornée de quelques pendeloques stalagmitiques et empoignant la cordelette, je disparais dans l'eau. Le retour, moment le plus désagréable d'une plongée souterraine, ne me paraît pas cette fois monotone : une plongée comme celle-ci efface toutes les désillusions, tous les échecs si fréquents en spéléologie.
INTERPRETATIONS ET PERSPECTIVES D'AVENIR
La Fontaine de Saint-Georges n'est pas l'unique résurgence des rivières souterraines de Padirac et Roque de Corn. Il existe au niveau de Montvalent un véritable " delta souterrain " selon l'expression de Guy de Lavaur, qui restitue en quatre émergences les eaux enfouies sous le causse. Il s'agit, outre St-Georges, des résurgences de
Les colorations entreprises dès 1947 par Guy de Lavaur ont montré l'appartenance de ces résurgences, à l'exception de celle du Gourguet, aux réseaux de Padirac et Roque de Corn. La coloration effectuée à Padirac le 22 juillet 1947 est ressortie au Lombard d'abord, puis, une semaine plus tard à Saint-Georges ; elle n'est pas apparue ni au Gourguet ni à la Finou. Celle réalisée au Gouffre de Roque de Corn le 24 décembre 1950 est ressortie, à l'inverse, d'abord à St-Georges puis, le lendemain, au Lombard et seulement vingt jours plus tard et à la suite de pluies à la Finou.
Si la Fontaine de Saint-Georges est indéniablement la sortie d'eau la plus intéressante du cirque de Montvalent, tant par l'importance de ses variations de débit que par les dimensions de sa galerie noyée, il n'en reste pas moins qu'une campagne de plongée systématique dans les trois autres résurgences, inscrite à notre programme de cette année, pourrait amener des résultats intéressants.
Techniquement, la poursuite de l'exploration du siphon de Saint-Georges est délicate mais possible grâce à des scaphandres de plus grande autonomie (tri-bouteille de 7 m3) ; le passage d'un mât d'escalade léger permettra d'atteindre la galerie fossile entrevue.
Entre le terminus atteint par l'exploration 1962 au Gouffre de Padirac et le siphon de St-Georges, il reste environ 4 800 mètres à vol d'oiseau ; entre le Gouffre de Roque de Corn et la Fontaine, près de 4500 mètres. Sans espérer encore une jonction avec l'un ou l'autre de ces deux gouffres, nous comptons bien, par nos futures plongées, accéder aux kilomètres de galeries encore vierges du Padirac inconnu.
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