Expedition internationale 1986 par olivier Isler Paru dans Spelunca n° 25 - 1987 |
Le volcan Corona qui a donné naissance au Tunnel. Photo O. Isler. |
L'étude des tubes de lave
constitue un derivatif attrayant a la spéleologie karstique traditionnelle. |
Situation géographique
Au nord-est de l'ile de Lanzarote (Cana-ries), le Mont Corona (volcan inactif
depuis des millénaires) a donné naissance à un important
tube de lave. Ce tube est entrecoupé, le long de son trajet, par plusieurs
jameos*. C'est au lieu-dit Jameos del Agua que le conduit jusqu'alors situé
au-dessus du niveau de la mer, s'enfonce sous l'Océan. Les abords de
la vasque d'entrée du siphon sont pour le moins inédits. Situé
à environ 200 m du rivage, Jameos del Agua se présente sous
forme d'une série de trois jameos au sein desquels un restaurant, avec
piste de danse!, a remplacé le monastère qui existait auparavant.
Bien que touristique, le complexe s'intègre très bien à
l'environnement et un effort louable a été fait pour épargner
le site. La terrasse du restaurant est construite sur l'éboulis provenant
de l'effondrement de la voûte du jameo le plus proche de l'Océan.
Elle domine en amont un petit lac d'eau salée et en aval la vasque
du siphon. L'accès à ce dernier nécessite un cheminement
de 25 mètres sur une pente de blocs instables.
Historique des Explorations
Les premières plongées datent de 1972 où les frères
A. et J.M. GUERRA atteignent 240 puis 370 m. En 1971, des plongeurs italiens
progressent jusqu'à 410 m, suivis la même année par l'équipe
espagnole du S.T.D. Madrid, emmenée par J. GARCIA qui pousse l'exploration
jusqu'à 820 m (-32 m). En 1983, une expédition germano-américaine,
sous la direction de S. EXLEY et T. ILIFFE, s'arrête à 1377 m de
distance (-53 m). En 1985, le S.T.D. Madrid reprend à nouveau le flambeau.
Mari Carmen PORTILLA et Luis pour 60 m de profondeur. Enfin, en 1986, le G.L.P.S.
(Groupe lémanique de plongée souterraine) associé à
une équipe franco-belge (F.F.S. + S.C.B.) termine l'exploration du siphon
(et de ses galeries secondaires) à 1618 m de l'entrée (-64 m).
Impressions de Plongée
On ne s'enfonce pas sous les eaux d'un tel siphon avec le même état
d'esprit que lors d'une plongée classique. Lorsqu'on a préalablement
visité la partie "aérienne" du tube, on a déjà
pu se pénétrer de cette atmosphère un peu mystérieuse,
envoûtante, inhérente à tout phénomène volcanique.
Sous l'eau, les impressions ne divergent guère. Les galeries, bien
que de dimensions un peu inférieures à celles de la partie émergée
du tube, sont imposante (voir descriptif). La roche est sombre (basalte).
Le fond est parsemé irrégulièrement de taches claires
dues aux dépôts sableux. Le plafond prend, en de rares endroits,
une couleur ocre qui contraste avec le reste de la galerie. La clarté
de l'eau est exceptionnelle (25 à 30 m de visibilité ou même
plus). Et cette impression que le siphon vit, qu'il respire par le courant
de marée parfois très sensible, qui véhicule souvent
les organismes de cette faune à la fois si riche et si discrète.
L'Exploration de 1986 Film Topographie |
Description du Siphon
(en collaboration avec Cyrille BRANDT)
La vasque d'entrée n'est pas très grande, toute la partie inférieure
de la galerie étant encombrée par l'éboulis. A -9m plusieurs
gros blocs marquent la fin de celui-ci et l'on pénètre dans
la galerie subhorizontale qui le suit. Le conduit, approximativement triangulaire,
a tout de suite des dimensions imposantes (6 à8 m de haut pour 6 à
7 m de large). A 105 m de l'entrée, en rive droite, une cheminée
de 80 cm à 1 m de diamètre crève le plafond et communique
avec la partieamont de la galerie supérieure (voir descriptif). A partir
de 110 m, le siphon qui remonte de 13,5 à 11 m, à cause d'un
monticule de blocs, s'élargit (L: 0,5 m, H: 7 m) sur un court tronçon.
A 120 m, (prof. 12,5 m), rétrécissement du conduit. (L: 3 m,
H: 7 m) qui descend rapidement à 22 m (135 m de distance) où
l'on rencontre la première restriction du siphon (L: 2m, H : 1,6m)
(fig. 1). Au-delà, la galerie horizontale qui lui fait suite reprend
rapidement des dimensions "standard".
A 715 m, on passe en rive gauche, sur un "col" de
2 m de large (-24 m), dû à la dune. Le sommet de celle-ci est
à-16 m. 3 à 4 m plus haut, le plafond, très fissuré
à cet endroit,. forme une sorte de coupole surplombant la dune.
A la verticale du sommet de la dune, on voit ce qui semble être l'amorce
d'une cheminée obstruée par une trémie de blocs (-12
m). Le dénivelé total dans la zone de la dune est donc de 22
m (galerie de base - trémie du plafond), ce qui est considérable,
tout comme la largeur maximum qui est de 15 m. A730 m, fin de la dune (-30,5
m). Au-delà, le conduit reprend ses dimensions et profondeurs précédentes
(9 m/11 m). A 860 m (-37 m), une courte galerie (15 m de long) part vers l'amont
sous les gros blocs d'un nouvel éboulis. Le fond descend progressivement:
-38m à 920 m, -40 m à 1000 m, le long d'une galerie toujours
encombrée irréguliè-rement de blocs de grandes dimensions.
A partir de 1100 m, on descend sous les 40 m de profondeur. A 1240 m (-53
m, plafond à -46), le conduit, plus petit que précédemment
devient triangulaire, les 2 pans de la voûte formant un angle aigu (H:
env. 8 m, L : 4-5 m).
La galerie continue à descendre: -57 m à 1400 m, -60 m à
1500 m. A 1618 m de l'entrée, le siphon se termine brusquement en cul
de sac (prof. -64 m). La paroi qui en marque la fin est concave, en partie
fracturée par une fissure de 10 cm de large, avec à la base
2 petits cônes de sable durci. 20 m avant le terminus (1600 m), le plafond
se surélève par 2 cloches proches l'une de l'autre. La plus
importante peut être remontée sur4 m de distance avant de toucher
le plafond (fig.5).
Galerie supérieure
Dans le secteur 225-240 m, au plafond de la zone de vastes dimensions, on
accède à la galerie supérieure (fig. 2).
a) Secteur aval
Celui-ci, toujours plus large que haut, est d'abord vaste (6 m/2-3 m) puis
diminue pour atteindre des dimensions voisines de 3 m de large pour 1,5 à
2 m de haut. Dans sa partie terminale, le plafond s'abaisse progressivement
(H: 70 cm à 120 m de distance). 9 m plus loin, la galerie se termine
brusquement sur bouchon de lave. Cette partie aval du conduit supérieur
qui chemine à une profondeur moyenne de 9 à 10 m est souvent
très belle (tunnel de forme très pure à fond presque
lisse).
b) Secteur amont
La galerie est plus grande que vers l'aval (6-8 m de large, 4 à 6 m,
parfois plus de haut). A 90 m du départ, on trouve la jonction avec
le tunnel principal (fig. 1). 25 m au-delà, la profondeur n'est plus
que de 5 m et on arrive sous une surface. A 6-8 m environ de la fin du lac,
apparaît le petit regard donnant sur le point 106 m du grand siphon.
On pénètre dans la partie exondée en cheminant sur une
pente d'éboulis dans une salle assez vaste. Cet éboulis redescend
peu après sur un tout petit plan d'eau, prolongé par une galerie
étroite (1,5 m de diamètre) en pente et à fond sablonneux.
Peu après, elle se poursuit par un conduit de plus grandes dimensions
aboutissant quelques di-zaines de mètres plus loin à une trémie.
Celle-ci correspond selon toute vraisem-blance à la base du jameo à
fond obstrué, visible à l'extérieur, devant le restaurant
de Jameos del Agua.
Particularités du "Tunnel de l'Atlantida"
Si les tubes de lave se rencontrent sous d'autres cieux (Hawaï notamment),
nous n'en connaissons actuellement aucun dont la partie submergée soit
d'une telle importance, ce qui en fait déjà un phénomène
exceptionnel. Son originalité (vis-à-vis d'un réseau
karstique classique) ne s'arrête pourtant pas là, et nous retiendrons
plus particulièrement 3 points:
- la faune;
- la dune de sable;
- le déphasage de la marée entre le tunnel et l'Océan.
La faune Elle est de 2 types: Les troglobies occupent la majeure partie du siphon, quoique bien mieux repré-senté semble-t-il dans les premières centaines de mètres du conduit. Cette faune (plus de 30 espèces recensées à ce jour, et au moins 8 espèces endémiques, dont Munidopsis polymorpha est le représentant le plus célèbre - photo 1), est d'une grande richesse. |
Photo 1 - Munidopsis polymorpha. Photo O. Isler. |
Photo O. lsler. Oursin. |
Elle est étudiée par de nombreux biologistes (Allemands, Espagnols et Américains) et nous ne nous attarderons donc pas sur ce chapitre. Les visiteurs accidentels se retrouvent uniquement sur la dune et aux alentours immédiats de celle-ci (excep-tion: une crevette de 10 à 12 cm de long rencontrée à 410 m de l'entrée). Cette faune dont l'origine se situe clairement sur le fond océanique surplombant la cavité est représentée par de nombreux spécimens. Sur la dune, nous avons observé des squelettes d'invertébrés ou des animaux vivants (spirographes, holothuries...). Le plafond est fréquem-ment colonisé par des invertébrés qui s'y sont développés (bryozoaires, tubes de serpules, madrépores etc.). Cette faune particulière, dont l'étude approfondie mériterait d'être entreprise, joue, comme nous le verrons plus loin, un rôle important dans la compréhension de l'hydrologie du Tunnel de l'Atlantida. |
La dune de sable Son volume est considérable
(de 350 à 600 m3 environ). L'origine marine de ce sable organogène
où pullulent les aiguilles d'oursins est évidente. La granulométrie
en est grossière (grains d'échelle millimétrique).
Cette dune s'est formée par l'accumulation de sable déposé
par le courant à chaque marée montante. Si l'on ne peut exclure d'autres commu-nications avec l'Océan (l'épaisseur du plafond d'Atlantida n'est souvent que de quelques mètres), les explorations de cette année nous permettent d'affirmer que, ponctuellement parlant, c'est au niveau de cette "montagne de sable" que la communication siphon-Océan est la plus importante. |
Fig. 5 - Le cul-de-sac final. |
Ceci est confirmé par plusieurs points: - présence en
ce seul endroit d'une faune accidentelle; - courant sensible au niveau de la dune (eau troublée aux alentours immédiats par du sable en suspension lors du flot; - bulles des plongeurs aspirées dans la trémie du plafond durant le jusant; - importance du phénomène de la dune. Les seuls autres amas de sable que l'on rencontre dans le siphon (point extrême et tunnels supérieurs débouchant à 560 m) sont mineurs. De plus, le sable de ces collines est consolidé, démontrant de ce fait un apport de matériaux beaucoup plus lent, voire actuellement inexistant en ces endroits. Si importante que soit cette communi-cation avec l'eau libre, aucun passage n'est clairement visible (obscurité totale au niveau de la voûte surplombant la dune qui ne laisse pas filtrer le moindre flux lumineux. La grosseur des individus rencontrés (tests d'oursin p. ex.) pourrait donner une idée de la largeur des passages possibles au travers des fissures du plafond (de l'ordre de quelques cm, voire du dm au maximum). |
Le déphasage de la marée entre le tunnel et
l'Océan
Les marées que nous avons rencontrées n'étaient pas d'une
grande amplitude (maximum 2,30 m). En plus du courant parfois violent (20-25
m/min. par endroit) qu'elle provoquait, nous avons égale-ment observé
un net déphasage de la marée entre l'eau libre et le siphon.
Le retard observé au niveau du siphon était significatif (plusieurs
dizaines de minutes en comparant aux tables valables en eau libre). Le manque
de temps ne nous a malheureusement pas permis d'effectuer des mesures précises
de ce phénomène. Si la violence du courant peut s'expliquer
par l'importance du réservoir formé par la zone amont de la
vasque d'entrée du siphon (éboulis + lac), l'explication du
déphasage est moins évidente. 11 pourrait être dû
à l'étroitesse de la communication avec l'Océan qui créerait
ainsi une perte de charge, à moins que cette dernière ne
soit due au siphon, ou encore à l'association de ces 2 phénomènes?
Données techniques La progression délicate sur l'éboulis d'accès au siphon fut en partie résolue pour les objets fragiles (propulseurs par ex.) par l'installation d'un téléphérique artisanal. En début d'expédition, nous eûmes quelques problèmes électriques dus au milieu marin. Nous disposions heureusement d'un expert - "homme orchestre" (Alain RONJAT) qui nous dépanna efficacement par ses connais-sances en la matière. L'oxygène (120 m3 en tout) fut utilisée abondamment (paliers dès 12 m). Nous disposions en outre de 2 narghilés; le principal reliait le plongeur à la bouteille placée sur la terrasse du restaurant par un tuyauode 50 m. Le narghilé secours se trouvait au bord de la vasque. Dans le siphon, nous avions 2 bouteilles en secours, soit à 460 et 650 m de l'entrée. A de rares exceptions près, les plongées, pour des raisons de sécurité, se faisaient à l'étale précédant la marée montante ou durant celle-ci. |
En vue de la pointe qui fut unique, plusieurs relais furent
disposés jusqu'à 1245 m. Le plongeur est parti avec 1 scaphandre
dorsal 5 x 20 I contenant du mélange trimix. 11 chevauchait en outre
2 propulseurs couplés. Lors de. cette plongée de 8 h, le début
des paliers s'est opéré à 920 m où du surox (60
% N2,40% 02) avait préalablement été déposé.
Malgré la température idéale (20 degrés) les paliers
de longue durée furent pénibles (impression constante d'un goût
salé, lèvres irritées).
La topographie s'est faite systématiquement à 2 plongeurs, l'un
visant la lampe frontale de l'autre. Tous les plongeurs y ont participé.
Les prises de vues ont été réalisées soit en direct,
ou le jour suivant une plongée importante pour les séquences
délicates. 2 membres de l'équipe plongée ont réalisé
les séquences dynamiques nécessitant l'usage des propulseurs.
Participants |
Equipe cinéma Patrick CHEVALLEY Gérald FAVRE (chef équipe cinéma) Rose-Marie FAVRE Christian RUFI Alain VUAGNIAUX |
Remerciements A Monsieur HORNISBERGER de l'Entreprise IVECO à Morges pour le prêt du véhicule nécessaire au transport du matériel lourd. A Monsieur VUILLOMET du service accumu-lateurs de LECLANCHE à Yverdon, pour son aide matérielle. A Gérard DOMON de SPORT EVASION à Fribourg pour son apport en matériel de plongée. A la Fédération Française de Spéléologie pour sa subvention. A IBERIA, Compagnie aérienne espagnole, pour ses facilités au niveau du transport de l'équipe. A Monsieur R. DOMINGUEZ, responsable des relations publiques du CABILDO INSULAR à Arrecife. A Luis ORTEGA CORDENTE pour ses précieuses indications. A Luis BORGES ACOSTA pour son aide et son dévouement. A Michel DE SIEBENTHAL de SWISSUB pour son aide matérielle. A Monsieur LE MASSON pour son prêt de téléphones sous-marins. A mon épouse Gilbertepoursonefficacitéetson soutien lors des multiples préparatifs néces-saires à une telle entreprise. |
Bibliographie - Estudio morfogénico de las cavidades volcanicas desarrolladas en et malpais de la Corona (Isla de Lanzarote, Canarias), par Joaquin MONTORIOL - POUS et Jorge DE MIER. GEO et BIO "KARST", année VI, n° 22, Barcelone 1969. - Estudio faunistico de la cueva submarina "Tunnel de la Atlantida", Jameos de la Agua, Lanzarote, par Antonio GARCIA-VALDECASAS HUELIN NA TURALIA HISPANICA - numéro 27 - Morlockiidae new family of Remipedia (Crustacea) from Lanzarote (Canary Islands), par A.G. VALDE-CASAS. Eos, t. LX, pags. 329-333 (1984). - LOS VOLCANES DE LAS ISLAS CANARIAS, vol. Il (Lanzarote y Fuerteventura), parVicente ARANA et Juan C. CARRACEDO. Editorial Rueda, Madrid. - CAVIDADES Y SENOS, n° 1, julio 1986. Asociacion Deportive Cultural S. T.D., Madrid. - Marine Lava Cave Fauna: Composition, biogeo-graphy, and Origins, par Thomas ILIFFE, Horst WILKENS, Jakob PARZEFALL, Dennis WILLIAMS. SCIENCE, vol. 225 (1984): 309-311 - Atlas de la vie souterraine - les animaux cavernicoles, par Georges THINES et Raymond TERCAFS. Editions N. Boubée. |